Description
► Important ensemble de manuscrits se rattachant au grand chantier des Mémoires d’Outre-Tombe.
On sait que la genèse des Mémoires d’Outre-Tombe fut longue et mouvementée. Chateaubriand a commencé à écrire les Mémoires de ma vie en 1809, dont il termina la rédaction en 1826. Au début des années 1830, il commença à reprendre et augmenter son manuscrit, dont il fit quelques lectures à un petit cercle choisi chez Mme Récamier, et qu’il permit à Sainte-Beuve de consulter. Ayant vendu son œuvre en 1836 à une société en commandite qui ne doit la publier qu’après sa mort (d’où son titre de Mémoires d’Outre-Tombe), Chateaubriand continue le récit de sa vie, et complète plusieurs parties de ces Mémoires, jusqu’en 1839 ; avec l’aide de son fidèle secrétaire Hyacinthe Pilorge, il met au point son manuscrit, terminé le 16 novembre 1841, qui fera encore l’objet de révisions et remaniements en 1845, 1846, et enfin en 1847 (manuscrit dit de 1848, qui servira pour l’édition posthume). Au fil de ces transformations, la division de l’ouvrage en parties, livres et chapitres, changea plusieurs fois, et plusieurs morceaux en furent écartés ou refaits, comme les fragments ici présentés.
▬ A. « Première partie. Livre onzième. Incidences. Digression philosophique. De l’âme et de la matière ». Manuscrit de la main de Hyacinthe Pilorge avec corrections autographes ; 49 pages in-4 sous 4 chemises titrées (dos des chemises fendus), paginées 275 à 322 (avec des bis, ter…), avec des béquets.
Le manuscrit, soigneusement copié par Hyacinthe Pilorge, présente une centaine de corrections autographes : phrases biffées, modifications de termes, ajouts ou suppression de mots. Les différences de taille de plume et les variations de graphie montrent que ces corrections ont été portées à des dates différentes.
Les premières lignes sont écrites sur un feuillet contrecollé par des points de cire recouvrant quelques lignes, qui permettent de comprendre que cet ensemble s’insérait après l’actuel chapitre 4 du Livre XI.
Il s’agit d’une suite de quatre chapitres, longtemps restés inédits, retranchés du manuscrit des Mémoires d’Outre-Tombe après 1834, puisque Sainte-Beuve avait pu alors les lire et en citer un passage, en les résumant comme une « grande dissertation sur l’âme » ; Chateaubriand en utilisera deux extraits dans le livre XXIV et dans la Conclusion.
Ces pages ont été publiées dans l’édition des Mémoires d’Outre-Tombe de la Bibliothèque de la Pléiade (t. I, p. 1070-1089) ; la première page a été exposée à la Bibliothèque nationale, Chateaubriand, le voyageur et l’homme politique (1969, n° 639).
La première page porte à nouveau le titre qui figurait sur la chemise :
« Première partie. – Livre Onzième. – Incidences – Digression philosophique », et de la main de Chateaubriand :
« De l’âme et de la matière », avec la date, en partie de la main de Chateaubriand :
« Londres d’avril à septembre 1822 » (p. 275-286).
[2e chapitre] : « Incidences. Suite de la digression philosophique. Deux études parallèles. Opinion mixte ou Panthéisme » (p. 293-297).
[3e chapitre] : « Incidences. Suite de la digression philosophique. Divers systèmes sur la nature de l’âme. Le Néant. Dieu formé par la matière. Conscience. J.J. Rousseau » (p. 298-312).
[4e chapitre] : « Incidences. Suite de la digression philosophique. Qu’est-ce que la matière ? Matérialisme et Athéisme, orgueil déguisé. Que si on est Déïste il faut logiquement devenir chrétien, et pourquoi. Que la Religion de la croix loin d’être à son terme, entre à peine dans sa troisième période » (p. 313-322, manquent les dernières lignes)
─ ON JOINT
• une copie mise au net par une troisième main (58 pages sous 4 chemises titrées), reprenant certaines des modifications apportées par Chateaubriand, et complet d’une dizaine de lignes manquant à la fin du manuscrit de Pilorge. Plus une étude comparative dacylographiée de ces deux manuscrits (18 p.).
Citons le début de ce livre retranché : « J’avois beaucoup étudié les livres de philosophie et de métaphysique : tout ce qu’on peut dire pour ou contre l’existence de l’âme et l’existence de Dieu, m’étoit connu ; tous les écrits et commentaires contre la partie historique, dogmatique et liturgique du Christianisme, avoient été l’objet de mes invegtigations. Je n’ignorois aucune des objections des esprits forts, depuis ceux qui niant le Christ, regardoient les Évangiles comme un beau mithe de l’école d’Alexandrie du second siècle, jusqu’à ceux qui ne voyoient dans le Christianisme que le développement naturel de la civilisation, la marche obligée, le progrès invincible de la société générale. Si mon imagination étoit naturellement religieuse, mon esprit étoit sceptique ; examinateur impartial des motifs de la foi et des motifs de l’infidélité. J’avois pitié des Croyants, mais j’avois un profond dédain pour les incrédules, trouvant les raisons de croire supérieures aux raisons de ne pas croire : ma philosophie n’étoit pas plus sotte et plus suffisante que cela. Le consentement universel des hommes touchant l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, n’avoit cessé de m’embarrasser à l’époque même de l’indépendance de mes opinions religieuses »…
▬ B. Manuscrit avec quelques corrections autographes, [Le Revenant] (7 pages in-4, pag. [201]-207). Fin écartée de l’actuel chap. 3 du livre III (en partie publiée, Pléiade, t. I, p. 1051-1053). Sur les revenants et fantômes à Combourg qui font peur à ses sœurs ; et légende de Johan de Tinténiac à qui apparaît un moine-fantôme.
▬ C. Manuscrit avec corrections autographes, Sur une pièce retrouvée (10 pages in-4, pag. 1180-1188 avec un bis, pour la 2e partie, livre IV). Chapitre biffé, de la main de Pilorge avec corrections autographes (corrigé aussi par Pilorge et par Daniélo). Sur l’exécution du Duc d’ENGHIEN, et un document qui établirait la responsabilité personnelle de Bonaparte dans le jugement et l’exécution : « Ceux qui publiroient cette pièce auroient-ils donc oublié les volumes écrits à Ste Hélène, les relations, les mémoiress sans nombre, les apologies, les excuses imaginées d’après les dires, les insinuations, les aveus et le désaveus du grand homme ? Que d’impostures entassées sur des impostures pour cacher la vérité, pour échapper à la douleur de cette tunique qui se colloit à la chair d’Hercule ! »… (ce chapitre retranché, qui devait prendre place après le chap. 2 de l’actuel livre XVI, est publié dans la Pléiade, t. I, p. 1098-1102).
▬ D. Manuscrit autographe de 4 pages in-4 (paginé 11-14). Fragment de premier jet d’une version primitive, avec ratures et corrections, des actuels chapitres 15 et 17 du livre XXIV, évoquant Longwood après la mort de NAPOLÉON, et racontant son voyage au Golfe Juan, avec d’importantes variantes par rapport au texte définitif (Pléiade, t. I, p. 1115-1116 ; exposé à la BN en 1969, n° 646). « Un registre reçoit les noms des voyageurs qui croyent devoir lui inscrire leur obscurité. Le vieux Longwood à deux cents pas du nouveau est abandonné. On arrive à travers un enclos rempli de fumier qui précède le mur d’une écurie. C’était la chambre à coucher de Bonaparte. Un nègre vous montre une espèce de couloir occupé par un moulin et vous dit : Here he died, ici il est mort […] Il suffit qu’on retourne à cette sépulture, la solitude, l’Océan et Napoléon : il n’y manque que le temps. […] En Europe j’ai moi-même été visiter le lieu où Napoléon a fait son avant-dernier pas dans la vie, pas qui s’est cruellement enfoncé dans la terre, et qui ne s’effacera jamais. […] De ce silence du Golfe Juan qui régnoit dans les îles des anciens solitaires et sur la plage où Napoléon aborda, sortit ce grand bruit de Waterloo qui devoit expirer à Ste Hélène. À cette époque de l’histoire de l’univers, entre deux civilisations, au souvenir d’un monde passé et d’un monde qui passe, la nuit, seul, sur cette plage qui voit tout changer et ne change jamais, ce que l’on pense ne sauroit se dire ».
▬ E. Manuscrit en partie autographe, et signé, de l’actuel chapitre 12 du Livre XXV, [« Lettre à l’auteur de la Némésis »] (Pléiade, t. II, p. 516-519) ; 6 pages in-4 et une page in-8, dont 3 pages entièrement autographes.
Il s’agit manifestement de la minute, dictée à Pilorge et surchargée de ratures, corrections et additions (dont une page autographe ajoutée), de la longue lettre adressée au poète satirique Auguste BARTHÉLÉMY le 9 novembre 1831, en réponse à son épître À Monsieur de Chateaubriand publiée dans la Némésis du 6 novembre : « Pour me défendre de la séduction de ces éloges donnés avec tant d’éclat, de grâce et de charme, j’ai besoin de me rappeler les obstacles qui s’élèvent entre nous. Nous vivons dans deux mondes à part : nos espérances et nos craintes ne sont pas les mêmes ; vous brûlez ce que j’adore, et je brûle ce que vous adorez. Vous avez grandi Monsieur, au milieu d’une foule d’avortons de Juillet ; mais de même que toute l’influence que vous supposez à ma prose ne fera pas, selon vous, remonter au trône une race tombée ; de même, selon moi, toute la puissance de votre poësie ne ravalera pas cette noble race […] Ah ! monsieur, je vous en conjure au nom de votre rare talent, cessez de récompenser le crime et de punir le malheur, par les sentences improvisées de votre Muse, ne condamnez pas le premier au ciel, le second à l’enfer »... Elle est accompagnée du brouillon autographe, abondamment corrigé (avec des variantes), du texte de présentation en tête du chapitre, daté « Paris, rue d’Enfer, infirmerie de Marie-Thérèse Décembre 1831 » : « Un poëte mêlant les proscriptions des muses à celles des loix, dans une improvisation énergique a attaqué la veuve et l’orphelin que cherchoir à couvrir ma poitrine. Comme ces vers viennent d’un homme qui semble s’élever contre les turpitudes du gouvernement, par cela seul ils ont acquis une sorte d’autorité qu’il ne m’a permis de les laisser passer : j’ai fait volte face »…
▬ F. 2 manuscrits avec corrections autographes. – Fortifications (8 pages in-4, non foliotées, par Pilorge avec corrections). « Après le retour des cendres de Bonaparte sont arrivées les fortifications, dérivation d’une même idée. Louis-Philippe a compris que le siège de la révolution étoit dans Paris, qu’elle le renverseroit un jour lui ou ses fils, comme elle avoit renversé ses prédécesseurs, que pour régner il fallait être maître de la capitale »… – Minute de lettre au Duc de BROGLIE sur le même sujet, dictée à Pilorge avec corrections autographes (11 pages in-4, pag. 1-11), avec cette note autographe en tête : « revu le 22 février 1845 Fortifications » : il explique d’abord qu’après la Révolution de 1830, il a renoncé à la Pairie, aux pensions, etc. : « je ne reconnus rien du nouvel ordre politique » ; puis il explique longuement son opposition aux fortifications : « l’embastillement quand il ne seroit pas complet sera l’anéantissement de nos libertés. Le despotisme que la gloire de Bonaparte a laissé dans l’air descend sur nos têtes et se condense en forteresses autour de Paris »…
▬ G. Manuscrits ou notes divers, la plupart avec des corrections autographes.
Années de ma vie 1802 et 1803. Question relative au progrès futur des lettres, daté « Paris 1837 » (4 pages in-4, par Pilorge avec corrections, paginé 67-70). « Audelà du mouvement imprimé aux lettres à la naissance de ce siècle, en commencera-t-il un autre ? La nature humaine est-elle au bout de toute progression possible […] Bonaparte sera la dernière existence isolée de ce monde ancien qui s’évanouit »…
Fragment (biffé) sur la Duchesse de LÉVIS (1 page in-4 chiffrée 1930, extraite du manuscrit de 1845, selon une note au dos pour la 3e partie, livre V), par Pilorge avec corrections autographes (texte modifié, Pléiade, t. I, p. 942-943).
Fragment sur les damnés (1 page in-4 chiffrée 322 avec becquet épinglé, par Pilorge avec corrections autographes, bord déchiré).
Les Pyrénées, poème (2 pages in-4, pag. 1-2, de la main de Pilorge).
Fragment sur une jeune fille inconnue (2 pages in-4, pag. 1-2, avec quelques corrections autographes, et l’indication « note) » : « En regardant par ma fenêtre à Naples, j’apperçus dans une maison en face de moi, de l’autre côté de la rue, deux mains qui se serraient »…
« Pour la conclusion des Mémoires » (7 pages in-8 sous chemise titrée, de la main de Pilorge) : « La littérature moderne, si toutefois cela peut s’appeler littérature, consiste à prendre une idée que l’on croit profonde et que l’on donne pour un type général de la société »…
Notes diverses (20 pages formats divers) avec 2 feuillets autographes, dont cette note : « Les cahiers retranchés des livres de mon émigration à Londres, (à l’endroit où je parle du Génie du Christianisme) doivent être reportés à la conclusion de tous mes Mémoires, quand je passerai en revue mes ouvrages et mes opinions » ; cette note de la main de Pilorge : « Morceaux sur moi qui pourront servir dans la conclusion generale de mes mémoires, si je la fais » ;
quelques pages de la main de Pilorge sur Villèle, sur la révolution de Juillet, sur Catherine de Médicis, sur Port-Royal, sur les Américains, etc. Une note dictée à Pilorge, avec titre ajouté par Daniélo, Avertissement particulier : « Je me suis aperçu en relisant mon manuscrit que les livres étoient trop multipliés », et il donne des instructions pour réunir plusieurs livres : « on maintiendra seulement les quatre parties ou carrières ma carrière de soldat, ma carrière littéraire, ma carrière politique et ma carrière melée audelà de la chute de la monarchie (1 p. in-4, bord déchiré).
Plus 2 copies d’une lettre de Chateaubriand à son éditeur, le prévenant qu’il a revu et corrigé ses Mémoires, désormais conservés dans une boîte dont il lui envoie la clef, et copie d’un billet du 22 mars 1836, concernant son manuscrit et les modifications éventuelles.
─ On a joint
• la copie de l’acte de naissance de Chateaubriand ;
et
• une lettre de Charles LENORMANT, après la publication en feuilletons des Mémoires d’outre-tombe, 5 décembre 1848.
▬ H. Une quarantaine de manuscrits, imprimés et journaux, avec une note dictée à Pilorge : « Je comptais me servir de tout cela pour divers travaux historiques que je n’ai point faits ». Ces documents concernent principalement la Révolution française, le Consulat et l’Empire, la Restauration. On relève notamment, dans les manuscrits, une lettre de 1613 sur l’état du royaume, une lettre d’Agier en 1766, la copie d’une lettre sur les émigrés à Hambourg, celle d’un bon royal de la Vendée, celle d’une lettre de Murat, une lettre signée de Dupin, préfet des Deux-Sèvres en 1805, un bulletin manuscrit de l’Armée des Pyrénées en 1823, et un projet lithographié de place et monument triomphal du Trocadéro commémorant la campagne d’Espagne (1823) ; dans les imprimés, la Liste des membres de la Société des Amis de la Constitution, déclaration de La Société populaire et régénérée de Maixent à la Convention Nationale, et plusieurs numéros de divers journaux : Journal de Paris, Chronique de Paris, Journal des Débats (6, 1791-1797), Le Postillon de Calais, Journal du Soir, Le Voyageur, Journal des Hommes Libres de tous les Pays (quelques lignes biffées par Chateaubriand), Le Sémaphore de Marseille du 13 mai 1828.
─ Provenance :
• archives de Combourg ;
• vente Sotheby’s, Paris (29 mai 2013, n° 29).