Lot n° 1120

SAINTE-BEUVE Charles-Augustin (1804-1869) [AF 1844, 28e f]. — 22 L.A.S. « SteB » ou paraphe, 1843-1845, à Jules et Caroline OLIVIER ; 88 pages la plupart in-8 montées sur onglets (2 lettres ajoutées), reliées en un volume grand in-8...

Estimation : 5 000 - 6 000 €
Adjudication : 8 450 €
Description
maroquin bleu filets dorés, doublures de maroquin bordeaux, gardes de moire rouge, étui (Yseux).
Très belle correspondance sur la vie littéraire parisienne.

[Professeur d’histoire et de littérature à Neuchâtel et à Lausanne, Juste OLIVIER (1807-1876) publia des livres d’histoire et des recueils de poèmes, dont un en collaboration avec sa femme, née Caroline Ruchet. Il dirigea la Revue Suisse où il publiait les fameuses chroniques mensuelles sur les événements littéraires de Paris, envoyées par Sainte-Beuve sous forme de lettres à ses amis. Juste Olivier les arrangeait et les faisait paraître, anonymes, dans sa revue ; Troubat les réunira et les publiera en 1876 sous le titre Chroniques parisiennes.

Ces lettres, la plupart signées d’un paraphe, présentent de nombreuses corrections et additions. D’un style brillant, incisives et érudites, elles tracent le portrait d’une époque et de ses acteurs. Les noms de Chateaubriand, Lacordaire, Nodier, Hugo, Guizot, Thiers, Lamartine, Janin, Vigny, le Duc de Broglie, Balzac, Guttinger, Dumas, Mérimée, Victor Cousin, George Sand, apparaissent à plusieurs reprises.

Plusieurs de ces lettres concernent l’élection de Sainte-Beuve à l’Académie française le 14 mars 1843 en même temps que MÉRIMÉE, leurs réceptions respectives sous la Coupole, ses articles paraissant dans la Revue Suisse et les corrections qu’il y apporte, ses jugements sur les questions politiques et les rapports entre l’État et le clergé, sur la production littéraire et dramatique, le monde de la presse, etc. Nous ne pouvons en citer que quelques extraits.]

Ce 7 [février 1844]. …
« J’ai contre moi Hugo, Thiers, très peu pour moi Lamartine : si j’arrive, ce sera laborieux ; si je manque, ce sera, je le crains, définitif, il me faudra prendre quelque grand parti de travail et de plan de vie »...

Le 19 [mars 1844].
Sainte-Beuve met en garde son ami après la publication de lettres de Benjamin CONSTANT ; il ne veut pas se brouiller avec la famille de BROGLIE : « je désire n’être nommé en rien, ne voulant rien faire qui puisse le moins du monde contrarier la famille de Staël, et n’ayant voulu qu’être l’arrangeur anonyme et obligeant ». Puis sur son élection à l’Académie française : « Me voilà nommé et content, bien fatigué de ce torrent, très touché des témoignages universels. – Il y a eu vers la fin une espèce de paix platrée entre HUGO, VIGNY et moi : cela a aidé l’élection de MÉRIMÉE. La mienne était assurée sans cela. – Me voilà enfin indépendant »...

Ce vendredi [5 avril 1844].
Il attaque avec véhémence BALZAC : « Comment le ridicule ne fustige-t-il pas de pareils écrivains ». Balzac a annoncé la publication de Modeste Mignon dans le Journal des Débats par une lettre « la plus amphigourique, la plus affectée et la plus ridicule qui se puisse lire »...

Ce jeudi 25 [avril 1844].
Après une longue exposition du débat parlementaire sur l’instruction publique, il parle de sa possible démission du poste de conservateur à la Bibliothèque Mazarine.

2 novembre 1844.
Sur l’Histoire du Consulat de THIERS et l’annonce des Œuvres de LAMARTINE. Sainte-Beuve parle du rapport difficile que les artistes établissent avec l’argent qui « crée une atmosphère malsaine pour le talent », citant les Anciens, Voltaire ou les personnages des romans de Balzac. Il évoque longuement le travail de Victor COUSIN sur Pascal et Port-Royal, manifestant son désaccord sur les « combinaisons sensées, prudentes, françaises » de Cousin et sur certaines « assimilations rapides » entre Port-Royal et le stoïcisme chrétien...

Ce 6 [février 1845].
Réception de MÉRIMÉE à l’Académie française, où il fait l’éloge de NODIER.... « on n’a jamais mieux réussi à l’Académie, en étant moins académique. [...] il est resté dans sa propre manière, avec son genre d’esquisse précise, voisine du fait, son ironie contenue, sa fine raillerie qui ne sourit pas, mais dont le public n’a rien laissé échapper »...

Ce 4 [mars 1845].
Sa propre réception à l’Académie, son discours sur Casimir Delavigne, et la réponse de Victor HUGO ! « chacun des deux orateurs a eu son succès ce jour là, & l’Académie française n’avait pas offert depuis longtemps une fête si goûtée du public, si brillante et si remplie ; les femmes s’étaient logées jusque derrière le fauteuil de M. V Hugo : et si l’on voyait dans une tribune réservée les personnes de la famille royale, on se disait qu’au cœur de l’assemblée était Madame Sand ».

Ce 7 juillet [1845].
Relation de la célèbre aventure de Victor HUGO surpris avec Léonie BIARD : « il y a deux ou trois jours V.H. qui faisait depuis quelque temps une cour très serrée à Mme Biard femme du peintre, jolie et ambitieuse, très mauvaise tête, a été surpris avec elle dans une maison de la rue de Rivoli flagrante delicto. Le mari irrité de ce que sa femme réclamait judiciairement une séparation de corps et de biens, les avait fait suivre par la police ; la femme a été saisie et incarcérée ; V.H. a du arguer de sa qualité de Pair de France pour échapper, mais une plainte contre lui a été déposée »...

2 octobre [1845].
Il adresse un long rectificatif à l’article sur ROYER-COLLARD, notamment sur son cours de philosophie sous l’Empire et son élection à l’Académie française : « sa nomination fut toute politique : il fut porté là comme il le fut vers le même temps à la Chambre par sept collèges électoraux : ce fut une protestation contre l’esprit servile et ministériel qui prétendait dominer à l’Académie comme ailleurs. L’élection de M. Royer-Collard rompit la série des mauvais choix, des choix de cour ; et l’Académie recouvra, à partir de lui, son indépendance ». Puis Sainte-Beuve regrette la brouille survenue entre Olivier et lui, « sans avoir été même à portée de l’expliquer directement. [...] Je ne comprendrai jamais que des hommes qui sont en relation d’affaires ne puissent s’expliquer de ces affaires sous prétexte que c’est aujourd’hui, quand on l’a fait hier et quand on doit le faire demain. […] On s’est conduit avec moi en cette circonstance comme on l’aurait fait s’il n’avait fallu qu’une goutte pour faire déborder le verre : je ne croyais pas en être là avec vous »...

▬ Provenance :
• Collection Daniel SICKLES (XVII, 7640, complétée).
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