Description
Maupassant, rédigés par son ami intime Léon Fontaine, dit « Petit Bleu » ; précieux témoignage sur leur jeunesse, sur la vie de « Joseph Prunier » (surnom de Maupassant), puis sur son déclin et sa fin tragique, mais aussi sur ses œuvres. Le premier manuscrit (38 pages, incomplet du début, paginé 5-39), signé en fin « Petit Bleu », probablement rédigé en vue d’une causerie avec Pierre Borel, a dû servir à la rédaction du livre Le Destin tragique de Guy de Maupassant, publié sous les noms de Pierre Borel et « Petit Bleu » (Les Éditions de France, 1927). Il présente des ratures et corrections, des annotations marginales, et des variantes avec le texte publié. Le manuscrit commence lors de l’évocation du Casino d’Étretat : « Prunier et ses camarades y avaient leur “ardoise” et Joseph n’était pas exigeant pour le règlement des parties de billard et des bols de punch »... Fontaine raconte ensuite les excursions que le chef incontesté de la bande, Prunier (Maupassant), qui connaissait « dans les moindres replis la Côte où il avait été élevé », leur faisait faire dans tout le pays, les falaises, les grottes, etc. : ils partaient à pied, marchaient grand train jusqu’à Saint-Jouin « où l’on festoyait et s’attardait à l’auberge de “La Belle Ernestine”, une bonne et saine Normande ». Il rappelle que Maupassant avait aussi connu le poète anglais Swinburne à Étretat en 1868, et que ce dernier lui avait donné « une affreuse main d’écorché » dont il s’inspira pour écrire sa première nouvelle publiée sous le pseudonyme de Joseph Prunier (La Main d’écorché, Almanach Lorrain 1875). Puis c’est la vie à Paris : « Donc Joseph Prunier et Petit Bleu, vers leur vingtième année, étaient si bons camarades qu’ils passaient presque toutes leurs soirée ensemble à Paris »... Fontaine décrit la « modeste chambre » de Maupassant, 2 rue Moncey, et raconte les nuits magiques que les deux amis y passaient : « après s’être gavés de prose toute la journée, ils se saoulaient de poésie toute la soirée ». Mais dès le printemps, ils louaient une chambre dans une guinguette d’Argenteuil, qui « se transformait souvent en dortoir les soirs où “la bande” était réunie » : il évoque alors « les folles journées de canotage » sur leur yole La Feuille de rose : « ils fumaient force pipes, buvaient sec, et faisaient des charges abracadabrantes, auxquelles se complaisait Prunier [...] Ils étaient jeunes, ils étaient gais, ils avaient besoin de se dépenser »... En automne, Prunier et Petit Bleu vont chasser l’alouette dans la plaine de Bezons... Fontaine brosse un beau portrait de Maupassant : « Ah ! quel beau et solide gars était alors Maupassant, le cou, le torse et les biceps d’un athlète », hardi, intrépide et toujours gai, mises à part les terribles migraines qui parfois le terrassaient... Le premier volume de poésie de Maupassant lui valut une certaine estime ; il raconte les visites chez Flaubert, la joie de ce dernier à les recevoir, et leurs discussions passionnées de littérature... Il raconte la représentation de la pièce de théâtre scandaleuse, À la Feuille de rose, maison turque, dans laquelle il jouait une odalisque, et à laquelle assistèrent Zola, Flaubert, Daudet, Tourgueniev, etc. ; la première de l’Histoire du vieux temps, la véritable première pièce de Maupassant ; puis le succès de Boule de Suif dans Les Soirées de Médan, qui valut aussitôt à Maupassant « une grande notoriété et les journaux se disputèrent sa collaboration ». Ils déménagent alors dans un petit appartement au bord de l’eau à Sartrouville, où il travaille à Une Vie et à La Maison Tellier ; nombreuses anecdotes, notamment d’un déjeuner chez Zola à Médan... « Puis vinrent les années laborieuses » : le travail, l’écriture, puis enfin le soleil de la Côte d’Azur, Cannes, les sorties et croisières sur son bateau le Bel Ami... Fontaine explique aussi comment l’état psychologique de son ami s’est peu à peu altéré, avec « le surmenage de son existence, les névralgies qui le faisaient tant souffrir, les remèdes de toute sorte qu’il prenait pour les calmer, l’excès de travail »… Il raconte sa tentative de suicide, le transport à Paris à la clinique du Dr Blanche « où il végéta dix-huit mois avant de s’éteindre le 6 juillet 1893 »... Puis il consacre un chapitre aux « femmes de Maupassant », faisant remarquer que chez lui « c’est le plus souvent la femme qui est la sacrifiée, la victime de l’amour » : il étudie ainsi les héroïnes de ses ouvrages, et conclut : « Maupassant n’était pas un sentimental non plus qu’un passionné [...] C’était un gourmand d’amour, avec beaucoup d’appétit et un tempérament robuste »... Le second manuscrit, de 22 pages, est une analyse des nouvelles fantastiques de Maupassant, mises en perspective avec ses problèmes mentaux et sa fin tragique : « Bien que son œuvre témoigne de tant de santé, d’équilibre et de lucidité, Maupassant a toujours été attiré par l’étrange, le mystérieux, les sujets de folie, de peur, de cauchemar. Il n’y a pour ainsi dire pas un de ses volumes de contes, pourtant si gais, qui n’en renferment d’écrits sous cette inspiration ; et l’on pourrait, en les réunissant, composer un recueil de contes fantastiques ». Il évoque plusieurs nouvelles et contes, dont La Main, Sur l’eau, Fou, La Peur, Le Horla, etc. Maupassant écrit ces contes par goût du bizarre et de l’étrange, en y mêlant de plus en plus un frisson d’angoisse personnelle : « On sait qu’il a eu souvent des hallucinations », mais il en parlait avec tant de lucidité qu’on ne pouvait penser qu’elles aboutiraient au naufrage de sa raison. À quel moment les premiers symptômes ont-ils apparu ? Il est difficile de préciser, son entourage intime ne s’en aperçut que quelques mois avant sa tentative de suicide. Mais quelles affres, dont par fierté il ne faisait confidence à personne, a dû ressentir le pauvre grand écrivain, quand il put appréhender le dénouement fatal ! »...