Lot n° 448

GIDE André (1869-1951). MANUSCRIT autographe, Les Caves du Vatican, [1911-1913] ; 3 cahiers in-fol. de 66, 49 et 103 pages, et un carnet de notes préparatoires in-8 de 20 pages.

Estimation : 100 000 - 150 000 €
Adjudication : 117 000 €
Description
Extraordinaire manuscrit complet et abondamment corrigé des Caves du Vatican, éblouissante « sotie », un des grands romans du XXe siècle, et un des chefs-d’œuvre de Gide, marqué par l’acte gratuit de Lafcadio.

« Les vraies œuvres sont celles que l’artiste a su porter longtemps ». Lorsqu’il trace ces mots en 1911 dans le cahier noir de notes préparatoires, André Gide s’apprête à se lancer dans l’écriture de son nouveau livre, Les Caves du Vatican, dont les premières esquisses remontent à 1898. Si Gide a élaboré cette œuvre sur de nombreux brouillons épars (principalement à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et à la Fondation Martin Bodmer), il n’existe toutefois que ce seul manuscrit autographe complet des Caves du Vatican, représentant la mise au point du texte complet du roman, avant sa dactylographie pour l’impression (qui sera encore corrigée) ; il a été longtemps conservé par Catherine Gide, la fille de l’auteur. Les Caves du Vatican vont paraître en 1914, après une prépublication en quatre livraisons de janvier à avril 1914 dans La Nouvelle Revue française, aux Éditions de la N.R.F., avec la mention « Sotie par l’auteur de Paludes ». André Gide en tirera plus tard une adaptation théâtrale.

Les Caves du Vatican tiennent du roman d’aventure et du conte philosophique voltairien, teintés d’une certaine fantaisie et dérision, d’où le qualificatif de « sotie ». Rappelons-en les principaux protagonistes : le scientifique franc-maçon Anthime Armand-Dubois, qui se convertit au catholicisme à la suite d’une apparition de la Vierge ; son beau-frère l’écrivain catholique Julius de Baraglioul, candidat à l’Académie française ; le fils naturel de Baraglioul père, Lafcadio Wluiki, jeune arriviste ; Protos, qui dirige « le Mille-Pattes », organisation d’escrocs soutirant de l’argent pour délivrer le Pape, qui serait séquestré par les Loges et remplacé par un sosie ; le Béarnais Amédée Fleurissoire, qui vient à Rome pour délivrer le Pape, et que Lafcadio tuera en le jetant d’un train, par pur acte gratuit…

Le manuscrit est accompagné du cahier de notes préparatoires cité plus haut, cahier épais toilé bleu noir petit in-4, papier ligné, tranches rouges, étiquette du papetier H. Gonget-Gex à Genève, écrit tête-bêche sur les premiers et derniers feuillets (15 feuillets, le reste vierge). Gide y a noté des remarques sur le style et des réflexions sur son œuvre :

« Préférer le mot le moins rare.
Toute recherche, toute délicatesse et même toute précision est inutile, qui ne fait valoir que l’écrivain.
Mieux vaut une peinture un peu sommaire.
Admirer la fruste manière des très grands. Molière, Cervantes, Fielding.
Les vraies œuvres d’art sont celles que l’artiste a su porter longtemps. Quels sont aujourd’hui les artistes capables de gestations prolongées ? […]
La vraie force : savoir porter longtemps. »
« Rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’où il sied de préciser sa vision. […]
L’important n’est pas de voir mes personnages ; mais de les faire voir. »
On y trouve aussi des notes sur ses personnages :
« Anthime Armand-Dubois, correspondant de Loeb, de Bohn et de Maxweiler, organise des expériences que constamment dérange sa femme, par pitié pour les animaux mis à l’épreuve. (et une servante) (celle qui porte les cierges à la madone). Un franc maçon italien vient l’aider dans ses expériences. On ne sait plus trop si elles ne sont pas le prétexte des conciliabules.
« Julius de Baraglioul (on prononce Baraillioul - comme Broglie) fils d’un diplomate, avait été élevé pour la diplomatie par son père. Avait mis sa plume au service de son imagination et son imagination au service de l’Église. Il observait, mais pour instruire. Ses romans se faisaient remarquer par une très haute tenue morale – sans austérité néanmoins, de sorte qu’ils étaient en grande faveur ».

Le manuscrit se compose de trois grands cahiers cartonnés en format registre, de papier ligné, écrits au recto, mais avec des notes et additions sur la page en regard, ainsi que des béquets, totalisant 218 pages environ.

* Livres I et III. Cahier à dos de basane fauve, plats de papier peigné rouge brun, cachet encre du papetier-libraire J. T. Bigwood à Jersey (32,5 x 20,5 cm), folioté par Gide 1 à 27, 29, [2 ff non chiffrés], 37, 38, [2 ff non chiffrés], 40 à 61, [1 f non chiffré], 30 à 33.

On voit que Gide a fortement remanié l’ordre originel : ayant décidé d’achever le Livre I page 29 sur le départ de Rome d’Anthime Armand-Dubois, converti et ruiné, pour Milan, il indique, en regard et au verso :
« Ici se place le Livre II (v. l’autre cahier) » ; il commence le « Livre III » sur deux feuillets in-4 qu’il colle dans le cahier (c’est la visite que reçoit la comtesse de Saint-Prix du faux abbé Salus), et déplace à la fin du cahier, après un feuillet ajouté de raccord, les pages 30 à 33 sur la visite de Julius à Anthime à Milan, sur laquelle s’achève ce livre.
En regard de la page 1, Gide a noté : « Le jubilé de Léon XIII = 19 février 1893 », et l’épigraphe empruntée à George Palante.
À la fin du cahier, une feuille volante, au dos d’un prospectus, dresse le plan du Livre III en 5 puis 7 chapitres ; plus quelques notes sur un autre feuillet.

* Livre II. Cahier à dos toilé noir, plats de papier marbré vert-noir, à la marque The English Manufactory of Book and Register – Milano (31 x 20,5 cm), folioté par Gide 1 à 43, plus 2 bis (2v°), 3 ff. ajoutés (3, 3 bis, 3 ter), 5 bis et ter ajoutés, 3 ff. intercalés après la p. 14 ; après la page 21 coupée à mi-hauteur, 4 ff.de papier vélin ajoutés (chiffrés 22, 23 et 24, 25 et 26, 27); les ff. 28 et 29 sont volants ; à la p. 30, sont intercalés 2 ff. volants de papier vélin (chiffrés 49, 50 et 51), nouvelle rédaction abrégée de l’histoire de Protos à la fin du chap. vi (qui s’achève p. 32).

En tête du cahier, un feuillet volant semble être une ébauche de préface : « À l’exception de la Porte étroite, il n’est pas de sujet que j’aie porté plus longtemps en tête. […] Et que l’on ne croie pas que ce soit un sujet abandonné puis repris ; à vrai dire je ne cessai guère, ces quinze années durant, d’y penser »…
En regard de la p. 1, Gide a noté trois épigraphes possibles, par Conrad, Retz (qui sera choisi) et Montaigne.

* Livres IV et V. Gros cahier à dos toilé beigé, plats de papier vert pâle (33 x 21 cm), folioté par Gide, après le f. de titredu Livre IV, 1 à 15, 3 ff non chiffrés après un béquet, 20 à 49 (plus un 24bis), [50 : « Livre V »], 51 à 67, 69 (sans manque) à 103.
En tête, Gide a noté trois épigraphes pour le Livre IV : par Claudel et deux par Pascal dont il gardera la première ; une note sur Paul Bourget, et une sur la Camorra.

De nombreuses additions sont faites soit sur les versos de pages, soit sur les feuillets ajoutés signalés ci-dessus, soit sur des feuilles volantes ajoutées in-8 aux pages 4 (sur le chapeau de Fleurissoire), 60, 61, 62, 73, puis des feuillets in-4 avec de plus longs développements aux pages 93, 96 (2 ff), et 103 sur lequel Gide rédige la conclusion du livre : « Mais ce n’est pas le beau visage de son amante, ce front que baigne une moiteur, ces lèvres chaudes entrouvertes, ces paupières nacrées, ces seins parfaits, ces membres las, non, ce n’est rien de tout cela qu’il contemple – mais par la fenêtre ouverte l’aube où frissonne un arbre du jardin. Il sera bientôt temps que Geneviève le quitte ; mais il attend encore ; il écoute, penché sur elle, à travers son souffle léger, la vague rumeur de la ville qui déjà secoue sa torpeur. Au loin dans les casernes, le clairon chante. Quoi ! va-t-il renoncer à vivre. [Ivre d’espoir, il se demande biffé] et pour l’estime de Geneviève, qu’il estime un peu moins depuis qu’elle l’aime un peu plus, songe-t-il encore à se livrer ? »

Le manuscrit, à l’encre noire, compte environ 1 500 corrections. Au-delà des simples corrections de style, et d’un mot biffé pour être remplacé par un autre plus adéquat, Gide a considérablement remanié son texte. Outre les feuillets ajoutés que nous avons mentionnés, des béquets développent ou transforment le texte : ainsi pour la nuit de la conversion d’Anthime, avec des feuillets dépliants (cahier I, p. 25), pour l’exposé par le faux abbé Salus de la séquestration du Pape (id., p. 38 et suivantes) ; la conversation de Julius de Baraglioul avec Carole, quand il vient chez Lafcadio (cahier II, p. 5 et suivantes) ; l’action héroïque de Lafcadio, sauvant des enfants d’un incendie (id., p. 14 et suivantes) ; le début du chapitre vi du Livre II ajouté (id., p. 22-27) ; dans le Livre IV, la fin du chap. iii et le début du chap. iv sur des feuillets ajoutés (cahier III, p. 15 et suivantes), et le début du chap. v ajouté (en regard du f. 24bis)…

Le manuscrit présente aussi des passages biffés et supprimés : le récit par Lafcadio d’un séjour dans les Karpathes avec l’oncle Wladimir (cahier II, p. 36-39) ; le début de la nuit d’amour de Fleurissoire avec Carola (cahier III, p. 11-12)…
Des notes portées en regard des pages signalent des changements à faire : ainsi, au début du Livre II, à propos du dialogue de Julius de Baraglioul avec sa femme : « Couper le dialogue par le passage dans le cabinet de toilette »…
On notera que les livres sont seulement numérotés, et n’ont pas encore reçu de titre.

─ Référence :
• Gide, Romans et récits, t. I (Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 2009) : Les Caves du Vatican (éd. Alain Goulet).

─ Provenance :
• donné par Gide à Élisabeth VAN RYSSELBERGHE ;
puis
• collection Catherine GIDE.

─ Exposition André Gide (Bibliothèque nationale, 1970, n° 453).
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