Lot n° 486

LOUŸS Pierre (1870-1925). L.A.S. « P. », [Paris] Lundi soir [15 mai 1916], à son frère Georges LOUIS ; 5 pages et demie in-8 à l’encre violette, enveloppe.

Estimation : 1 000 - 1 500 €
Adjudication : Invendu
Description
Belle lettre évoquant son amitié et sa correspondance avec Paul Valéry.

« La preuve que je suis en train d’écrire, c’est que je retrouve mon sujet partout. L’autre jour j’avais écrit à Valéry une longue lettre, à propos de ma Poëtique. – Il m’a répondu tout de suite, une lettre où il commençait par me remercier de tout ce qu’il avait senti d’affectueux pour lui dans le fait même que j’avais passé une partie de ma soirée avec lui sans qu’il fût là. Je lui réponds à mon tour – autant que je m’en souviens – “C’est si rare les amis qui soupçonnent l’affection sous quelque chose. Il n’y a guère que deux sortes de gens : ceux qui ne soulèvent pas la pierre parce qu’ils pensent qu’il n’y a rien dessous, et ceux qui ne soulèvent pas la pierre parce qu’ils sont certains d’y trouver un cloporte.” […] Un peu trop imagée pour une lettre amicale ; et je ne savais pas bien pourquoi je prenais une si belle métaphore […] pour répondre à l’amitié simple, si peu littéraire, de Valéry. J’avais l’air de me mettre en grand uniforme pour le recevoir lui en pantoufles. Mais j’ai eu à peine le temps de me dire cela. En relisant ma phrase, je me suis rappelé :
“Soulevez la pierre, vous trouverez Dieu” – la plus belle ligne des Logia inédits de Jésus découverts en Égypte il y a une vingtaine d’années. Le dieu des évangiles, c’est “agapê”, c’est l’affection : – juste le sens, ou plutôt le but, où allait, à mon insu, tout le paragraphe ».
Racontant dans sa lettre à Valéry comment lui était venue cette métaphore, « je n’ai pas manqué d’ajouter que c’était la démonstration du principe : dernière parole, première pensée. Cela me paraît un exemple-type ; à ce point que j’ai envie de le raconter (en d’autres termes et aussi simplement que possible) dans ces projets de notes qui accompagneront peut-être la plaquette [Poëtique]. […] Suppose un instant que le même mot soit dans le rôle d’Hermione, et vois quel autre sens il aurait ! Il signifierait “Je te hais, et je t’aime !” Ce ne serait plus une nuance, mais un “ton”. – C’est terriblement délicat d’écrire “ne pas”. […] Si je recherchais les négations de mes livres ! Et surtout de mes lettres ! Combien j’en trouverais de malheureuses ! »…

Mille lettres inédites de Pierre Louÿs à Georges Louis, p. 824 (n° 614).

• Catalogue Pierre Louÿs (Librairie Jean-Claude Vrain, 2009, n° 408).
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