Lot n° 473

LAMARTINE Alphonse de (1790-1869). L.A.S. « Alph. de Lamartine », Saint-Point par Mâcon 8 juin [1823], à Victor HUGO ; 4 pages in-4.

Estimation : 1 000 - 1 500 €
Adjudication : 1 560 €
Description
Belle et importante lettre sur la fondation de la revue La Muse française.

« Non mon cher Victor je ne vous oubliois point. Vous n’êtes pas de ce vulgaire des esprits qui ne laissent pas plus de trace que la foule dans nos rues. Vous êtes de ceux dont on aime à se souvenir dans le monde et dans la solitude ; la meilleure partie de vous-même y est avec moi, et ces jours-ci encore nous nous occuppions de vous en famille, nous relisions vos ravissantes poësies et votre terrible Han [Han d’Islande]. Soit dit en passant, je le trouve aussi trop terrible, adoucissez votre palette, l’imagination comme la lyre doit caresser l’esprit, vous frappez trop fort : je vous dis ce mot pour l’avenir, car vous en avez un et je n’en ai plus. Je me retire décidément de ce monde littéraire où j’ai à peine fait un premier pas, je crois même que je me retire de tous les mondes possibles car je ne vois plus comment ni quand ni pourquoi je quitterai l’azile obscur où je suis maintenant »…
Lamartine, éloigné de Paris, n’étant plus au courant de ce qui s’écrit ou se pense, ne peut donc accepter que son nom figure parmi ceux du journal. « L’idée m’en paroît nécessaire, le plan bien tracé, les collaborateurs dignement choisis, je serai un de vos premiers abonnés, mais je ne puis décemment accepter une sinécure dans cette ruche où chacun apportera son miel et où je n’apporterois absolument rien »…

Quand Émile DESCHAMPS lui en parla cet hiver, il croyait « pouvoir passer quelques mois de l’année parmi vous écrire ou verseggiare dans ce journal, mais ma position s’est empirée et le res augusta domi me presse trop pour que je puisse de longtems sortir de mes montagnes. […]
Quant à vous mon cher Hugo vous devez accepter tout ce qu’on vous offre si naturellement dans cette entreprise où votre nom est une assez forte avance. Mais si cela vous répugne trop fort, voilà ce que je vous propose et vous prie en ami d’accepter. Entrez comme fondateur et moi qui ne peux y mettre ni nom ni esprit, j’y mettrai bien volontiers les mille francs convenus. Cela restera entre nous deux, vous me les rendrez quand ils seront couverts et au-delà par les bénéfices de l’ouvrage. Vous concilierez ainsi toute convenance, et vous resterez à portée d’utiliser pour l’avenir les avantages peut-être considérables qui résulteront de l’entreprise. Songez que nous sommes des frères en poësie, en doctrines, en Relligion et j’espère en sentiments. Ce seroit d’un mauvais cœur de refuser »… Il est désolé de la banqueroute de son libraire [Ladvocat], « mais vous en enrichirez d’autres. Vous avez vingt deux ans, une bonne santé, une femme charmante, une belle ame et un génie, il y a de quoi tout réparer. Écrivez mais surtout chantez ! Quand on a été nourri de l’ambroisie des vers, le vil pain de la prose ne passe plus à l’esprit. – J’en suis là, je voudrois des vers et toujours des vers entraînants, ravissants, sublimes, aussi je ne lis plus guères. Je ne fais plus rien non plus, et je sens que je ne ferai rien dans l’avenir, c’est à vous à me nourrir et à me consoler »…
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