Lot n° 176

LESPINASSE JULIE DE (1732-1776). L.A., vendredi 24 mars [1775], à MALESHERBES ; 3 pages in-4.

Estimation : 1 000 - 1 500 €
Adjudication : 1 300 €
Description
♦ Charmante lettre accompagnant l’envoi d’un portrait qu’elle a dessiné.


« Enfin monsieur, vous voila gueri, je ne vous ai point importuné de mon chagrin, de mon inquietude ; j’aurois pourtant soulagé mon amitié en vous parlant de vos souffrances et du tendre interet que j’y ai pris ; je la satisfais en vous disant la joye que je sens de vous savoir presque en bonne santé. Je me flatte que vous reviendrés bien tot a Paris ; je ne vous verrai gueres davantage, mais au moins je pourai esperer de vous voir plus souvent ».
Elle le remercie de lui avoir « envoyé du beurre excellent, et cependant on ne poura pas dire que vous donnés plus de beurre que de pain ; la semaine derniere vous m’aviés envoyé des dragées. J’avois bien prié le bon CONDORCET de vous en remercier, mais il pouroit bien se faire qu’après les avoir mangées il les eut oubliées, cependant il s’etoit chargé de vous faire souvenir de l’horrible consomation de bonbons qui se fait ches moi, et de vous prier en consequence d’être quelques fois notre pourvoyeur ; mais ce bon Condorcet aura été retenu par la pensée que vous êtes acablé de demandes, et il n’aura pas voulu que je grossisse la foule des importuns ; au moins je n’ai pas à me reprocher d’être du nombre de ceux qui vous ecrivent, je sais qu’il n’y a que deux manieres d’ecrire aux ministres, ou pour des affaires, ou pour leur dedier des ouvrages, et je prens ce dernier parti, je vous dedie non pas un ouvrage, mais un portrait dont je desire que votre amitié soit contente ; j’en serai d’autant plus flattée, qu’en peignant je n’ai songé qu’a etre vraie, et point du tout à vous faire homage de cette caricature ; si vous ne la croyés pas trop indigne de l’original, vous voudrés bien la lui montrer, vous serés mon premier juge, et quel que soit votre jugement, je mengage à passer condamnation ; vous exalteriés même infiniment mon amour propre, si vous daigniés me faire quelques critiques ; pardon de vous detourner si long tems ; mais vous ne devriés point travailler après diner, et je fais en sorte que tout ce grifonage ne vous arrive que dans le moment ou vous ne devés rien faire. Je porte envie à tous les gens qui sont asses heureux pour pouvoir aller à Versailles sans être à charge à personne, pour moi je suis condamnée a rester à ma place sous peine de me rendre importune.

Adieu, monsieur, portés vous bien c’est le desir de mon cœur et ce doit être le vœu de tous les honêtes gens.

Mr d’ALEMBERT qui est au moins dans la classe des gens honêtes, et des honêtes gens se rejouit de toute son âme de votre meilleur etat et il a un grand desir de vous voir. »
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