Lot n° 464

HUGO Victor (1802-1885). Carnet autographe avec 2 dessins originaux, [Paris et Guernesey] 15 juin-31 décembre 1872 ; carnet in-8 (11,5 x 17,4 cm) de 126 ff. lignés en bleu et verticalement en rouge pour des comptes (plus 8 vierges ; le f. 10...

Estimation : 40 000 - 50 000 €
Adjudication : 52 000 €
Description
détaché ; quelques petits trous causés par décollement des pièces jointes), dos toilé percaline lie de vin portant un « 3 » autographe, plats de papier gaufré brique ; chemise demi-maroquin grenat et étui.► Précieux carnet autographe de Victor Hugo, enrichi de deux dessins, véritable journal de sa vie privée et sociale, recueillant des événements, observations et réflexions concernant son œuvre, sa famille et ses proches, et son engagement politique en faveur des condamnés de la Commune.

[Des extraits de ce carnet figurent dans le tome XVI-XVI/2 des Œuvres complètes du Club français du Livre, éd. Massin, 1970, p. 787-795.]

Ce petit carnet couvre la période qui va du 15 juin au 31 décembre 1872. Au recto de chaque page se trouvent, outre la comptabilité financière et amoureuse, des noms d’amis venus dîner ou parler affaires, des observations personnelles, ou des récits d’événements survenus pendant la journée.

De nombreuses pages sont consacrées aux petits faits de sa vie ou à l’émerveillement que lui procurent ses petits-enfants Georges et Jeanne, pendant le deuxième semestre 1872 au cours duquel Hugo passa plusieurs semaines à Guernesey, malgré son retour d’exil.
Hugo y a consigné des notes sur l’ébauche de son roman Quatrevingt-treize, des demandes de rôles et des recettes de théâtre à Paris, des événements à Guernesey (dîners des enfants pauvres, un concert, un naufrage), ses joies et chagrins de père et surtout de grand-père, et, à partir de septembre, en espagnol et en latin, des allusions à un flirt, peut-être le prélude de sa liaison avec Blanche Lanvin, qui, dès novembre, fait l’objet d’entrées sous le nom d’« Alba ».

La plupart des feuillets sont écrits sur le recto seulement ; en regard, Hugo a collé une variété de documents : 5 photographies : portraits de V. Hugo (Étienne Carjat & Cie), Greppo (Thiébault) et deux de Julie Chenay (Arsène Garnier), ainsi qu’un groupe de sonneurs de cloches gallois ; 11 cartes de visite, dont 2 autographes (par Léopold Flameng et Mme Rattazzi), et 2 signatures tenant lieu de carte (Ladislas Mickiewicz et Judith Mendès) ; des coupures de presse et billets à lui adressés ; un télégramme de son fils François-Victor ; un fragment autographe de comptes, etc.
Il y a également collé un dessin original à la mine de plomb, représentant la tête de proue de « la Louise. 18 Xbre 1872 quai du port » (112 v°).

Un autre dessin original, à la plume, figure à la fin de l’entrée du 22 août : il représente de profil la petite-fille du poète, Jeanne, coiffée d’un chapeau « improvisé » par son grand-père.
De ce carnet très riche en détails de sa vie quotidienne, émaillé d’anecdotes sur ses contemporains, nous ne pouvons donner que quelques extraits.
Citons intégralement la première page, bien caractéristique des notations de ce carnet :
•« 15 juin. – Je prends aujourd’hui mes habitudes d’été. J’ai fait enlever les cendres et fermer ma cheminée.
Je prends mes effusions d’eau froide désormais au saut du lit.
– photographies achetées hier et aujourd’hui rue Lafayette –– 8-55
– La marchande m’a pris pour un peintre et s’est offerte à moi comme modèle. Elle est veuve depuis deux mois. C’est en me voyant regarder un tableau, faux Watteau, qu’elle veut vendre qu’elle m’a dit : – Je crois reconnaître “Monsieur”. Monsieur n’est-il pas peintre ? – J’ai répondu par hasard oui. – Cette insouciance m’a valu l’offre.
– J’ai écrit pour M. Ernest Blum qui désire la direction de l’Odéon, une lettre à M. Herold, dont il paraît que cela dépend.
– Visite de Melle Carle Léone actrice, 120, r. St Lazare – m’a dit la Tisbé.
– Visite de Melle Nelly, l’amie de Jules Favre. – m’a dit le 1er acte de Marie Tudor.
– touché chez Hachette les derniers 1000F échus le 15 juin aux termes de notre traité.
– barbe et cheveux ——— 90c
– Nous avons eu à diner M. et Mme Paul Meurice, Charles Blanc, Ernest Blum, M. et Mme Louis Blanc.
– Après le dîner beaucoup de monde. »
•Juin. 16, note sur sa fille Adèle folle : « Ma pauvre enfant, que j’ai vue avant-hier, me paraît décidément un peu mieux. Elle a été presque tendre, et m’a témoigné un vrai désir de me voir souvent »…
•17, visite de Sarah BERNHARDT, « venue me remercier de ce que je fais pour la troupe de l’Odéon » ; dîner avec Georges et Jeanne : « Après le dîner je leur ai conté le conte de la bébête qui remet un bouton au gilet de papapa ».
•19 : « Nous avons eu à dîner Gambetta, Spuller, Vacquerie, Meurice, E. Lockroy ».
•21, à Saint-Mandé avec Juliette Drouet, « elle voir sa fille morte, moi voir ma fille, hélas, plus que morte. – Profond deuil ». 23 : « Mme Judith Mendès. Nous avons parlé de son père qui est malade et travaille pour vivre. Je lui [ai] offert de prendre Théophile GAUTIER avec moi, chez moi à Hauteville house, et d’être son hôte, son garde-malade et son frère, jusqu’à la fin de lui ou de moi »…
•24. Visite à Louise Colet malade ; soirée aux Français, avec Les Femmes savantes « dont l’idée-mère est une erreur de Molière », et Le Mariage forcé, « œuvre très fantasque avec un fond de vrai éternel J’ai écrit à Jules Simon pour Théophile Gautier. […] Mme Judith Mendès avait vu Jules Simon et en était fort blessée. Il paraît que Jules Simon ne sait pas ce que c’est que Théophile Gautier ».
•25. « Mme Rastoul est venue. Son mari a été transféré avec Rochefort à l’île d’Oléron. Ils sont là tous deux dans une casemate avec cinquante autres prisonniers, en promiscuité, c’est épouvantable. Que faire ? Je vais tâcher de mettre en mouvement cette gauche, si difficile à remuer ».
•26, il a réussi à obtenir des secours pour Théophile Gautier ; projet de reprise du Roi s’amuse.
•30 : « J’ai mis en ordre le manuscrit de l’Année Terrible pour l’emporter ».
•Juillet. 1er. Mot de Jeanne au sujet d’une tête de mort. 3, conversation avec Peyrat, Brisson et Naquet « pour l’amélioration de la situation des détenus politiques ». 5, travail au milieu des petits-enfants qui jouent.
•7 : « Encore deux fusillés hier matin, Baudouin et Rouillac » ; visite d’un horticulteur apportant un géranium baptisé le Victor Hugo qui « se vend par milliers, parce que ou quoique Victor Hugo ».
•10, dîner avec Théophile Gautier et sa fille Judith Mendès ; Mismer, de retour de Turquie, pousse Hugo à y aller : « J’y serais bien accueilli, à ce qu’il paraît. En Égypte, le Khédive lui a dit : Si M. Victor Hugo vient ici, il sera reçu comme un souverain. – Edmond Adam est allé voir ROCHEFORT à l’île d’Oléron. Rochefort est affreusement mal, couché et enfermé dans une casemate, lui cinquantième, rongé de vermines, buvant au bidon, mangeant à la gamelle »…
•11 : « Aujourd’hui beaucoup de visites d’Américains et d’Anglais. Une américaine, venue de New-York pour me voir, Mme Fanny Aikin-Hartright m’a baisé la main et m’a dit : – C’est vous qui êtes le roi de France. – Du reste, recrudescence d’insultes dans les journaux royalistès, catholiques et bonapartistes. Cela se fait équilibre »…
•12, MOUNET-SULLY « est venu me répéter Hernani ».
•14 : « Il y a aujourd’hui deux ans j’ai planté dans mon jardin le chêne des États-Unis d’Europe. Tu y étais, Charles ! – J’ai commencé aujourd’hui, à la grande joie de Georges et de Jeanne, mes spectateurs, le dessin à la plume du cadre destiné au grand dessin de moi que j’ai donné à Paul Meurice ».
•17, FLAMENG fait son portrait « pour les illustrations de l’Année Terrible ».
•18, comptes avec HETZEL.
•19, récit d’un rêve.
•20 : « Il y a juste un an aujourd’hui à Vianden, Jeanne a marché pour la première fois, elle m’a fait ce cadeau pour ma fête ».
•25, différends avec Hetzel sur les comptes ; « tour du lac du Bois de Boulogne que je voyais pour la première fois ».
•30. « Cette nuit, vers deux heures du matin, trois forts frappements à mon chevet. […] Mme Judith Mendès est venue me voir avec Grimace. Grimace est sa chienne. Cette chienne joue du piano, se couche quand on dit : Ponsard et se lève quand on dit Victor Hugo ».
•31, à Saint-Mandé pour voir Adèle, et sur la tombe de Claire Pradier.
•Août. 1er. Séance photo chez Carjat.
•3. « Effroyante histoire de Paul VERLAINE. Pauvre jeune femme ! Pauvre petit enfant ! Et lui-même, qu’il est à plaindre ! »
•7. « Je suis allé rue du Bac chez Andriveau-Goujon acheter des cartes de la Vendée pour mon livre 93 », puis chez Judith Mendès qui « cache chez elle un pauvre fugitif de la Commune (qui s’appelle Marrast). Son père, Théophile Gautier, est bien malade. J’ai dit à Mme Mendès de me l’amener à Hauteville house. Il sera chez lui, et pourra y vivre et y mourir »…
Départ pour Guernesey.
•8. Arrivée à Granville : « Il y a une certaine foule autour de nous ; les uns saluent, les autres me regardent de travers » ; mot de LECONTE DE LISLE :
« Victor Hugo est bête comme l’Himalaya. Je ne trouve pas le mot désagréable, et je pardonne à Lecomte de l’Île qui me fait l’effet d’être bête tout court. Il est né à l’île Bourbon, ce qui fait qu’il ajoute de Lisle à son nom Lecomte. […] Nous arrivons à Jersey à midi et demi. Une foule m’attend sur le port, – à moitié amie, à moitié hostile, comme à Granville. […] Je suis allé prendre un bain de mer dans les rochers vis-à-vis de Marine Terrace que j’ai aperçue de loin, et qui a plus que jamais son aspect de tombeau. »
•9. « Je songe à une pauvre créature en haillons que j’ai rencontrée hier dans les alentours du fort Régent. Elle est toute jeune et paraît vieille ; elle menait par la main une petite fille de sept ou huit ans, moins déguenillée qu’elle. Je lui ai demandé son âge en lui donnant quelque monnaie.
Elle m’a répondu : Seventeen. Seize ans. Elle se prostitue aux soldats pour deux sous. C’est terrible.
– Je prie. –
– Ô Dieu, ayez pitié de tout ce qui souffre, de tout ce qui expie, de tout ce qui a failli, et de tout ce qui peut faillir, sur cette terre et hors de cette terre.
De tous les heureux,
de tous les justes,
de tous les malheureux
de ma pauvre fille Adèle,
de mes chers petits Georges et Jeanne,
de tous les innocents,
de tous les coupables,
de tous les injustes,
de tous les misérables,
de Louis Bonaparte,
de moi.
Ayez pitié de ma pauvre petite Adèle. Ayez pitié.
Délivrez, pardonnez, émancipez, affranchissez, sauvez, transfigurez !
Ayez pitié, d’elle que j’aime, et de moi, de mon cher fils Victor et de moi, de vous et de moi. Pitié ! »
10. « Nous arrivons à Guernesey à 9 h. – Foule tout à fait cordiale, pour nous recevoir. Beaucoup d’amis. Julie en tête avec Sénat qui me fait une fête énorme. Il me caresse tant que Jeanne a peur ».
•11. « Je me suis remis au travail. J’ai commencé tout de suite. J’ai fait vingt-quatre vers pendant la traversée de Jersey à Guernesey »…
•14, Alice refuse de couper les cheveux de Georges…
•17, visite et aubade de musiciens écossais.
•20 : « Ce matin, Jeanne voulant venir avec moi chez Roumet, et n’ayant pas de chapeau, je lui en ai improvisé un avec un dessus de panier cassé, et une ficelle rouge. Elle était charmante ainsi. Elle riait et disait : je suis drôle avec papeau ! » [dessin].
•25, une souris dans sa chambre…
•29, lettre de Lockroy pour « sauver une femme condamnée à mort par les conseils de guerre »…
•30 : « Hier comme Mariette revenait de la pompe sa cruche à la main, des gens d’ici lui ont crié : A bas la Commune ! elle a répondu : A bas les imbéciles ! »…
•31 : « J’ai fait faire à Petite Jeanne un lit à côté du mien. J’ai eu toute la nuit ce sommeil d’ange à côté de moi ».
•Septembre. 5 : « Maria nuda ».
•7 : « Esta mañana, tercera vez ».
•12 : « J’ai lu à notre groupe intime la première partie du poème Religions ».
•13, sérénade des joueurs de cloche du pays de Galles (avec leur photo collée).
•14 : « J’ai lu dans le salon rouge à notre groupe la scène 1ère des Gueux (Mouffetard et le marquis Gédéon) et quelques-unes des pièces ajournées de l’Année Terrible ».
•15 : « 10a vez. – Las espaldas hermosas »…
•17 : « J’ai lu, à 4 h., dans le salon rouge, à notre petit groupe, quelques-unes des pièces ajournées de L’Année Terrible. Après quoi, nous sommes allés sur le balcon, j’ai pris Petite Jeanne sur mon dos, et je lui ai fait regarder un beau rayon de soleil qui était sur Serk. Elle me baisait les cheveux pendant ce temps-là ».
•21 : « Conversation très sérieuse avec Victor sur les enfants dont l’avenir me préoccupe ».
•22 : « On me presse de rentrer à Paris. On me dit que mon action politique est là. Je réponds. Depuis le 7 août que j’ai quitté Paris, j’ai écrit deux manifestes, l’un pour le banquet de l’anniversaire du 22 7bre, l’autre pour le Congrès de la Paix de Lugano, et j’ai sauvé la vie à une femme, Marguerite Prévost (la cantinière du bataillon de Lockroy) condamnée à mort par les conseils de guerre ».
•23 : « Le froid vient, et nous allons être seuls, JJ. et moi. […] Après le dîner, j’ai couché Petite Jeanne moi-même. Elle redouble de tendresse comme si elle sentait qu’elle va me quitter ».
•24 : « Je regarde Georges et Jeanne jouer dans le jardin. Encore deux jours, et tout cela sera évanoui ».
•26 : « Après le déjeuner, j’ai fait pour Petite Jeanne avec de la mie de pain une poupie (toupie) qui, à sa grande joie, a fort bien pirouetté dans une assiette. […] Petite Jeanne a voulu diner sur mes genoux. On s’est séparé à dix heures. J’ai fait faire la prière à Georges et à Jeanne. J’ai reconduit JJ. chez elle et je suis rentré. Je suis allé dans la chambre d’Alice (ancienne chambre de ma femme) voir une dernière fois les enfants endormis. Je leur ai baisé leurs petites mains »...
•28, tempête…
•30, il se retire devant CRÉMIEUX pour les élections à Alger…
•Octobre. 1er, départ des enfants : « Profond déchirement ».
•6 : « Mes chers petits-enfants, c’est pour vous que je travaille. Cela m’aide à supporter votre absence ».
•7 : « M. Paul Verlaine m’écrit de Londres »…
•12. « Un rouge-gorge est venu se poser tout près de moi sur le coin de mon balcon pendant que j’écrivais »…
•15 : « Je n’ai pas de nouvelles de mes petits. Ne plus les voir abrègera ma vie. Il n’y a pas grand mal à cela. – Ce brave et charmant GLATIGNY m’écrit pour me remercier. Il me dit que, grâce à moi, lui et sa femme pourront vivre tranquilles cet hiver. […] Esta tarde. Besamanos con Alba. Me parece muy digna de respeto ».
•22 : « mort de Théophile Gautier. – Un grand esprit et un bon cœur de moins. […] Gautier mort, je suis le seul survivant de ce qu’on a appelé les hommes de 1830 ».
•Novembre. 2 : « Jour des morts. O nos anges, priez pour nous. – Tu m’aimeras bien quand tu seras grande et que je serai mort, n’est-ce pas, ma petite Jeanne ? »…
•4 : « Cette nuit, vers quatre heures, un très fort frappement m’a réveillé. Au point du jour, je ne dormais pas, une voix m’a dit très doucement à l’oreille : ne pleure pas ». Maquette de la pierre tombale pour la tombe de Kesler, avec cette inscription : « A KESLER, son compagnon d’exil Victor Hugo ».
•12 : « J’ai envoyé ce matin à Meurice la pièce Alsace et Lorraine pour le comité des gens de lettres qui le publiera dans le livre destiné à la souscription pour les Lorrains et les Alsaciens ».
•14 : « Aujourd’hui recommence chez moi le dîner hebdomadaire de mes petits enfants pauvres. Quel regret que Georges et Jeanne ne soient pas là ! – Le dîner des petits enfants a eu lieu à midi. Ils étaient trente-six. J’ai mangé le même bœuf qui était excellent, et j’ai été servi comme eux. Ils avaient grand faim et n’ont rien laissé. Puis ils sont partis joyeux »...
•19 : « Je suis très populaire ici parmi les petits enfants. Tout à l’heure, quand j’ai passé rue Pedvin, des petites filles m’ont fait la révérence ».
•21 : « Je commence aujourd’hui à écrire le livre Quatrevingt-Treize (premier récit). J’ai dans mon cristal room, sous mes yeux, le portrait de Charles et les deux portraits de Georges et de Jeanne. J’ai pris l’encrier neuf de cristal acheté à Paris, j’ai débouché une bouteille d’encre toute neuve, et j’en ai rempli l’encrier neuf, j’ai pris une rame de papier de fil acheté exprès pour ce livre, j’ai pris une bonne vieille plume et je me suis mis à écrire la première page ».
•29, récit d’un « grave accident de mer ».
•Décembre. 2 : « Il y a vingt-et-un ans, un de mes collègues à l’Assemblée entra dans ma chambre à huit heures du matin et me dit : – Levez-vous et allons combattre. Le coup d’état est fait. – Je me levai, je sortis avec lui et nous commençâmes immédiatement la lutte »… 12 : « Depuis quelque temps j’ai pris l’habitude de boire tous les soirs, après la digestion faite et avant de me coucher, un plein verre de Bordeaux très sucré. Je m’en trouve bien ».
•16 : « C’est aujourd’hui seulement que je commence vraiment à écrire le livre 93. – Depuis le 21 novembre, j’ai fait un travail de dernière incubation qui prépare, ajuste et coordonne toute l’œuvre. Je vais maintenant écrire devant moi tous les jours, sans m’arrêter, si Dieu y consent. […] Je reprends mon habitude, à laquelle j’avais renoncé pour L’Homme qui Rit, de marquer chaque jour par une barre — sur la marge du manuscrit l’endroit où j’interrompts mon travail de la journée. Ces barres sont sur tous mes manuscrits, les manuscrits de poésie exceptés, et aussi le manuscrit de L’Homme qui Rit ».
•18. « Après le déjeuner j’ai été voir le navire naufragé, la Louisa de Québec. C’est en effet un ravage épouvantable. Le pont est rasé, la chambre enlevée, le bordage défoncé, les ancres tordues, les chaînes cassées, les haubans brouillés comme des écheveaux de fil où un chat aurait joué. Il y a çà et là des restes de sculptures et d’ornements qui serrent le cœur comme une ironie terrible. La poupée de la proue, la Louisa, peinte en blanc et coiffée d’un diadème, sourit. Elle a au cou une chaîne cassée. Je l’ai dessiné sur mon carnet de poche. J’ai dessiné aussi la grande vergue, qui est cassée en trois endroits et pend parmi les voiles et les cordes, portant les haillons et portée par eux. Le pont a l’air d’un cirque de bêtes fauves. Cette Louisa est le plus grand navire marchand qu’on ait encore vu à Guernesey. Elle porte pour deux cent mille francs de bois, acajou, disent les uns, sapin, disent les autres. Le chargement est sauvé, l’équipage est perdu. La tempête a eu pitié du bois, non des hommes » [dessin].
•19, récit de la « petite fête de mes petits pauvres »…

À la fin du carnet, 3 feuillets de comptes autographes de Juliette DROUET pour les mois de septembre, novembre et décembre 1872, avec le détail des gages des domestiques, location de voitures, fournitures et petits travaux, étrennes, etc.
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