Lot n° 280

VERLAINE (Paul). [Laeti et errabundi]. Poème autographe, daté As. de Vincennes 8 7bre [18]87, 2 pages in-8 (202 x 133 mm), à l'encre brune, sous chemise demi-maroquin noir moderne.

Estimation : 25 000 - 35 000 €
Adjudication : 43 750 €
Description
Rimbaud et Verlaine : leur amour par delà la mort.
Très célèbre poème de Verlaine sur Rimbaud.
Manuscrit de premier jet, inconnu, avec de très nombreuses ratures, corrections et variantes inédites.

A la date où il compose ce poème, en septembre 1887, la santé de Verlaine est au plus bas, il écrit très peu. Alors qu'il est hospitalisé à Tenon, Verlaine apprend la rumeur de la mort de Rimbaud en Afrique.

Sous le choc de cette nouvelle, il compose ce très long poème (25 strophes, soit 100 vers) dans lequel, tout en refusant de croire à la mort de son amant, il revit intensément leur amour passé. La nouvelle de la mort de Rimbaud, bientôt démentie (il ne mourra que quatre ans plus tard, en 1891), aura tout de même provoqué ce témoignage direct de leur relation, toujours très vive dans le coeur de Verlaine, quinze ans après leur séparation.

La longueur du poème, la forme de ce manuscrit, avec ses nombreuses corrections, ses variantes, ses ratures, montrent l'intense émotion de Verlaine à l'évocation, dans sa détresse, de l'aventure qu'il a vécue avec Rimbaud. Ainsi s'ouvre le poème :

Les courses furent intrépides (Comme aujourd'hui le repos pèse!)
Par les steamers et les rapides.
(Que me veut cet at home obèse?)
Nous allions - Vous en souvient-il, Voyageur où ça disparu? -
Filant légers dans l'air subtil, Deux spectres joyeux, on eût cru.
Dans ces vers qui rappellent le «Colloque sentimental» des Fêtes Galantes, Verlaine célèbre leurs années de vie commune, quand ils étaient «gais et vagabonds», selon le titre en latin du poème, variante du «Moesta et errabunda» des Fleurs du mal. Avec audace et transparence, il évoque le scandale de cette errance avec son compagnon d'enfer, comme en témoignent ces deux très belles strophes, dont la première comporte de nombreuses variantes:
Scandaleux sans savoir pourquoi (Peut-être que c'était trop beau), Chacun de nous deux restait coi
Ainsi qu'un bon porte-drapeau, Coi dans l'orgueil d'être plus libres
Que les plus libres de ce monde, Sourd aux gros mots de tous calibres, Inaccessible au rire immonde.
Verlaine, puissamment hanté, se refuse à croire - avec raison - à la mort de Rimbaud:
Je n'y veux rien croire, mort, vous, Toi, dieu parmi les demi-dieux!
Ceux qui le disent sont des fous.
Mort, mon grand péché radieux

D'abord publié dans La Cravache du 29 septembre 1888, le poème est repris l'année suivante dans Parallèlement, avec quelques variantes. La dernière strophe est ici précédée d'une version abandonnée avec de nombreux repentirs et reprises de vers:
Vous mort! Vous vivez ma vie!
Mort morte le miraculeux poème... philosophie
Et ma patrie et ma bohème
Morts! Mais non, tu vis ma vie!

♦ Impressionnant manuscrit inconnu des spécialistes, en dehors de sa mention dans un catalogue de vente :
le seul manuscrit connu est une copie de 1889 par une amie de Verlaine.

Disposées sur deux colonnes, les strophes sont numérotées de 1 à 25 par le poète. Les corrections et ratures sont nombreuses, avec des ajouts dans les marges ou en note, certains vers réécrits plusieurs fois.
Un an et demi après la mort de Rimbaud, le 10 novembre 1891, Verlaine rédigera un autre poème, véritable tombeau de son ami, qui s'ouvre ainsi: «Toi mort, mort, mort!...» («A Arthur Rimbaud», dans Dédicaces, Pléiade, p. 601).

▬ De la collection
• G.-E. Lang (IIe partie, 30 janvier 1926, n° 1395).

Œuvres poétiques complètes, éd. Y.-G. Le Dantec et J. Borel, Pléiade, 1965, p. 522-525; Amour suivi de Parallèlement, éd. O. Bivort, Le Livre de Poche, 2017, p. 422-429.
Trace d'onglet au verso.
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