Description
♦ Belle lettre à son ami Franz Werfel, à propos de sa pièce Schweiger, que Kafka a jugée mauvaise, et qu’il a violemment critiquée.
En 1922, Franz WERFEL (1890-1945) publie Schweiger, drame expressionniste en trois actes, qui déplaît vivement à Kafka. Lettre de Kafka à Max Brod :
«Hier Werfel est venu me voir avec Pick, cette visite, qui autrefois m’aurait fait grand plaisir, m’a plongé dans le désespoir. Car W. savait que je connais Schweiger, je prévoyais donc que j’aurais à lui en parler. S’il ne s’agissait que d’un mécontentement ordinaire, on peut éluder un pareil sentiment ; mais la pièce signifie beaucoup pour moi, elle me touche de très près, elle m’atteint atrocement dans la région la plus atroce, j’étais à mille lieues de penser qu’il me faudrait un jour en parler à Werfel, moi-même je ne voyais pas bien clairement les motifs de mon aversion, car il n’y avait pas eu pour moi le moindre débat intérieur en ce qui concerne la pièce, mais uniquemment le désir de m’en débarrasser. [...] Que pouvais-je dire à Werfel, Werfel que j’admire, que j’admire même dans cette pièce, mais là il est vrai à cause de la force qu’il faut pour patauger dans ces trois actes de boue ? » Selon Peter Stephan Jungk dans sa biographie (Franz Werfel, Albin Michel, 1990), Werfel est en larmes quand il quitte Kafka ce jour-là. Le surlendemain de leur discussion, Kafka prépare un long brouillon, qui est resté dans les pages de son Journal, pour expliquer sa réaction, tout en critiquant sévèrement la pièce ; puis, probablement après avoir reçu une lettre de Werfel, il rédige cette nouvelle lettre, atténuant quelque peu sa critique, sans rien renier de ses réticences.
« Lieber Werfel, nach meiner Aufführung bei Ihrem letzten Besuch konnten Sie nicht wieder kommen, das wusste ich ja. Und ich hätte Ihnen gewiss schon geschrieben, wenn mir nicht das Brief-Schreiben allmählich so schwer würde wie das Reden und wenn nicht sogar das Brief-Wegschicken Schwierigkeiten machen würde, denn einen Brief hatte ich für Sie schon fertig. Es ist aber unnütz, alte Dinge wieder aufzunehmen ; wohin käme man, wenn man niemals davon ablassen würde, alle seine alten Kläglichkeiten immer wieder zu verteidigen und zu entschuldigen. Nur dieses, Werfel, was Sie ja wohl auch selbst wissen müssen : Wenn es sich um ein gewöhnliches Missfallen gehandelt hätte, dann wäre es doch vielleicht leichter zu formulieren gewesen und wäre dann überdies so belanglos gewesen, dass ich darüber gut ganz hätte schweigen können. Es war aber Entsetzen und das zu begründen ist schwer, man sieht verstockt und zäh und widerhaarig aus, wo man nur unglücklich ist. Sie sind gewiss ein Führer der Generation, was keine Schmeichelei ist und niemandem gegenüber als Schmeichelei verwendet werden könnte, denn diese Gesellschaft in den Sümpfen kann mancher führen. Darum sind Sie auch nicht nur Führer, sondern mehr (Sie haben Ähnliches selbst in dem schönen Vorwort zu Brands Nachlass gesagt, schön bis auf das Wort von dem “freudig Lug-Gewillten”) und man verfolgt mit wilder Spannung Ihren Weg. Und nun dieses Stück. Es mag alle Vorzüge haben von den theatralischen bis zu den höchsten, es ist aber ein Zurückweichen von der Führerschaft, nicht einmal Führerschaft ist darin, eher ein Verrat an der Generation, eine Verschleierung, eine Anekdotisierung, also eine Entwürdigung ihrer Leiden.
Aber nun schwätze ich wieder, wie damals und das Entscheidende zu denken und zu sagen bin ich unfähig. Bleibe es dabei. Wäre nicht meine Teilnahme, meine höchst eigennützige Teilnahme an Ihnen so gross, ich würde nicht einmal schwätzen.
Und nun die Einladung; hat man sie als Dokument in der Hand, bekommt sie ein noch grossartigeres wirklicheres Aussehn. Hindernisse sind die Krankheit, der Arzt (den Semmering lehnt er wieder unbedingt ab, Venedig im Vorfrühling nicht unbedingt) und wohl auch das Geld (ich müsste mit 1000 K[ronen] monatlich auskommen können), aber das Haupthindernis sind sie gar nicht. Von dem Ausgestrecktsein im Prager Bett bis zu dem aufrechten Herumgehn auf dem Markusplatz ist es so weit, dass es nur die Phantasie knapp überwindet, aber das sind ja erst die Allgemeinheiten, darüber hinaus etwa die Vorstellung zu erzeugen, dass ich z.B. in Venedig in Gesellschaft mittagesse (ich kann nur allein essen) das verweigert sogar die Phantasie. Aber immerhin, ich halte die Einladung fest und danke Ihnen vielmals.
Vielleicht sehe ich Sie im Jänner. Leben Sie wohl! Ihr Kafka »
« Après mon comportement lors de votre dernière visite, vous ne pouviez pas revenir, je le savais. Et je vous aurais certainement déjà écrit, si écrire ne m’était pas aussi difficile que parler, et si le fait même d’expédier une lettre ne présentait pas tant de difficultés, car j’avais déjà une lettre prête pour vous. Mais il est inutile de ressasser les vieilles choses ; où irait-on si l’on ne renonçait jamais à défendre ses bassesses et à présenter ses excuses ? Voyez seulement ceci, Werfel, que vous devez certainement déjà savoir : s’il s’était agi d’un mécontentement ordinaire, cela aurait peut-être été plus facile à formuler et de plus si peu pertinent que j’aurais pu me taire à ce sujet. Mais c’était effroyable et c’est difficile à justifier, on est obstiné, dur et récalcitrant, là où l’on est seulement malheureux. Vous êtes certainement un chef de file de la génération, ce qui n’est pas une flatterie et ne pourrait être utilisé comme flatterie envers quiconque, puisque cette société enlisée dans les bourbiers, plus d’un peut la guider ». Et Kafka évoque la belle préface de Werfel aux œuvres posthumes de Karl BRAND, qui montre qu’il est plus qu’un guide...
« Et maintenant cette pièce. Elle peut avoir toutes les qualités, qualités théâtrales et voire plus élevées, mais elle n’en marque pas moins un recul de votre rôle de guide […] et même une trahison de notre génération, une dissimulation, une anecdotisation, et par conséquent un avilissement de ses souffrances. Mais voilà que je bavarde encore, comme je l’ai fait l’autre jour, et je suis incapable de penser et de dire ce qui est décisif. J’en reste là. Si mon intérêt pour vous n’était pas aussi grand, un intérêt hautement personnel, je ne bavarderais même pas ». Puis il est question d’une invitation qu’il se voit contraint de décliner en raison de la maladie, du médecin qui lui déconseille le Semmering, un peu moins Venise au début du printemps, et aussi à cause de l’argent – « il faudrait que je me débrouille avec mille couronnes par mois ». Mais la raison principale est qu’il lui paraît impensable de pouvoir quitter la position allongée sur son lit de Prague pour aller déambuler sur la place Saint-Marc. Il remercie néanmoins Werfel de son invitation…
Œuvres complètes (Pléiade), t. III, p. 1203.