Magnifiques lettres à son amant nouvel académicien.
[La première de ces deux lettres est écrite le jour même de l’élection de Victor Hugo à l’Académie française, au fauteuil de Népomucène Lemercier ; la seconde, le jour de sa réception, le 3 juin, par le comte Salvandy.]
– 7 janvier jeudi soir 6 h. « Je suis bien contente pour tout le monde, mon cher académicien, que vous soyez enfin nommé. Vous voilà donc un homme assis jusqu’à ce que vous soyez un homme rassis ce qui n’arrivera pas demain je vous en réponds au train dont remontez le fleuve de la vie. Vous êtes beaucoup plus jeune que lorsque je vous ai connu, de l’avœu de tout le monde. Enfin grâce à vos dix-sept voix amies et malgré les quinze groïns de vos adversaires vous voilà Académicien. QUEL BONHEUR !!!!!!! Je regrette de n’avoir pas vu de mes yeux la grimace de tous ces vieux pleutres y compris la profession de foi de l’affreux Dupaty [élu en 1836 contre Hugo]. Pour me consoler vous devriez m’apporter à voir et à baiser votre ravissante belle tête, un peu plus de cinq minutes comme tout à l’heure. Je vous aime Toto, comme le premier jour et plus que jamais. Mais, hélas ! je n’ose pas en croire autant de vous car je n’en vois guère les expériences comme dirait ma servante. Le fait est qu’académicien, ou candidat, ou rien du tout je ne vous vois guère plus d’une heure par jour l’un dans l’autre. Ça n’est pas neuf ni consolant mais c’est de plus en plus triste et douloureux »...
– 3 juin jeudi matin 4 h ½. « Bonjour adoré, petit homme, bonjour pauvre bien aimé, bonjour Monsieur l’Académicien. Comment vas-tu mon Toto bien aimé ? Il est bien à craindre que tu ne sois horriblement fatigué pour tantôt, pauvre adoré. Il me semble que tu aurais pu faire imprimer un jour plus tôt et garder cette nuit pour te reposer ? Vraiment je ne sais pas comment tu feras pour prononcer ton discours tantôt après plusieurs jours de fatigues atroces, et d’une nuit passée à corriger des épreuves à l’imprimerie ? Il n’y a que toi pour des tours de force de ce genre ; mais cependant, mon bien aimé, il serait bientôt temps de changer ce régime qui ne tant à rien moins qu’à te tuer en détails. J’espère que tu vas mettre à profit les quelques heures qui te restent d’ici là pour te jeter sur ton lit ! Je sens déjà quelque chose qui me remue dans l’estomac comme si je devais prononcer moi-même le discours. Je suis sûre que je serai dans un état hideux jusqu’à ce que tu aies fini. Je ne me remettrai qu’au discours de Salvandy. D’ici là j’aurai une montagne sur l’estomac. Voici un autre incident périodique qui m’arrive tout à point dans ce moment. Quelle chance ! […] Quoi qu’il arrive je t’adore »…