Lot n° 183

LESPINASSE JULIE DE (1732-1776). L.A.S. « Lespinasse », « à 6 heures du matin jeudi » [16 mai 1776], à D’ALEMBERT ; 3 pages in-4, adresse avec cachet de cire noire aux armes.

Estimation : 3 000 - 4 000 €
Adjudication : 9 100 €
Description
► Bouleversante lettre testamentaire, une semaine avant sa mort, à son fidèle soupirant D’Alembert, dans le souvenir de son amour pour le Marquis de Mora.

« Je vous dois tout, je suis si sure de votre amitié que je vais employer ce qui me reste de force à suporter une vie où je n’espere, ni ne crains plus rien ; mon malheur est sans ressource, comme sans consolation, mais je sens encore que je vous dois de faire effort pour prolonger des jours que j’ai en horreur. Cependant comme je ne puis pas asses compter sur ma volonté, et qu’elle pouroit bien ceder à mon desespoir, je prens la precaution de vous ecrire pour vous prier de bruler sans les lire tous les papiers qui sont dans un grand portefeuille noir, je n’ai pas la force d’y toucher, je mourrois en revoyant l’écriture de mon ami [le Marquis de MORA]. J’ai aussi dans ma poche un portefeuille couleur de rose où il y a de ses lettres que je vous prie de bruler, ne les lisés pas ; mais gardés son portrait pour l’amour de moi. Je vous prie aussi de faire executer ce que je demande dans mon testament que vous avés entre les mains. Je ne laisse dargent que 50 louis », et elle doit mille livres à D’Alembert ; mais on lui doit encore beaucoup d’argent, dont les pensions de M. de La Borde, du Duc d’Orléans et de M. d’Albon (son demi-frère)…
« J’entre dans ce detail parce que je serois fachée que mes dettes et les petits legts que je fais ne fussent pas acquittés. Je ne me rappelle pas si j’ai disposé du secretaire où vous trouverés cette lettre ; mais dans ce doute, je vous prie de l’envoyer chez Mr de GUIBERT, en le priant de le recevoir comme une marque de mon amitié.

Adieu, mon ami, ne me regrettés pas, songés qu’en quitant la vie je trouve le repos que je ne pouvois plus esperer.

Conservés le souvenir de Mr de Mora comme de lhomme le plus vertueux, le plus sensible et le plus malheureux qui exista jamais ». Elle demande de tâcher de récupérer ses lettres au Marquis de Mora :
« si elles peuvent vous revenir brulés les sans les lire. Encore une fois oubliés moi conservés vous, la vie doit encore avoir de l’interet pour vous ; vos vertus doivent vous y attacher. Adieu, le desespoir a seché mon cœur et mon ame, je ne sais plus exprimer aucun sentiment. Ma mort n’est qu’une foible preuve de la maniere dont j’ai aimé Mr de Mora ; la sienne ne justifie que trop quil repondoit à ma tendresse plus que vous ne l’avés jamais pensé. Hélas ! quand vous lirés ceci, je serai delivrée du poids qui m’acable. Adieu mon ami adieu ».

Elle ajoute : « Un mot de moi à Mde GEOFFRIN elle aimoit mon ami ».

Ayant inscrit l’adresse « A Monsieur / Monsieur Dalembert », elle clôt sa lettre d’un cachet de cire noire aux armes et ajoute à côté :
« Je veux etre enterrée avec la bague que j’ai au doigt. Faites remetre tous ces paquets à leur adresse.
Adieu mon ami pour jamais ».
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