Lot n° 344

George SAND. L.A.S., Nohant 6 avril 1868, [à Francis LAUR] ; 5 pages in-8 à son chiffre.

Estimation : 800 / 1 000 €
Adjudication : Invendu
Description
BELLE LETTRE DE CONSEILS SUR LA POLITIQUE À SON JEUNE PROTÉGÉ, et sur la naissance de sa petite-fille Gabrielle (11 mars 1868).

« Cher enfant, j’ai été à Cannes, à Monaco, à Menton, etc. avec Maurice. Nous sommes revenus vite, Lina nous donnant une seconde petite fille, charmante et bien en train de vivre. La petite mère se porte bien. Aurore est superbe. Gabrielle, la seconde, hume le doux air de notre printemps. Tout va à merveille cette fois et nous sommes heureux. Des hauteurs de la Corniche et de la Turbie, nous avons vu, durant une journée bien claire, le grand profil de la Corse à l’horizon de la Méditerranée, et le profil plus pâle et plus lointain de la Sardaigne [Laur y était ingénieur aux mines d’Iglesias].
Nous t’avons envoyé des baisers et des vœux par-dessus l’espace. Nous eussions été bien tentés de t’aller trouver, mais le temps manquait, nous étions partis un peu tard et nous avions hâte de revenir au nid qui se remplissait d’un hôte nouveau.
Tu me fais une question à dérouter les 7 sages de la Grèce. La politique n’est pas une science dans laquelle on puisse et doive s’absorber avec fruit. C’est un art qui prend ses racines dans la philosophie et le socialisme. Si ces racines avaient rencontré le bon sol, la politique pousserait toute seule, et il ne s’agirait plus que d’écarter les dévorants ou les orages. Mais dans l’état des choses, il me paraît impossible d’avoir une bonne théorie. L’art de conduire les hommes au vrai est donc un tâtonnement perpétuel, et aucune théorie ne peut servir infailliblement. À preuve les hésitations et les contradictions apparentes des héros eux-mêmes.
Politique proprement dite, c’est l’examen des faits changeants et multiples, la prévision, habile ou déçue des effets que doivent produire et que ne produisent pas toujours les causes. C’est une série d’inspirations au jour le jour où l’on est cruellement trompé quand on n’est pas surpris par des résultats inespérés.
Chose flottante et illogique comme la vie humaine, et sur laquelle on ne peut établir un plan fixe. Il n’y a qu’une certitude, la foi au progrès, l’espoir et le désir d’y travailler. Mais on y travaille bien ou mal, selon que l’on est plus ou moins sagace, et aucune expérience acquise ne peut servir de base certaine à une expérience nouvelle.
C’est donc l’inconnu, c’est l’avenir ! Nul ne peut te prendre par la main et te montrer le sentier. À toi de le discerner à travers les mirages, à toi de te diriger d’heure en heure comme fait le genre humain.
L’important c’est d’avoir le cœur pur et chaud avec la tête saine. –
Tu as la religion sociale dans l’âme, – mais qui te renseignera sur l’application ? Elle se composera toujours de moyens changeants comme les faits, et ondoyants comme les milieux et les circonstances »...

Correspondance (éd. Georges Lubin), t. XX, p. 780.
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