Lot n° 1091

PROUST Marcel (1871-1922). — 3 L.A.S. « Marcel », [octobre-novembre 1908], à Robert de FLERS ; 4 pages in-8, 3 pages in-8 (petit deuil) et 3 pages in-8.

Estimation : 4 000 - 5 000 €
Adjudication : 5 200 €
Description
Trois lettres à propos de la pièce Le Roi de Flers et Caillavet, et de la maladie et la mort de Victorien Sardou, beau-père de Robert de Flers.

[La comédie Le Roi avait été créée le 24 avril 1908 aux Variétés, et remportait un grand succès. Victorien SARDOU (1831-1908) meurt le 8 novembre ; Robert de Flers avait épousé sa fille Geneviève en 1901.]

[9 octobre].
« Lettre à lire jusqu’au bout ». Proust lit dans le Figaro « qu’on avait donné des nouvelles alarmantes de la santé de Monsieur Sardou, ce que je ne savais pas, que ces nouvelles sont fausses, ce qui me fait bien plaisir ; et tout de même je sens bien entre les lignes qu’il a dû être fort malade, je l’ignorais et j’envoie pour qu’on te demande ce qui en est ». Il en profite pour prier Robert de lui « faire un plaisir » en mettant une dédicace « sur un exemplaire du Roi ton admirable pièce […] pour le jeune fils de gens qui ont été très gentils pour moi, M. Marcel PLANTEVIGNES, qui est fou du Roi. Je sais bien que c’est difficile de mettre une dédicace à quelqu’un qu’on ne connaît pas, mais comme il est mon ami tu peux mettre quelque chose de gentil pour moi ce qui me flattera et me rendra heureux ». Il aimerait que Gaston de Caillavet mette aussi sa dédicace… « Je vais bien bien mal mon petit Robert, ne me lève presque plus jamais, et des crises affreuses incessantes, je n’ai même plus de cerveau. J’espère que ta vie est plus heureuse et que le mauvais état de santé de Monsieur Sardou n’a pas été assez grave pour y jeter une ombre trop triste. Je ne sais comment j’ai eu la force d’aller au Roi. Mais cela a été pour moi un merveilleux enchantement »...

[8 novembre].
Proust renvoie à Robert la brochure du Roi, « après en avoir repassé les divers éblouissements […] c’est un divin enchantement »… Il signale quelques lacunes ou fautes : « Excuse ces vues d’un grand esprit sur ta pièce, ces critiques qui pourraient être faites par les lecteurs maniaques du journal où Blond signait tour à tour Un vieux Monarchiste et Un vieux Républicain ». Puis il en vient à la santé de Victorien SARDOU : « J’ai beaucoup de chagrin depuis longtemps de penser que vous êtes inquiets, que cette famille adorable où il n’y a pas un qui ne soit charmant, est malheureuse et puis surtout je pense tristement au grand Sardou, moins encore à son admirable talent, qu’à sa vie, et plus sa vitalité, cette admirable santé, cette admirable énergie et volonté d’entendre s’en servir sur l’heure (today) de sentir cela blessé, atteint, peut’être irrémédiablement, d’assister au mélancolique déclin de ce qui était par essence un rayonnement »…

[8 novembre au soir].
Il vient d’apprendre le décès de Victorien SARDOU, « ce grand malheur qu’il m’aurait suffi d’avoir rencontré une fois ton beau-père pour ressentir mais que ma tendresse pour toi, mon respectueux attachement pour ta femme, […] tant de souvenirs doux, subitement devenus tristes, des marques de bonté, d’esprit, de miraculeuse intelligence que tu me racontais que Monsieur Sardou t’avait données, tout cela constitue et cristallise en moi un vrai chagrin tout entier, un chagrin multiple, détaillé et profond. Et puis j’ai gardé de notre intimité d’autrefois, l’impossibilité de te voir pleurer. Et pour moi savoir c’est voir. Et je refais le douloureux compte des larmes que tu as versées, pour la torture de mon cœur impuissant et révolté. Et aujourd’hui je sais que c’est un second père que tu as perdu, et un père spirituel. Mais aussi il t’a laissé assez de souvenirs délicieux pour qu’il continue à vivre avec toi, avec vous pendant toute votre vie. Mon petit Robert je n’ai pas besoin de te le dire tu sais le grand devoir qui t’incombe, d’aider ta femme à porter sa croix. Je sais quels raffinements d’énergie et de gentillesse tu sauras trouver. Et j’espère que Dieu bénira tes efforts »… Il ajoute : « Je suis dans un état de santé atroce ».

Correspondance, t. VIII, p. 240, 281 et 284.
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