Lot n° 175

ALEMBERT JEAN LE ROND D’ (1717-1783). L.A., Paris 9 octobre 1774, au Comte de GUIBERT, « Colonel Commandant de la Legion corse à Montauban en Quercy » ; 3 pages in-4, adresse, cachet de cire noire à son chiffre couronné (légères rousseurs...

Estimation : 2 000 - 2 500 €
Adjudication : 2 600 €
Description
; copie ancienne jointe).



♦ Belle lettre se réjouissant de l’arrêt sur les blés de TURGOT, dont il fait un vibrant éloge.

Il sait que Guibert reçoit de Julie de LESPINASSE « des lettres mille fois meilleures en tout sens que les miennes. Nous avons été inquiets de votre santé, et des accès de fievre assez violens que vous avez eus. […] je me flatte que vous en etes tout à fait delivré, & je me fais d’avance un grand plaisir de vous revoir dans un mois. Il me semble que les honnêtes gens ont plus de choses à se dire que jamais. En lisant l’arrêt sur les bleds, ils ont dit comme les matelots, Terre, terre, et si on laisse faire à Mr TURGOT tout le bien qu’il desire et qu’il medite, nous dirons dans quelques années à peu près ce que Piron a dit du Pere de ce ministre

Peuple, qui vivez à Gogo,
Rendez grace à Monsieur Turgot

Il me semble que le Roi regnant [LOUIS XVI] a fait par ce seul choix plus de bien que son predecesseur en 60 ans de regne. Je ne puis voir actuellement la couverture même de toutes les oraisons funebres du feu Roi , dont on nous inonde, sans que le cœur me souleve, & depuis tout le bien que sa mort a produit, je ne sais pas si j’aurois même le courage de lire celle de l’abbé de Boismont. Les fripons sont dans un état violent, les uns tremblent et ne s’en vantent pas, les autres sont assez bêtes pour murmurer ;
& je crois que la méchanceté humaine ne negligera rien pour traverser les operations bienfaisantes du nouveau ministere. Mais j’espere que le Roi prendra dans Mr Turgot assez de confiance pour sentir combien un tel homme est pretieux à son royaume, & necessaire pour le tirer de l’agonie où il etoit. Voilà, monsieur, de quoi j’aime à m’occuper ; voilà de quoi j’aimerai à causer avec vous ; voilà ce que je voudrois dire, imprimer et afficher par tout. J’espere que l’arrêt sur les bleds servira de modèle à tous ceux du nouveau regne, et qu’au lieu de dire dorenavant car tel est notre plaisir, le Roi dira, car telle est la justice. Cette formule vaudra bien l’autre. Revenez donc vite, Monsieur, pour vous rejouir avec vos amis du temps heureux qui commence à naître. Revenez parler à des gens qui vous entendent, & surtout qui vous aiment ; je conçois votre malaise et votre peine dans la disette de société où vous languissez ; vous n’êtes en bonne compagnie que quand vous êtes seul ; mais cette compagnie vous dedommage bien de toutes celles que vous n’avez pas, & qui regrettent tant la vôtre. Rapportez nous les graques [Les Gracques, tragédie en vers de Guibert] que je me fais un grand plaisir de voir ; revenez consoler une amie qui vous est tendrement attachée, et que vous aidez à vivre. Revenez enfin voir l’homme du monde qui est le plus penetré d’estime, d’attachement et de respect pour vous ».

Il ajoute, à propos de la mort du pape CLÉMENT XIV (22 septembre 1774) qui avait signé le bref de suppression de Jésuites, et des rumeurs de son empoisonnement : « On assure que la mort du Pape est un des chefs d’œuvre de l’apothicairerie jesuitique. J’en ferai compliment au Roi de Prusse [FRÉDÉRIC II] leur protecteur, et je lui demanderai s’il n’etablira pas dans leur college une chaire de Pharmacie. Voilà une année fertile en evenemens interessans, sans compter ceux que nous attendons encore. »

• Archives du Comte de GUIBERT (vente 14 octobre 1993, n° 74).
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