Lot n° 184

ALEMBERT JEAN LE ROND D’ (1717-1783). L.A., Paris 29 juin [1776], au Comte de GUIBERT, « Colonel du regiment de Neustrie à Douai » ; 3 pages in-4, adresse avec cachet de cire rouge à son chiffre (petit manque par bris de cachet ; copie...

Estimation : 3 000 - 4 000 €
Adjudication : 13 000 €
Description
ancienne jointe).


► Très émouvante lettre après la mort de Julie de LESPINASSE, survenue le 23 mai.
[En écrivant cette lettre, d’Alembert, amant malheureux ayant découvert la passion de Julie pour le Marquis de Mora, ignore encore que Guibert était devenu l’amant de Julie de Lespinasse, et donc son rival.]

Il évoque d’abord les livres que Julie de Lespinasse a légués à Guibert… « À légard de mon injuste & malheureuse amie, qui létoit de tout le monde excepté de moi, que ne donnerois-je pas, Monsieur, pour que votre amitié pour elle et pour moi ne se trompât point dans les assurances que vous me donnez de ses sentimens ? Mais malheureusement pour moi, et malheureusement même pour sa memoire, la voix publique ne s’accorde point avec la vôtre ; je crains bien que vous ne vous y reunissiez, si j’ai la force de vous instruire un jour de mille détails qui ne prouvent que trop combien la voix publique a raison, quoique le public les ignore, & que vraisemblablement vous les ignoriez vous même.
Après cela, Monsieur, comment aurois-je le courage de m’occuper d’un monument qui presque à tous les yeux me rendroit ridicule, malgré le sentiment qui m’entraineroit à l’ériger ? Helas ! tout ce que je puis faire, c’est de concourir à ce monument avec les dix ou douze personnes qu’elle aimoit mieux que moi. Plaignez moi, Monsieur, plaignez mon abandon, mon malheur, le vuide affreux que je vois dans le reste de ma vie. Je l’ai aimée avec une tendresse qui m’a rendu le besoin d’aimer necessaire ; je n’ai jamais été le premier objet de son cœur ; j’ai perdu seize ans de ma vie, & j’ai soixante ans. Que ne puis-je mourir en ecrivant ces tristes mots, & que ne peuvent ils être gravés sur ma tombe ! Ils inspireroient pour moi tout l’interêt dont j’ai le malheur d’etre digne. […] Mais que me font les regrets du Public ? Helas ! je n’aurois desiré que les siens, et elle est morte persuadée que sa mort seroit un soulagement pour moi ! C’est ce qu’elle me disoit la surveille de sa mort ! Adieu,

Monsieur, j’étouffe, & je ne puis en écrire davantage. Conservez moi votre amitié. Elle feroit ma consolation si [j’en] etois susceptible. Mais tout est perdu pour moi, & je n’ai plus qu’a mourir. »

• Archives du Comte de GUIBERT (vente 14 octobre 1993, n° 75).
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