Lot n° 149

Claire-Élisabeth Gravier de VERGENNES, Comtesse de RÉMUSAT (1780-1821) Dame du palais de l'Impératrice Joséphine, femme de lettres et mémorialiste — L..A. (minute), [début octobre 1810], à l'Impératrice JOSÉPHINE ; 4 pages in-4 ; sous cadre.

Estimation : 500 - 700 €
Adjudication : Invendu
Description
Étonnante lettre écrite à la demande de l'Empereur, pour conseiller à Joséphine de s'éloigner de Paris, à l'annonce de la grossesse de l'Impératrice Marie-Louise.

Elle se prévaut de son attachement à Joséphine, dont elle fut dame du palais, et fait usage de toute son affection et de toute sa diplomatie pour en venir au fait, et de toute sa force de persuasion pour tenter de la convaincre. Nous avons ici un brouillon de la lettre qui fut envoyée et publiée avec quelques variantes
L'Empereur est fort occupé, mais ne cesse de faire demander de ses nouvelles par des voies détournées: “Le plaisir avec lequel était accueilli le récit simple et vrai de la vie que vous menez de vos secrets sentimens, de votre moderation, de ce devouement si continu qui dirige votre conduite m'a bien prouvé que les personnes qui m'interrogeaient étaient sures de plaire en redisant la vérité”. Mais elle en vient au vif du sujet: “La grossesse de l'Impératrice est une joie publique, une espérance nouvelle que chacun a saisi avec empressement. S.M. le comprendra facilement elle à qui j'ai vu envisager cet evenement comme la recompense d'un grand sacrifice. Eh bien, Madame, d'après ce que j'ai cru remarquer autour de moi, il me semble que vous avez encore un pas à faire pour mettre le complément à votre ouvrage et je ne sens la force de m'expliquer que parce que cette dernière privation que la raison semble vous ne sera que momentanée.” Si Joséphine a un moment espéré rencontrer l'Impératrice, Mme de Rémusat lui montre que ce temps n'est pas venu, et que l'Impératrice est trop sensible; elle raconte que Napoléon lui proposa de visiter la Malmaison “son visage se couvrit de larmes et les marques de son agitation devinrent trop visibles pour qu'il fut possible d'insister. Cette disposition presqu'inseparable d'un attachement un peu vif ne pourrait qu'etre augmentée dans ce moment par votre présence.” Certes l'Empereur est encore attaché à Joséphine: le Grand Maréchal du Palais [Duroc] lui a dit qu'il “n'osait point faire expliquer l'Empereur sur un sujet qu'il ne touche qu'avec douleur, il m'a parlé avec un accent vrai de l'attachement que vous inspirez encore, mais qui doit lui-même inviter à une grande circonspection. Les nouvelles situations inspirent de nouveaux devoirs et il appartient à une âme comme la votre de vous interdire tout ce qui pourrait entrainer l'Empereur à manquer aux siens. Ici, au milieu de la joie que va causer cette grossesse à l'époque de la naissance d'un enfant attendu avec tant d'impatience, au bruit des fêtes qui suivront cet evenement, que feriez-vous? Que ferait l'Empereur lui-même, lui qui se devrait aux ménagements qu'exigerait l'état d'une jeune mère, et qui serait troublé par le souvenir de ce qu'il vous doit aussi. Il souffrirait beaucoup sans doute, mais vous aussi, Madame, vous souffririez, vous n'entendriez pas impunément le cri de tant de réjouissances, livrée peut-être à l'oubli du public, pou devenue l'objet de la compassion, je dirais presqu'insultante des quelques-uns, puisque vous serviriez de prétexte à la malveillance”. Cette situation l'obligerait sans doute à s'éloigner pour longtemps, et on penserait qu'elle fuit par ordre: “Vous perdriez tout l'honneur que donne l'initiative dans une conduite courageuse”. La comtesse de Rémusat a beaucoup parlé avec son mari et le Grand Maréchal [Duroc] qui a laissé entendre qu'il fallait éviter à l'Empereur “un embarras dont sa tendresse pour vous souffrez que je le dise l'empêche seule de sortir” Elle aura ainsi sa reconnaissance et pourra revenir plus tard et plus surement. Elle lui conseille de voyager, d'aller à Milan voir son fils; en Italie “vous rencontrerez à chaque pas de souvenirs que l'Empereur de s'iritterait point de voir renouveller parce qu'ils s'unissent pour lui à l'époque de sa première gloire”. L'hiver passé, elle pourrait regagner Navarre: “Le tems ce grand reparateur de toutes choses aurait tout consolidé, et vous auriez mis le complément à cette conduite si noble qui vous assure la reconnaissance de toute une nation. Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble qu'il y a encore du bonheur dans l'exercice d'un pareil devoir”. Elle insiste encore sur la grandeur de son sacrifice, tout en la flattant: “Si vous etiez moins sure de l'effet que peuvent produire les graces de votre personne, peut-être votre rôle serait-il moins difficile, mais il me semble que c'est parce que votre Majesté sait très bien qu'elle possède des avantages qui peuvent établir une concurrence qu'elle doit avoir la délicatesse de tous les procédés”.
On joint une note de son fils Charles de Rémusat, confirmant le fait que la lettre a été écrite à l'instigation de Napoléon: “Elle ne fit que ce que faisait tout le monde, obéir à l'Empereur”.
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