Lot n° 96
Sélection Bibliorare

PROUST (Marcel). Précieuse correspondance de 17 lettres autographes signées au poète Fernand Gregh. 50 pp. de formats divers.

Estimation : 40 000 - 50 000 EUROS
Adjudication : Invendu
Description

Le tout monté sur feuillets de papier fort en un volume in-4, maroquin bleu nuit, dos à nerfs cloisonné de listels de cuir beige mosaïqués, encadrement mosaïqué et doré sur les plats formé d'un filet doré et de listels de cuir beige avec bouquets de feuilles beiges aux angles cerclés d'étoiles dorées, encadrement intérieur de maroquin bleu nuit fileté avec bouquets de feuilles de cuir beige mosaïqués aux angles, doublures et gardes de soie grège brochée d'or, tranches dorées, chemise doublée à dos et bandes de maroquin bleu nuit, étui bordé (René Kieffer).

dans l'ordre chronologique restitué (« 5 » dans l'ordre physique du recueil). 4 pp. in-16. Marcel Proust, Correspondance (édition établie par Philip Kolb), Paris, Plon, vol. I, 1970, n° 47 ; Marcel Proust, Lettres (anthologie proposée par Françoise Leriche), Paris, Plon, 2004, n° 25. – 2 (« 3 »). 2 pp. in-8 au crayon sur papier à en-tête de la revue Le Banquet. Correspondance, vol. I, n° 51. – 3 (« 4 »). 3 pp. in-12, au verso, entame de lettre biffée datée « Paris 24 octobre ». Correspondance, vol. I, n° 63, dans un texte incomplet de la fin, établi d'après l'ouvrage de Gregh, et qui ne mentionne pas l'apostille. – 4 (« 1 »). 1 p. in-16. Correspondance, vol. I, n° 65 ; Lettres, n° 28. – 5 (« 2 »). 2 pp. in-12 sur un feuillet réglé d'écolier. Correspondance, vol. I, n° 206 (lettre de Proust) et n° 205 (lettre de madame Arman de Caillavet, numérotée « 2bis » dans le recueil). – 6 (« 10 »). 1/2 p. in-8. Marcel Proust, Correspondance, vol. II, 1976, n° 112 – 7 (« 8 »). 4 pp. in-12, enveloppe (jointe par erreur à la lettre numérotée « 9 »).

Correspondance, vol. II, n° 298, dans un texte légèrement fautif établi d'après l'ouvrage de Fernand Gregh. – 8 (« 9 »). 3 pp. in-12, enveloppe (jointe par erreur à la lettre numérotée « 8 »). Correspondance, vol. III, 1977, n° 203, dans un texte tronqué de trois mots et avec deux variantes, établi d'après l'ouvrage de Fernand Gregh. – 9 (« 12 »). 2 pp. 1/2 in-12, enveloppe. Correspondance, vol. III, n° 254. – 10 (« 6 »). 4 pp. in-12, enveloppe (jointe par erreur à la lettre numérotée « 13 »). Correspondance, vol. IV, 1978, n° 76 ; Lettres, n° 147. – 11 (« 15 »). 4 pp. in-12, enveloppe. Correspondance, vol. IV, n° 123, dans un texte tronqué du post-scriptum, établi d'après l'ouvrage de Fernand Gregh. – 12 (« 11 »). 4 pp. in-12. Correspondance, vol. IV, n° 215, dans un texte avec une variante, établi d'après l'ouvrage de Fernand Gregh. – 13 (« 13 »). 1 p. 1/2 in-12. Correspondance, vol. IV, n° 222. – 14 (« 14 »). 1 p. in-12, enveloppe. Correspondance, vol. IV, n° 223. – 15 (« 16 »). 1 p. in-12, enveloppe. Correspondance, vol. V, 1978, n° 3. – 16 (« 7 »). 3 pp. 1/2 in-12. Correspondance, vol. V, n° 143. – 17 (« 17 »). 4 pp. in-12, enveloppe.

Correspondance, vol. IX, 1982, n° 13 ; Lettres, n° 261. Importantes lettres de jeunesse et de maturité Évocations de ses premiers pas littéraires. Marcel Proust cite ici plusieurs textes publiés dans la revue Le Banquet (1892-1893), qu'il intégrerait ultérieurement dans ses propres recueils : « La Mer » et « Portrait de madame XX », qui figureraient en 1896 dans Les Plaisirs et les jours, de même qu'un pastiche d'Henri de Régnier qui viendrait prendre place en 1919 dans Pastiches et mélanges. Il annonce aussi l'envoi d'une notice sur une nouvelle d'Henri de Régnier, notice recueillie en 1927 dans Chroniques, et consacre plusieurs de ses lettres à faire de la critique littéraire, concernant des textes publiés par ses camarades dans Le Banquet et surtout des poèmes de Fernand Gregh. Il évoque également l'historien et théoricien de l'art John Ruskin dont il traduisit deux ouvrages en français, ou encore le prince Constantin de Brancovan, qui publia des extraits de ses œuvres dans sa revue La Renaissance latine. Florilège poétique. Proust émaille plusieurs de ses lettres de citations de vers de Baudelaire, Hugo ou Molière, ou d'allusions admiratives à Chénier, Homère ou Musset. Éclairages sur des sources de jean santeuil et de la recherche. Plusieurs anecdotes dans ces lettres ont trait au professeur de philosophie de Marcel Proust, Alphonse Darlu, décrit sous les traits de monsieur Beulier dans Jean Santeuil. De même, un pan de l'univers proustien transposé dans la Recherche vit dans les présentes lettres : s'y retrouvent Anatole France, modèle principal du personnage Bergotte, Paul Dubois, modèle du docteur Du Boulbon, et Proust mentionne sa croisière en mer sur un yacht qui lui a inspiré deux passages des Jeunes filles et d'Albertine disparue. En outre, il évoque le philosophe Henri Bergson dont les idées fournissent une des clefs de la Recherche. Fernand Gregh, homme de lettres et camarade des débuts de Proust. C'est en janvier 1892, parmi les élèves du lycée Condorcet qui animaient la revue littéraire Le Banquet, que Fernand Gregh (1873-1960) rencontra Marcel Proust. Il devint rapidement le directeur de ce périodique, tandis que Proust y publiait parmi ses premiers textes importants, littéraires et théoriques. Avec deux autres élèves du lycée et membres du Banquet, Louis de La Salle et Daniel Halévy, Proust et Gregh entreprirent en 1893 l'écriture d'un roman à quatre mains. Ce texte collectif, conçu sur le modèle de La Croix de Berny (composé par Gautier et trois autres écrivains) ne fut pas achevé, mais Proust en fut le principal rédacteur et y plaça déjà des thèmes qui se retrouveraient dans la Recherche. Fernand Gregh se consacra ensuite presqu'exclusivement à la poésie, remportant un prix de l'Académie française en 1896, et joua un certain rôle dans la vie littéraire par sa position de secrétaire de rédaction à la Revue de Paris (1894-1897) et de rédacteur des Lettres (jusqu'en 1909). Son amitié avec Proust connut cependant des intermittences, en raison notamment de divergences esthétiques. Par ailleurs, comme beaucoup d'écrivains « arrivés », Gregh regarda Proust d'abord avec un peu de condescendance, tandis que Proust moquait de son côté le ridicule du caractère « charmant » de son ami. Fernand Gregh entra à l'Académie française en 1953 et laissa d'importants souvenirs littéraires, dont un volume intitulé Mon Amitié avec Marcel Proust (1958), dans lequel il édita ses lettres reçues de l'auteur de la Recherche. L'aventure littéraire de la revue Le Banquet et les débuts magistraux de Proust dans la critique — Paris, « 9 bd Malesherbes, ce jeudi » [juin 1892, probablement le 2]. Lettre n° 1 (« 5 »). Proust analyse ici les contributions du n° 4 de la revue Le Banquet et éreinte cruellement Léon Blum. Ce numéro paru au début de juin 1892 comprenait plusieurs textes de Fernand Gregh sous pseudonymes, « Soir », « Banlieue – amours défuntes », « Pessimisme », « Petit conte métaphysique ». Il comprenait également « Pholoé » de Louis de La Salle (dédicataire de « La Mer », cf. infra, lettre n° 3) et « Méditation sur le suicide d'un de mes amis » de Léon Blum. « Mon cher Fernand, je viens de relire ton admirable "Soir" et malgré les objections de Jacques Bizet qui prétend avoir des "autorités" pour lui, je le préfère de beaucoup à ta "Banlieue" et à tes "Amours défuntes", comme je préfère "le Voyage" de baudelaire à "silVia" de musset. Pourtant j'adore "Silvia" et "La banlieue", et "Les amours défuntes". Je n'ai encore que parcouru le reste, le charmant "Conte métaphysique", et "Pessimisme", un peu moins agréable il me semble. Mais cela ("Pessimisme") paraîtra tout à fait bien quand dans vingt ans un peintre s'inspirant de l'illustre Fernand Gregh exposera un grand grand tableau pour la médaille d'honneur, le dernier homme tuant la dernière femme [dans le récit intitulé « Petit conte métaphysique », l'humanité est sauvée d'une extermination complète par la dernière femme, « misérable folle » qui seule conserve encore un désir aveugle de la vie]. Au-dessous, il aura copié tout ce "passage" dont il se sera inspiré. Et les critiques d'art qui préfèrent, les uns le geste de l'homme, les autres le regard de la suppliante, quelques-uns le fond "cosmique", tiendront le tableau pour inégal à la description du "prosateur". Après ces éloges, puis-je faire des reproches dont ma mauvaise santé fera peut-être passer la violence. faut-il que Vous soyez tous assez bêtes pour aVoir pris "Méditation sur le suicide d'un de mes amis", par monsieur je ne sais plus comment [Léon Blum]. le marquis et le Vicomte dans Les Précieuses ridicules sont deux larbins qui singent ineptement les façons de parler de leurs maîtres. cet article pourrait être écrit par le larbin de barres. Avec cela il respire une indulgence à l'endroit des usuriers, des billets, des emprunts qui ne peut que déshonorer la rédaction du Banquet. Le jeune homme, Maxime, a-t-il réellement existé ? Si oui, je le plains de la chromo fin de siècle, la plus répugnante de toutes, dont il vient d'être le modèle. Mais non, il n'a jamais existé ! Comment un monsieur, dégoûté de tout, désabusé de tout (attitude pour laquelle l'auteur professe une admiration irritante, qu'il croit évidemment tout à fait "distinguée" et "intelligente") emprunterait-il de l'argent, signerait-il des billets, aurait-il recours aux usuriers. maintenant tu me diras peut-être que mes articles sont pires. soit, mais je suis du Banquet.

Il est fait pour publier mes productions. Mais quand on prend des articles au dehors, il faudrait qu'il ne soit pas si stupide qu'on l'eût refusé s'il avait été de l'un de nous. Vraiment, cela déshonore une revue, parce que cela la caractérise. Publier de mauvais articles de mode, cela ne déshonore pas. Mais écrire cela sur la mort ! Moi qui ai refusé à un officier des articles militaires ! Ç'aurait été mille fois mieux et moins compromettant. Je suis désolé pour Le Banquet de cet article. Les vers de Louis de La Salle sont d'une belle couleur et d'une belle forme. Mille tendres pensées de ton affectionné Marcel » le banquet contient les premiers textes importants de Proust.

Au début de 1892, Marcel Proust participa à la fondation de cette revue littéraire avec plusieurs anciens camarades du lycée Condorcet attirés par l'écriture, Fernand Gregh, Robert Dreyfus, Louis de La Salle, Daniel Halévy, Horace Finaly et Jacques Bizet. Le titre faisait référence à Platon, et la ligne éditoriale fut choisie en opposition au symbolisme et au décadentisme, avec une curiosité particulière pour la littérature étrangère. Un comité de lecture fut désigné, dont Proust fit partie, mais la direction fut bientôt assumée par Fernand Gregh, parent de l'imprimeur à qui était confiée la revue. Le Banquet parut de mars 1892 à mars 1893 – avant d'être absorbé par la Revue blanche des frères Natanson. Proust y publia huit contributions (dont sa première nouvelle) qui, sauf deux, seraient reprises dans ses recueils Les Plaisirs et les jours (1896) et Chroniques (1927). Il y dessine une doctrine personnelle qui trouverait une application concrète dans la rédaction de ses grandes œuvres, notamment en ce qui concerne la distance séparant le rêve et la réalité, ou sa conception du temps, de la beauté, des voyages. Il y donne déjà de sublimes pages sur le thème baudelairien de la mer, et y décrit la comtesse de Chevigné qui prêterait certains de ses traits à la duchesse de Guermantes. Le paysage marin des Jeunes filles prend ses contours — S.l., [octobre 1892].

Avec apostille autographe signée de Fernand Gregh à l'imprimeur de la revue Le Banquet, Eugène Reiter. Lettre n° 3 (« 4 »). « mon cher fernand, Voici 1° des "études". la 1re sera : "la mer" copiée sur ces grandes feuilles. La 2e (toujours dans le même article "Études" et en mettant seulement le chiffre II et le sous-titre) sera ce "Portrait de madame XX" sur petit papier écrit au recto et au verso mais c'est si lisible ! enfin pour les Varia (et je ne tiens pas du tout à ce que cela soit signé, tout au plus M. P., à moins que vous ne préfériez dégager votre responsabilité de cette ordure – ou que vous trouviez cela plus poli pour régnier, auquel cas mettez la signature), j'ai baclé, n'ayant pu retrouver mon article, cette petite note également ci-jointe et écrite sur papier écrit au recto seulement. Cela me gênait un peu à cause de mon examen mais je suis si confus vis-à-vis de Régnier qu'il fallait en finir. enfin Voici les Vers de robert de flers qu'il m'a donnés pour vous envoyer. Mille tendresses, cher petit, de ton inaltérablement dévoué et tendre Marcel... MP » Lettre accompagnant l'envoi de 3 textes de Proust pour le n° 6 de la revue le banquet qui devait paraître au début de novembre 1892. « La Mer », rêverie inspirée par les paysages marins de Trouville, datée de septembre 1892, serait intégrée en 1896 dans Les Plaisirs et les jours. Proust y aborde avec magie le grand thème baudelairien du paysage marin, qui lui était si cher, et qui lui inspirerait parmi les plus belles pages d'À l'Ombre des jeunes filles en fleurs. « Portrait de madame XX », éloge littéraire d'Elena Goldschmidt-Franchetti, épouse de Guillaume Beer, connue en littérature sous le pseudonyme de Jean Dornis : Proust alla déjeuner quelquefois dans le pavillon qu'habitait à Louveciennes cette élégante qui fut aussi célébrée par Leconte de Lisle dans son poème « La Rose de Louveciennes ». Une importante critique de Régnier, consacrée au recueil poétique de celui-ci Tel qu'en songe. B. F. paru le 14 mai 1892. Proust y « précise certains principes [de son esthétique], acquis définitivement : au-dessus de l'intelligence, il y a "une raison supérieure, une et infinie comme le sentiment, à la fois objet et instrument" des méditations des philosophes. La poésie, c'est l'œuvre de "ce sentiment mystérieux et profond des choses". » (Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, Paris, Gallimard, Folio, 1999, t. I, p. 249). Baudelaire, Molière Anatole France (Bergotte dans la Recherche) et Alphonse Darlu (Beulier dans Jean Santeuil) — S.l., « mardi », [3 décembre 1901]. Lettre n° 7 (« 8 »). Marcel Proust venait de parcourir La Fenêtre ouverte, recueil d'articles et critiques littéraires de Fernand Gregh, et s'était notamment attardé sur trois des textes publiés : une critique du roman de Gabriele D'Annunzio, Le feu (1900), et deux critiques d'Henri de Régnier, l'une portant sur le recueil Figures et caractères (1901), l'autre sur la nouvelle « La Courte vie de Balthazar Aldramin, vénitien » du recueil Les Amants singuliers (1901). « Cher ami, je te remercie infiniment de ta lettre mais, comme pourrait dire monsieur darlu, "les poètes donnent sans compter", et je ne voudrais pas que tu te croies un jour obligé par ta généreuse et ton imprudente promesse qui me ferait dans les dédicaces de ton œuvre une place à laquelle je n'ai pas droit. Si les vers de Baudelaire cités l'autre jour devaient encore s'appliquer, je craindrais cette fois que mon nom ne "Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon" [citation de « Spleen et Idéal » de Baudelaire dans les fleurs du mal] je Viens de lire le superbe et terrible article sur Le Feu d'annunzio que tu as Vraiment fait passer par les épreuVes du feu. Du livre il ne reste plus que l'indestructible. Mais il a dû te falloir beaucoup de courage pour contrister ainsi un grand écrivain qui de plus t'était sympathique. ton régnier est merVeilleux mais un peu séVère à mon gré. Comme prosateur je te trouve tous les jours plus étonnant et "La Courte vie de Baldassare Aldramin" m'a beaucoup plu. C'est à peu près tout ce que j'ai encore lu de La Fenêtre ouverte, étant trop souffrant pour lire beaucoup à la fois. mais j'ai aperçu des choses qui m'ont rempli de joie comme l'explication du débit de monsieur france quand il parle. Veux-tu avoir l'amabilité de dire à ton frère [le futur compositeur et éditeur de musique Henri Gregh] que je le remercie bien sincèrement de m'avoir invité à son mariage et que mon état de santé me prive malheureusement d'y assister. Cela m'est matériellement impossible. Surtout ne prends pas la peine de me répondre, il n'y aurait plus de raison pour que cela finisse : "Et lui d'une troisième aussitôt repartant / D'une troisième aussi j'y repars à l'instant. / ... / Ne voulant point céder et recevoir l'ennui / Qu'il me pût estimer moins civile que lui" [citation des femmes saVantes de Molière, acte II, scène 5]. Ton très affectionné Marcel Proust » Proust et Fernand Gregh chez Anatole France : Proust, qui fréquentait depuis 1889 le salon de madame Arman de Caillavet et d'Anatole France (dont il fit le modèle principal du personnage de Bergotte dans la Recherche, y introduisit Fernand Gregh durant l'été de 1892. Ils y furent les témoins privilégiés des discours de l'écrivain. Proust vante dans la présente lettre un autre article publié par Gregh dans La Fenêtre ouverte, décrivant le talent de causeur d'Anatole France. Proust révélé à lui-même par le professeur Darlu. Proust étudia longtemps la philosophie auprès d'Alphonse Darlu, d'abord à partir de 1888 au lycée Condorcet, puis en cours particuliers pour passer sa licence. Personnalité haute en couleurs, sarcastique, destructrice, même, Alphonse Darlu (1849-1921) était qualifié de « joli cerveau » par Anatole France et fut un des rares à se voir épargné par les critiques que Bergson adressait au monde universitaire. Il cherchait à former des esprits autant qu'à enseigner un corpus philosophique, et poussait ses élèves à penser par eux-mêmes. Proust le cita avantageusement dans la préface de son livre Les Plaisirs et les jours (1896), l'évoqua sous les traits du professeur Beulier dans Jean Santeuil, en partie sous ceux de Bergotte dans la Recherche, et transposa dans son œuvre ses idées sur l'irréalité du monde sensible. Paul Dubois, modèle du docteur Du Boulbon dans la Recherche — S.l., [13 novembre 1903]. Lettre n° 9 (« 12 »). mon oncle est allé Voir le dr dubois qui lui a dit : "je ne peux rien vous faire, vous n'avez rien". Mon oncle a été persuadé et en somme cela a plutôt amélioré son état. en somme monsieur france dans son admirable discours sur renan aVait tort de dire que nous n'aVons pas de prophètes en occident. en Voila un [allusion au discours que prononça France lors de l'inauguration de la statue de Renan à Tréguier le 13 septembre 1903]. Et tu prouves que nous avons aussi des poètes. Ton admirateur et ton ami, Marcel Proust » Célèbre professeur de neuropathologie, le docteur Paul Dubois, tenait une clinique à Berne, et publia plusieurs ouvrages dont De l'influence de l'esprit sur le corps (1901). Fernand Gregh avait reçu ses soins en 1900, et Proust, qui songerait à aller le consulter en 1905, le recommanda à son oncle Denis-Georges Weil. Citant les théories de Dubois dans les notes de sa traduction de Sésame et les lys de Ruskin, Proust transposerait également l'anecdote de la visite de son oncle au docteur dans le coté de Guermantes : Dubois dit à Weil qu'il n'était pas malade et celui-ci en ressentit immédiatement un mieux, comme il advient à la grand-mère du Narrateur auprès du docteur Du Boulbon. Proust ferait également mourir son personnage de l'urémie qui emporterait son oncle. L'oncle Weil, personnage amical de l'enfance heureuse de Proust. Frère de la mère de Proust, Denis-Georges Weil représente un parfait exemple de l'union familiale que Proust connut dans son enfance, qui se caractérisait par une étroite vie commune et un amour partagé de la conversation – l'oncle Weil tint de longues causeries littéraires avec l'écrivain au point parfois d'en oublier l'heure de se rendre au tribunal où il occupait une charge de magistrat. Il fut en outre copropriétaire avec madame Proust de l'immeuble du boulevard Haussmann où Proust viendrait habiter à partir de 1906. Brillante mise en œuvre des outils conceptuels esthétiques du jeune Proust — S.l., [4 juin 1904]. Lettre n° 10 (« 6 »). À l'occasion de la critique élogieuse qu'il adresse ici à Gregh sur son recueil poétique Les Clartés humaines paru le 4 juin 1904 (dont il cite des passages concernant Victor Hugo), Proust expose avec une grande précision ses conceptions esthétiques encore marquées par les cours de philosophie d'Alphonse Darlu. Il cite notamment les poèmes « Rêve », « Femmes au jardin », « L'Aube et le matin », « Une fleur », « Songes d'un jour d'été » du recueil de Gregh, ainsi qu'un article de celui-ci sur Verlaine, qui venait de paraître dans Le Figaro du 7 avril 1904. « mon cher fernand, te rappelles-tu ce qu'on nous disait de la métaphysique d'aristote. Avant lui l'erreur des matérialistes croyant par l'analyse trouver la réalité dans la matière, l'erreur des platoniciens la cherchant en dehors de la matière dans des abstractions ; Aristote comprenant qu'elle ne peut être dans une abstraction, qu'elle n'est pas pourtant la matière elle-même mais ce qui en chaque chose individuelle est en quelque sorte derrière la matière, le sens de sa forme et la loi de son développement. ainsi pourrait-on dire de ta poésie, ni matérialistement descriptiVe, ni abstraitement raisonneuse, mais qui en tout dégage, de la forme même, l'esprit indiViduel et transcendant qu'il y a en chaque chose, en chaque chose de la nature et de l'homme, que ce soient : "Les yeux petits d'Hugo, mouillés par la paupière / Petits mais où l'immense univers a tenu, / Ces yeux las, usés, hagards un peu", ou dans son front "Deux plis élus parmi la matière infinie / Pour être les sillons illustres du génie", ou la clarté "Que sans fin après eux traînent les soirs d'été", ou l'aube "Où les feuilles au vent ne tremblent qu'une à une", ou la forêt qui "recommence" "Profonde pleine encor de biches et de louves". toi même as donne le plus parfait exemple de la métaphysique qu'est ta poésie dans la merVeilleuse pièce appelée "une fleur" et dont les dix derniers Vers, par le soudain approfondissement de la pensée et l'éternité atteinte dans cette petite fleur, sont parmi les choses les plus complètement belles que tu aies écrites. Voilà, cher ami, ce que je me disais en feuilletant le livre que j'ai reçu tout à l'heure et où j'ai déjà retrouvé quelquesuns de ces chefs-d'œuvre qui, encore inédits pour ainsi dire, semblent déjà classiques, la certitude de durée que donne leur style admirable nous donnant l'illusion qu'ils sont déjà très anciens (pendant spirituel de l'illusion du train qui semble marcher par rapport à l'autre). et de même j'essayais de dégager ta morale : plus Vraie que le pessimisme, plus Vraie que l'optimisme, connaissant toutes les douleurs de la Vie, mais y trouVant la joie, ni pessimisme, ni optimisme, le Vitalisme. Oui, certes, ton nom est un de ceux qu'ajouteront à [la] liste glorieuse ceux qui après toi s'adresseront "Au vent d'automne" [poème du recueil La Beauté de vivre de Fernand Gregh]. Et les "Songes d'un jour d'été" resteront à la fois ton Art poétique et ton Évangile. Cher ami, je suis fatigué ce soir. Sans cela je t'aurais dit comment ayant été très malade je n'ai pu te remercier de ta gentille lettre, ni te féliciter de ton superbe article sur Verlaine. Et pour ne pas écrire davantage ce soir, je t'envoie simplement ma fidèle et admirative amitié. Marcel Proust » Proust dans le jeu des revues littéraires, au retour d'une croisière en mer— S.l., 22 août 1904. Lettre n° 11 (« 15 »). Souvenir d'une croisière qui inspirerait à Proust deux passages de la recherche : l'écrivain était parti le 9 août pour s'embarquer au Havre sur le yacht Hélène, qui appartenait au banquier et régent de la Banque de France Paul Mirabaud. Il vogua jusqu'à Cherbourg, Guernesey, Saint-Malo et Dinard, en compagnie de son ami Robert de Billy, gendre de Mirabaud, et plusieurs autres personnes dont madame Fortoul, future maréchale Lyautey. Proust s'y épuisa, eut des crises d'asthmes, mais revint à Paris le 14 août avec la mémoire pleine de beaux spectacles « de nature et d'humanité ». Il s'en inspirerait en partie pour écrire le passage d'À l'Ombre des jeunes filles en fleurs dans lequel Elstir évoque les toilettes des femmes sur les yachts modernes, et celui d'Albertine disparue dans lequel le Narrateur promet à Albertine de lui acheter un yacht pour la faire revenir. Raffinement tout byzantin de l'amitié proustienne. La présente lettre concerne un article intitulé « Fernand Gregh », paru le 15 août 1904 dans la revue La Renaissance latine dirigée par le prince Constantin de Brancovan : dans cet article, Gaston Rageot ironise sur la réputation usurpée du poète, fondée selon lui plus sur le charme de sa personnalité immature que sur un style trop éclectique. Ami de Constantin de Brancovan comme de Gregh, Proust cherche ici à se maintenir dans une position médiane ménageant l'un et l'autre. « mon cher fernand, en rentrant à paris après quelques jours passes en bateau (cela t'aVait-il fait du bien ou du mal à toi, le yacht ?), j'ai trouvé La Renaissance latine et j'ai été péniblement impressionné par l'article qui t'y est consacré. Ce serait plus de tact de ma part de ne pas t'en parler, et à vrai dire ce serait aussi plus de sagesse tant la chose a, à tous les points de vue, peu d'importance. mais je sais quelle nécessité délicate est chez toi l'enVeloppe harmonique de ta sensibilité, de ton imagination et de ton cœur, et j'ai peur que ces choses absurdes ne t'aient ennuyé, et je me suis dit que peut-être la pensée affectueuse de quelqu'un qui en a été irrité, puis en a compris l'insignifiance absolue, te sera d'un bon réconfort. L'article sera par lui-même une bonne réclame car les gens [ne] lisent pas, et encore là faudraitil lire "entre les lignes", ce qui serait trop leur demander. quant aux personnes qui lisent un article ou la beauté des parnassiens (c'est-a-dire essentiellement une beauté priVilégiée, la beauté de certaines choses et non d'autres, par conséquent la non-beauté des choses en elles-mêmes, de la Vie en elle-même) est assimilée à la beauté de ViVre, à ta conception de la beauté, quelle importance un pareil article peut-[il] aVoir, sinon de montrer la grande place que tu as prise et la faiblesse des arguments auxquels sont obligés d'avoir recours ceux qui prétendent te la contester. Cet article ne m'a donné qu'un regret. constantin [de Brancovan] m'aVait autrefois promis la critique littéraire dans sa reVue, non seulement promis mais spontanément offerte. Sans m'en prévenir, il l'a donnée à un autre et nous avons été à cette occasion entièrement brouillés, car je n'avais pu supporter sans éclat cette manière de faire. Depuis nous nous sommes complètement réconciliés car il a agi très délicatement et j'ai oublié ce passé. Mais en voyant la manière absurde dont mon "usurpateur" parle de toi, j'ai regretté pour la première fois de ne pas avoir eu le droit de tenir la plume à sa place. N'est-ce pas, ne t'agite pas d'une chose idiote, ne t'en énerve pas, je t'assure que c'est comme si cela n'était pas, et en somme si une dissonance était utile dans tout ce concert de louanges, dans ce "murmure d'amour élevé sur tes pas" [citation adaptée du célèbre sonnet de Félix Arvers dans son recueil Mes heures perdues, 1833], celle-ci est en somme agréable, a de réels avantages pour toi (quel style !). Je suis bien souffrant pour t'en écrire plus long mais je pense que tu as compris ma pensée. Ton Marcel Proust Te voilà père !! Je suis heureux de penser que voici une fibre nouvelle à ton cœur, une corde de plus à ta lyre. Fais accepter à madame Gregh mes respectueuses félicitations. » Proust et Constantin de Brancovan. Ami de Montesquiou, frère d’Anna de Noailles et de la princesse de CaramanChimay, le prince Constantin de Brancovan (1874-1917) rencontra probablement Proust en 1893, et noua avec lui une relation amicale et intellectuelle qui se renforça encore lorsque tous deux se trouvèrent dreyfusards. Le prince publia quelques extraits de La Bible d’Amiens et de Sésame et les lys dans sa revue La Renaissance latine. Proust indigné par les fautes d'impression d'une de ses critiques littéraires citant Hugo et Sainte-Beuve — S.l., « jeudi » [15 décembre 1904]. Lettre n° 12 (« 11 »). Sous le pseudonyme « Marc Antoine », Proust avait fait paraître dans Le Gil Blas du 14 décembre 1904 un compte rendu de l'ouvrage de Fernand Gregh Étude sur Victor Hugo. À son ami Antoine Bibesco qui lui avait écrit le soir même pour le féliciter de cet article, Proust avait répondu : « Je n'accepte pas de compliments pour le stupide article que d'innombrables fautes d'impression ont défiguré sans pouvoir guères l'enlaidir ». « cher ami, antoine [bibesco] me dit que tu sais ou sauras qui a signé "marc antoine". il est donc extrêmement utile que je me justifie d'effarantes coquilles. Ainsi j'avais mis "mais quand un poète, un vrai poète, un grand poète" etc. "Un grand poète" a été supprimé au journal, de sorte que la phrase devient idiote. Je ne dis pas que la gradation fût merveilleuse ! Mais enfin cela n'a plus aucun sens, le fait que tu es un vrai poète étant inutile à proclamer ! De même, j'aVais parlé pour les Vers de hugo de "pierres sans prix" ce qui était extrêmement banal. on a "des pierres sans feux" ce qui ne fera aucun tort à hugo mais ce qui est imbécile et presque sataniquement imbécile car l'image se suit et cela n'a pas l'air d'une coquille. plus loin, j'aVais dit "pour la postérité le pain de ménage Vaut mieux que la friandise a dit ste-beuVe qui, lui, resta toute sa Vie un pâtissier". La suppression de "lui" et le présent de l'indicatif rend cela absurde. J'avais voulu dire que Ste-Beuve, lui, ne fit jamais que des friandises. Tandis que cela a l'air de signifier que c'est le fait d'un pâtissier de comparer ainsi les livres à du pain et à des gâteaux... ils ont écrit "clartés humides" pour "clartés humaines"... Excuse-moi d'avoir l'air d'attacher q.q. importance à ces lignes absurdes en relevant ainsi les fautes qui les ont rendues méconnaissables. Mais je ne voulais pas que tu m'attribue des bêtises dont je ne suis pas responsable. Bien affectueusement à toi, Marcel Proust » Antoine Bibesco, avec qui Proust était intimement lié depuis le début du siècle, mena une carrière de diplomate tout en écrivant des pièces de théâtre et en traduisant Noël Coward ou John Galsworthy. Belle critique littéraire érudite citant Baudelaire, Chénier, Homère et Hugo — S.l., [vers la fin de juin 1905]. Lettre n° 16 (« 7 »). Proust rend compte du recueil poétique L'Or des Minutes, publié par Fernand Gregh : « Mon cher Fernand, je suis obligé de t'envoyer encore un post-scriptum. Pour te dire que quand je t'ai écrit je n'avais pas encore lu les deux dernières pièces du livre. De sorte que comme "les ancêtres" ne sont pas seulement la plus belle pièce du liVre mais aussi sa pièce capitale, tu pourrais faussement induire de mon silence que je ne l'ai pas aimée. Mon opinion est au contraire celle que tu as exprimée sur "Ève" (enfin la pièce de Victor Hugo, tu sais ce que je veux dire) [allusion au poème de Victor Hugo « Les Malheureux » dans Les Contemplations], que c'est une des plus belles "inVentions" poétiques qu'on puisse faire. On ne peut guère détacher des parties dans une chose si grande qui justement est écrite très différemment du reste, un peu rudement, un peu à fresque, mais enfin l'étymologie de Gregh est très jolie, c'est du chenier au sein de l'Hugo [Gregh écrivait que son nom de famille maltais serait une déformation arabe du mot « grec »]. c'est aussi hugolien, homérique, cette double rangée de morts. tu excelles dans ce "donne" du rêVe comme dans ton rêve d'Hugo – la "force des lions" dans les reins est magnifique. je fais une demi-réserVe pour le soc. car enfin l'image est dans baudelaire. Je sais bien qu'ici elle prend un autre sens, une autre étendue, mais enfin le mot frappe parce que ces Vers sont encore si près de nous. Maintenant je sais bien que tu en as fait quelque chose de si différent. Tout à toi, Marcel Proust ». Proust malade se reconnaît dans un passage de La Légende des siècles — Paris, [18 ou 19 février 1909]. Lettre n° 17 (« 17 »). Proust cite des vers du « Booz endormi » de la légende des siècles de Victor Hugo, et évoque aussi son propre pastiche d'Henri de Régnier à paraître dans le supplément littéraire du Figaro le 6 mars 1909. « Mon cher Fernand, tu as écrit une adorable féerie, une féerie de grand poète qui s'amuse, et se joue à planter partout, dans tout genre, son pavillon [Prélude féerique, conte bleu en vers, paru au Mercure de France en novembre 1908]. Tu as eu la gentillesse de me l'envoyer. Si je ne t'ai pas remercié (car je ne crois pas l'avoir fait), c'est que j'ai été plus malade que je ne peux dire. Et d'ailleurs cela continue. si tu Vois dans un journal un pastiche de moi, n'y Vois pas de contradiction aVec ce que je te dis de ma santé, car ce sont de Vieilles bribes. Si écrire même une lettre ne me faisait si mal à la tête, je t'écrir

Partager