Description
► SUPERBE CANIVET MULTICOLORE, ENLUMINÉ ET ARGENTÉ :
ÉCLATANTE RELIURE DE MAROQUIN À DENTELLE.
"UN OUVRAGE UNIQUE FAIT DE MES MAINS AVEC LE CIZEAU" (GAIGNAT).
EXEMPLAIRE DE DÉDICACE PROVENANT DES ANCIENNES COLLECTIONS PORTALIS ET GREFFULHE
♦ Canivet signé de "Gaignat" à la fin de la dédicace et "GT perforavit" à la fin du volume
In-4 (190 x 130mm).
─ COLLATION : 4 ff. n. ch., 1-16 ff. foliotés 1 à 16, soit 20 feuillets en tout
CANIVET : chacun de ces feuillets est perforé par le texte de la prière du Notre Père dont chacune des phrases est écrite en lettres romaines surmontant un commentaire en italiques se prolongeant parfois sur la page suivante. Un tel effet est obtenu par un "découpage, au moyen d'un canif à lame lancéolée appelé canivet. Une technique intermédiaire entre la dentelle et la calligraphie, plus utilisée dans le domaine de l'image que dans celui du livre" (I. de Conihout)
→ CHAQUE FEUILLET LAISSE PERCEVOIR AU TRAVERS DE SES PERFORATIONS LE FOND COLORÉ DU FEUILLET SUIVANT TANTÔT NOIR, DORÉ OU D'UNE AUTRE COULEUR.
À partir de la p. 6 les feuillets de texte sont bleus (2), verts (2), roses (2), violets (2), noirs (2) et jaunes (2) ; les feuillets de fond sont dorés, argentés ou jaunes dans une alternance régulière créant un effet multicolore.
─ CONTENU :
• [f1r] titre dans un encadrement à l'encre rouge :
Pieux entretien, [f2r] : À son Altesse Sérénissime Madame la Princesse de Conti : dédicace signée Gaignat en bas du [f4r], RELIURE DE L'ÉPOQUE. Maroquin rouge, décor doré, grandes dentelles sur les plats à motif de fleurs de lys, armes mosaïquées de la Princesse de Conti au centre des plats, dos long doré à compartiments orné d'un motif de fleurs de lys avec un titre poussé en lettres d'or : "Entr[etien] avec Jésus", tranches dorées, gardes de tabis bleues
─ PROVENANCE :
• Princesse de Bourbon Conti, née Fortunée d'Este (1731-1803). Elle épousa en 1759 Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti (1734-1814), Comte de la Marche et dernier Prince de Conti. Titrée à son mariage Comtesse de la Marche, elle devint
Princesse de Conti en 1776 à la mort de son beau-père.
Née à Modène en 1731, elle était fille de François III, Duc de Modène et, par sa mère Charlotte-Aglaé d'Orléans, petite-fille du Régent - Baron Roger Portalis (sa vente, Catalogue de beaux livres, Paris, Ch. Porquet, 1882, lot 3, 520frs, "curieux volume exécuté pour Madame la Princesse de Conti.
Il est orné d'une riche reliure et porte sur les plats les armes de la Princesse sur maroquin vert... 20 feuillets...
La dédicace est signée Gaignat") - Comte Greffulhe (ex-libris), ce livre n'apparaît ni dans la vente de décembre 1937 ni dans celle de Sotheby's Monaco en 1982 - Librairie Rodolphe Chamonal (1992).
→ Le second feuillet de ce canivet a disparu après la vente Portalis, sa décharge sur le feuillet doré suivant a permis sa remarquable reconstitution.
→ Remarquable par son mode de fabrication, ce livre, ni manuscrit ni imprimé, est composé de lettres "découpées à jour", selon un procédé appelé canivet à cause du petit canif qui servait à évider texte et images : la technique en est simple mais requiert tant de dextérité et de patience que ces singularités bibliographiques sont extrêmement rares.
Leur grand initiateur fut au début du XVIIe siècle, le maître écrivain Nicolas Gougenot, né en 1580 et actif à Paris. Il fut ainsi à l'origine d'un groupe de livres puisque ce style se prolongea jusque vers le milieu du XVIIe siècle. Le plus célèbre d'entre eux est intitulé Recueil de prières à l'usage du roi Louis XIII (BnF Mss français 24749). On connaît outre celui-ci quatre autres canivets appartenant à ce groupe (BM Rouen 3032, Bibliothèque Vaticane, Barberini 369, BM Brighton, collection Hauck).
La vente Hauck chez Christie's à New York présentait donc un somptueux cut-vellum book (Christie's New York, 27 et 28 juin 2006, lot 285, $168.000). Livres de grand luxe, ils servaient très certainement aux cérémonies les plus importantes de la Cour et plus particulièrement à celle de l'Ordre du Saint-Esprit.
La structure de celui de la BnF s'apparente à celui-ci, qui, quoique bien plus tardif puisque réalisé au XVIIIe siècle, présente ses feuillets de papier découpés sur des fonds de papier colorés, argentés ou dorés pour rendre plus lisible encore le canivet lui même. Ce magnifique canivet aujourd'hui conservé à la BnF était ainsi décrit dans le catalogue du duc de La Vallière : "Infiniment précieux. Il est dans le genre de celui qui est annoncé par Prosper Marchand, à la p. 5 de son Histoire de l'imprimerie (...) le Volume que nous annonçons n'est ni écrit ni imprimé mais les caractères formés avec un emporte-pièce, sans le plus légér défaut, en sont percés à jour. Il a fallu une patience bien exercée pour avoir le courage de mener un livre aussi difficile à son entière confection." (Cat. La Vallière, I, 1783, n° 307, p. 117).
→ Le présent canivet est signé deux fois par Gaignat. Il s'agit très probablement du financier Louis-Jean Gaignat (1687-1768), remarquable collectionneur de livres, de tableaux et d'objets d'art dont la proximité avec le duc de La Vallière était certaine. Le catalogue de la bibliothèque de Gaignat fut rédigé par Debure et adjoint comme Supplément à sa fameuse Bibliothèque instructive. Gaignat connaissait certainement le célèbre canivet de la collection La Vallière et put s'en inspirer pour réaliser celui-ci, dans une sorte de passe-temps bibliophilique suprême et avec une "patience bien exercée". Dans la droite lignée des livres de cour du XVIIe siècle, ce livre remarquable fut dédié à Fortunée d'Este, comtesse de La Marche par son mariage (malheureux) avec le fils du Prince de Conti. Elle devint Princesse de Conti à la mort de son beau-père en 1776.
La dédicace du présent exemplaire anticipait sur cette distinction par une sorte de maladresse toute artisanale.
Ce livre de grand luxe a appartenu au Baron Portalis. Historien de l'art réputé, auteur du premier recensement des manuscrits de Nicolas Jarry et d'une belle biographie de Fragonard, les livres de sa collection sont réputés pour leur qualité. Dans la description de sa vente de 1882, le livret comporte bien "20 feuillets". Chacun d'eux est d'une grande fragilité. Malheureusement le second feuillet, celui de la dédicace, a disparu du livre depuis cette vente. Le report du texte sur le feuillet doré suivant a heureusement rendu possible la constitution d'un facsimilé en canivet au libraire qui a possédé ce merveilleux livre après sa sortie des collections Greffuhle.
─ RÉFÉRENCE :
• "Les exemples connus de livres réalisés selon cette technique sont rarissimes : aux sept canivets décrits dans le très bel article consacré en 1964 par Mgr Ruysschaert à ces «manuscrits découpés» («Les quatre canivets du manuel de prières de l'Ordre du Saint-Esprit : Philippe Desportes et le livre d'heures au XVIe siècle», in Studi di bibliografia... in onore di Tammaro de Marinis, t. IV, 1964, p. 61-100), je n'ai pu ajouter que quatre ou cinq (en comptant un manuscrit du XVIIIe siècle réalisé pour Fortunée d'Este, Princesse de Conti" (I. de Conhout, «Bijoux de dévotion.
Canivets, reliures et livres de luxe pour Marie de Médicis» Henri IV. Art et pouvoir, 2016, pp. 219-257) - sur le canivet de la Bnf, cf. http://classes.bnf.fr/dossisup/grands/ec061a.htm