Lot n° 1100

PROUST Marcel (1871-1922). — 3 L.A.S. « Marcel Proust », « 44 rue Hamelin » [février 1920], à Robert de FLERS ; 1, 4 et 4 pages in-8.

Estimation : 4 000 - 5 000 €
Adjudication : 5 460 €
Description
Trois lettres au sujet d’articles dans Le Figaro sur son œuvre.

[Début février].
Il le prie de lui consacrer une partie de la rubrique « À travers les Revues » : « je te demanderai la même chose le mois prochain et puis ce sera fini jusqu’à ma mort. Le plus simple (mais ne me le fais pas faire inutilement, si cela ne doit pas paraître) serait que je rédige moi-même (sans que le journal, naturellement dise que c’est moi qui l’ai rédigé) ce fragment ». Il se plaint que « depuis la mort de Calmette on n’y parle jamais de moi qu’en caractères infinitésimaux et illisibles »... Il lui envoie un numéro de L’Action française « afin de te montrer qu’un adversaire politique qu’on voit tous les vingt ans, prend plus à cœur de me venger et en pleine période électorale, d’attaques idiotes, qu’un ami tendrement aimé comme toi. Cet article de Léon DAUDET est à la place où il y a généralement : “Mort aux Juifs”. J’ai eu une grande joie dernièrement. Des membres de l’Académie française avec qui je suis en contact sans avoir d’ailleurs de vues pour moi de ce côté, m’ont assuré que ton élection en Juin était certaine. Quel bonheur ! »…

[22 février].
« Mon cher petit Robert Je ne peux pas te dire quelle joie, en lisant ton article de ce matin, de voir tout d’un coup ton beau regard bleu qui se tournait vers moi, ta main tendue. Ce que tu dis de moi est magnifique, et beaucoup trop magnifique ; je ne mérite pas un tel éloge. Mais je fais la part de l’amitié heureuse de s’aveugler, et ma joie en est non pas diminuée mais accrue. Je n’ai pas pu aller voir le Conte d’Hiver [au Vieux-Colombier], pas plus que rien, et je me réjouissais d’avoir grâce à toi ce spectacle dans un lit à défaut d’un fauteuil. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’on parlât de moi, comme lorsque GIDE fera sa conférence […] J’aime beaucoup les gens de la Nlle Revue française mais nous avons peu d’idées en commun. Même les louanges qu’ils me donnent, fort exagérées, ne me semblent pas tout à fait celles que je mérite peut’être) »…

[23 février].
« Lettre à lire jusqu’au bout de la huitième page ! » Il est allé au Figaro pour voir Robert, en vain : « Je voulais te dire de vive voix la drôlerie délicieuse que j’ai trouvée dans ta manière de raconter la pièce de Shakespeare. […] Des crises de fou rire interrompaient ma crise d’asthme quand je lisais que c’est par “snobisme” que le Prince de Bohême a fait passer la bergère pour une Pcesse » ; et il cite d’autres passages. C’est « de la meilleure veine du Roi et du Bois Sacré. Ne crois pas – quelque supériorité que je sache reconnaître à tes dons littéraires – que pour ce qui est de l’élément comique je veuille dans ces pièces ravissantes te l’attribuer à toi seul. Ce n’est pas parce que Gaston [de CAILLAVET, mort en 1915] n’est plus, que je le mets moins haut. Bien au contraire, je serais tenté de chercher à compenser, par une admiration partiale, son injuste destin. Mais hélas même le comique bouffon je vois qu’il est aussi dans tes articles, où il ne collabore pas. Et cela me fait presque du chagrin de devoir le déposséder ainsi de ce que je croyais sa part à lui ; mais je me console vite parce que je sais que drôle il savait l’être aussi, infiniment. Et dans mon tendre souvenir pour lui comme dans ma tendre affection pour toi je me dis de vos grands succès : “Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier” comme l’a dit Hugo, tu le sais, de l’amour maternel. Il le dit même très mal puisque cela signifie que chacun l’a tout entier. Mais laisse-moi appliquer cela à l’amitié fraternelle, et te redire encore ma reconnaissance émue »…

Correspondance, t. XIX, p. 110, 133 et 135.
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