Lot n° 10
Sélection Bibliorare

BAUDELAIRE (Charles). Lettre autographe signée « Charles » à sa mère. [En mer au large de l'estuaire de la Gironde, sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud], 9 juin 1841.

Estimation : 2 000 - 3 000 EUROS
Adjudication : 4 000 €
Description

[mal chiffré « mercredi 8 juin »]. 2 pp. 3/4 in-4, adresse au dos, petite déchirure marginale due à l'ouverture sans atteinte au texte. Dernière lettre connue de Baudelaire avant de mettre à la voile pour l'Océan Indien. « Ma chère et bien aimée maman, pardonne-moi le décousu de ma lettre – je suis pris au dépourvu, nous avons un tel vent qu'avant une heure nous serons en pleine mer et que le pilote va nous quitter. Tous tes envois m'ont fait rire.

On a dépensé moins qu'on ne demandait pour mon départ – mais je m'en serais mieux tiré tout seul pour l'achat de ces vêtements [deux lignes et demie biffées]. le capitaine est admirable. bonté, originalité, instruction. Envoie ceci à Maublanc [l'avocat Gilbert Maublanc, qui agissait peutêtre pour le compte de créanciers de Baudelaire]. fais cadeau à louis de mon Robinson Crusoé. Je le désire. [Louis Ducessois était le beau-frère d'Alphonse Baudelaire, demi-frère de Charles]. je ne Veux pas que tu m'écriVes de lettre comme la dernière. il faut qu'elles soient gaies – je veux que tu manges bien, et que tu sois contente en pensant que [je] s[u]is content. Car c'est vrai. Ou à peu près. Par la prochaine occasion, j'écrirai au général [Jacques Aupick, avec qui sa mère s'était remariée]. Je te l'ai dit, je suis pris au dépourvu, nous avons déjà un tangage assez fort. il y a peut-être bien des choses que j'oublie de te dire, mais on s'en dit beaucoup dans un grand embrassement, et je te le donne de tout mon cœur. Dans la lettre pour Maublanc, il y en a d'autres, aies soin que cela lui soit remis. Le capitaine Saliz te fait mille politesses, et te promet un bon voyage. Nous, nous allons fort bien tous deux et le beau temps le rend gai... à bourbon, je t'en écrirai long, un cahier. » Échappée orientale de Baudelaire. Mécontent de la vie dissipée que le poète menait alors, son beau-père le général Aupick décida de l'éloigner de Paris et de l'envoyer en Inde. Baudelaire sembla accepter ce projet et s'embarqua à Bordeaux vers la fin mai ou le début juin 1841, sur le Paquebot-des-mers-du-Sud commandé par le capitaine Pierre-Louis Saliz.

Le navire ayant essuyé une terrible tempête au large du cap de Bonne-Espérance, il dut subir des réparations à Port-Louis (île Maurice) et à Saint-Denis (La Réunion, anciennement appelée île Bourbon). Baudelaire refusa d'aller plus loin et obtint de rentrer en France où il arriva en février 1842 « avec la sagesse en poche », comme il l'écrivit à son beau-père. Ce voyage vécu sans passion marqua néanmoins profondément l'œuvre littéraire de Charles Baudelaire, qui y puisa une gamme particulière d'harmonies et de sensations – alors même qu'il professait hautement le dégoût de la nature.

Charles Baudelaire, Correspondance, Paris, Gallimard (Nrf, Pléiade), t. I, 1973, pp. 88-89.

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