Lot n° 449

GIDE André (1869-1951). MANUSCRIT autographe signé « André Gide », Préface à quelques écrits récents de Thomas Mann, [1937] ; 7 pages in-4 sur 7 ff (25,4 x 20,3 cm) montés sur onglets sur des feuillets de papier vélin, le tout relié :

Estimation : 6 000 - 8 000
Adjudication : 26 000 €
Description
cahier souple en pavage d’ébène d’après le motif d’un papier marbré de reliure « plumes de paon » reproduit par sablage, puis passé à la poudre de pastel jaune jonquille, dos de veau noir, doublures de nubuck jaune (26,2 x 21,2 cm ; reliure signée « J. de Gonet 2010 »).

– Thomas MANN, Le Jeune Joseph (Paris, Gallimard, 1936) ; in-8 de 266 pp., couverture et dos conservés, relié : plats de médium d’après le motif d’un papier marbré de reliure « plumes de paon » reproduit en rouge sur fond noir, dos de veau noir gaufré « vermiculé », pièces de lanières de veau noir gaufré petits carrés, baguettes aux angles et rivets d’ébène (reliure signée « J. de Gonet 2010 »).

Le tout sous boîte-étui en demi-veau noir à dos rond et deux compartiments.

► Exceptionnelle réunion d’un manuscrit de Gide consacré à Thomas Mann, et d’un ouvrage de ce dernier enrichi d’un bel envoi à Gide, chacun dans une magnifique reliure de Jean de Gonet.

La Préface à quelques écrits récents de Thomas Mann d’André Gide est parue dans Marianne le 22 septembre 1937, puis en tête d’Avertissement à l’Europe de Thomas MANN (Gallimard, 1937) [traduction française par Rainer Biemel d’Achtung Europa !], avant d’être reprise dans les Préfaces de Gide (Ides et Calendes, 1948), ses Feuillets d’automne (Mercure de France, 1949), puis dans Littérature engagée (Gallimard, 1950). Le manuscrit, à l’encre noire sur 7 feuillets de papier ligné, présente quelques ratures et corrections ; il a servi pour l’impression, et porte en tête des indications typographiques.

« Je tiens à grand honneur de préfacer ce petit livre. Thomas Mann est un des rares aujourd’hui que nous pouvons admirer sans réticences. Il n’y a pas de défaillances dans son œuvre, et il n’y en a pas dans sa vie. Sa riposte à un absurde camouflet du hitlérisme est digne de l’auteur des Buddenbrook, de la Montagne magique et de la trilogie de Joseph. L’importance de l’œuvre donne au geste son importance et sa puissante signification ». Gide évoque sa visite récente à Thomas Mann à Kusnacht près de Zurich, « où il s’est de lui-même exilé. J’ai retrouvé avec émotion cette douceur de manières et cette aménité exquise qui recouvrent aimablement une grande fermeté de caractère, une inflexible résolution. [...] Car Thomas Mann n’a point été banni […] ; mais il est “né pour témoigner” ; c’est là son rôle ; c’est celui de l’homme de lettres ; et lorsqu’un gouvernement despotique prétend soumettre les esprits, c’est faire de la politique que de ne laisser point son esprit s’incliner. […] Thomas Mann est contraint, par sa probité même, d’assumer un rôle politique, dans un pays où les “honnêtes gens” qui se mêlent encore de penser, deviennent des gêneurs, des factieux ».
De même quand il s’indigne à propos de l’Espagne :
« C’est aussi par là que se reconnaît la parfaite sincérité de ces pages ; non seulement elles sont toutes du même homme, mais de la même encre, d’une même inspiration ; une égale conviction les anime. […] Mann reste authentiquement du côté spirituel ; un humaniste, dans le sens le plus plein de ce mot ». Gide cite Mann, et définit le rôle de l’humaniste :
« refusant de se plier, il oppose à la force matérielle une autre force : celle, irréductible, de l’esprit, dont, bon gré mal gré, tout tyran doit reconnaître la valeur insigne »…
Et si le « flot de barbarie » n’a pas encore atteint la France , il faut prendre garde à l’avertissement de Thomas Mann.
« Sans doute le régime hitlérien actuel met en grand péril la culture ; mais le pire danger, Thomas Mann le voit en ceci que, de nos jours, la raison est communément bafouée et que tend à paraître plus intelligent que l’être raisonnable celui qui, au nom de la vie, nie la raison ». Et Gide conclut : « Non, Thomas Mann ; non ; notre monde n’est pas encore perdu ; il ne peut l’être tant qu’une voix comme la vôtre s’élève encore pour l’avertir. Tant que des consciences comme la vôtre resteront en éveil et fidèles, nous ne désespérerons pas. »

Thomas MANN, Le Jeune Joseph (Der Junge Joseph). Traduit de l’allemand par L. Servicen (Paris, Gallimard, 1936) ; in-8 de 266 pp.
Édition originale, un des 50 exemplaires sur alfa des papeteries Lafuma Navarre (H.C. n° 49).

─ Envoi autographe à André GIDE sur le premier feuillet blanc :
« Au cher et grand André Gide, / petit signe d’une grande admiration / Küsnacht 15. Mai 36 / Thomas Mann / “Je me penche par-delà le présent. Je passe outre...” (L. N. N.) »
La citation est extraite des Nouvelles Nourritures Terrestres de Gide (1935), et elle vaut d’être citée plus longuement, car elle résonne avec les temps troublés qui effraient à la fois André Gide et Thomas Mann :
« Je me penche par-delà le présent. Je passe outre. Je pressens un temps où l’on ne comprendra plus qu’à peine ce qui nous paraît vital aujourd’hui. »

Le Jeune Joseph est le deuxième volet de la tétralogie biblique de Thomas Mann, Joseph et ses frères, publiée entre 1933 et 1943.

Pour cet ensemble, Jean de GONET a créé deux reliures complémentaires dont les motifs se répondent. Celle du manuscrit, en cahier souple en pavage de bois sablé, est un pur chef-d’œuvre, et un tour de force artistique :
« Le motif “plumes de paon” a nécessité, sur le scotch de sablage, de découper chaque surface, aussi minuscule soit-elle, qui devait être creusée, puis passée au jaune ».

Exposition Jean de Gonet relieur (BnF, 2013, n° 124).
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