Lot n° 117

NADJA (Léona-Camille-Ghislaine Delcourt, dite). Brouillons de 4 lettres adressées à André Breton.

Estimation : 6 000 - 8 000 €
Adjudication : 14 300 €
Description

Sans lieu ni date [Paris, vers janvier - mars 1927]. 9 pages 1/4 in-4 autographes au crayon sur papier quadrillé in-4.

Touchant ensemble de brouillons de lettres autographes de Nadja à André Breton, précédant de peu son internement le 21 mars 1927.

À l'exception d'un pneumatique, toutes les lettres de Nadja - au nombre de 27 selon Marguerite Bonnet - furent rédigées après sa relation éphémère avec Breton. L'existence de ces brouillons fut portée à la connaissance des chercheurs encore plus tardivement que les lettres mêmes mises à disposition par Jacqueline Breton lors des travaux préparatoires de la Pléiade éditée en 1988.
“Les rencontres s'espaçant, l'attachement de Nadja s'exprime par des billets hâtifs ou par des lettres pleines d'effusions, dont on sait depuis qu'elles ont été précédées par des ébauches. La succession de ces correspondances fait mesurer tour à tour la déception qui s'avoue difficilement, la relance de la passion possessive, parfois la plainte et la récrimination, l'exaltation presque mystique [...] l'apaisement subit, le pressentiment d'une dégradation psychique dont les écrits montrent l'accélération” (Étienne-Alain Hubert, Philippe Bernier, Connaissance d'une OEuvre. Nadja,2002, p. 57).

Les présentes pages proviennent d'un cahier d'écolier, selon toute vraisemblance celui prêté à Breton et réclamé ici avec insistance : Mais qu'avez vous a vouloir garder toutes les ratures de ma vie, pourquoi garder ce cahier. Pourquoi tant de choses a comprendre - mon dieu - quand c' était si facile. Mais c' était aussi trop beau. Je ne viens pas vous forcer a me revoir, rejettez moi - sans un dernier regard. Je voudrais fuir - loin de Paris.. A que tout est dégoutant.
Et pourtant non c'est trop - reprenez votre souvenir il peserait trop.

Nadja parviendra à ses fins en février 1927. C'est un ami de Breton, peut-être Philippe Soupault, qui lui restitua son cahier.Issue d'un milieu modeste dans les environs de Lille, Léona Delcourt (1902-1941) avait rejoint la capitale vers 1923, laissant à sa famille la garde de sa petite fille de trois ans à peine. Elle y choisit son pseudonyme, probablement inspiré par le monde du spectacle dans lequel elle évoluait par intermittence. Des soucis matériels firent son quotidien, comme en témoigne un premier brouillon évoquant une proposition d'engagement rue Moncey vers la fin janvier 1927. (La lettre réellement envoyée à Breton, très proche de son brouillon, a été acquise par la bibliothèque Jacques Doucet à la vente Breton.)

Samedi.
André, Vous ne m'avez pas téléphoné. Vous avez certainement mieux à faire. C'est peut-être bien. Pourtant André. J'ai une prière à vous faire. Pourriez vous m'aider encore une fois. Je n'espère rien, d'aucun côté, sauf de vous - le peu que vous me donneriez me viendra bien à point. Peut être pourrais-je vous rendre tout ce que vous avez fait pour moi. Croyez que c'est le besoin pressant car la date approche qui me fait ouvrir la bouche sur ce sujet - et que la vraie Nadja en est contrite. Mais il faut parfois marcher sur l'orgueil. [...] De l'autre coté [...], on m'a envoyé une convocation - mais il paraît que c' était des sortes de danseuses entraineuses pour le champagne à 20fs par soirée??
C' était trop drôle. Tellement drôle qu'on emmène celles qui se laissent prendre au piège, sans leur dire où elles vont..: Si j'ai pu savoir cela, c'est à force de ruses. On me causait toujours de ce que je fais, et non de ce que j'allais faire... Voilà la vie, pauvres petites crédules !!
On me disait, ne vous en faites pas. Vous êtes payée, habillée, logée, nourrie, et après - après - ah vous aimez les colliers Mademoiselle ? Oui. Je ne vois pas. Il est joli votre collier.
Il pensait peut être me prendre par là la vache. A mort les vaches. A bas la police.

Nadja.
Les lettres de Nadja sont saisissantes de lucidité. “Elles éclairent encore plus vivement que le texte ce que Breton a représenté pour la jeune femme et l'évolution de leurs rapports, en même temps qu'elles révèlent la clairvoyance de Nadja sur ce que sera son destin, lui donnant une résonance pathétique.

La lucidité au coeur du déchirement passionnel, la conscience de ce qui va inéluctablement advenir l'emportent, jusque dans les harmoniques des dissonances” (Marguerite Bonnet, in Breton. OEuvres I, p. 1511.)

De quelle humeur avez-vous tracé le mot douteux mon cher hypnotiseur. J'en reste interdite mais ca ne m'empêche pas de m'en rapporter au songe qu' évoque le puissant parfum qui se dégage de cet endroit. Malgré tout je ne vois qu'un nuage, un nuage bleu - comme le rêve. Il couvre ce mot pour faire penser au ciel. [...] Ne vous étonnez pas, mon cher, et dites vous que la folie a du bon.
Que te dire André. La vie est insupportable sans tes yeux. Tu ne veux pas me revoir.. Je ne veux pas te forcer. Je ne t'ai jamais importuné - pourtant j'avais des brasiers de désirs et je me contraignais le long du mur. [...] Mes regards ruisselaient et j'enviai les autres femmes qui paraissaient heureuses.
Je suis devenue méchante. Je regrette mon André.

André, Je suis seule - trop seule. La rancoeur me ronge l' âme. La pureté sort d'un regard ruisselant et pourtant l' impuissance rend injuste. Les injures dans un puits. Je t'aime, je t'aime, je t'aime.
André, Quel beau jour André, je viens de me réveiller toute transformée, je me sens si légère, et je respire a plein poumons de ce beau ciel. [...] Pourquoi André ? Mon ame est-elle dans un état où tout paraît possible. Pourquoi cet apaisement. Ai-je fait un si beau rêve. Etait il si fort pour m'enlever ce fardeau de douleurs, de craintes de dégout. [vers le 20 janvier 1927].
Atteinte de psychose délirante sévère, Nadja fut internée à l'hôpital Sainte-Anne le 21 mars 1927, puis transférée à celui de Perray-Vaucluse. La famille la fit rapatrier dans le nord de la France où elle décéda le 15 janvier 1941.

Le brouillon de la lettre datée de “samedi” correspond à une lettre conservée au fonds Doucet.

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