Lot n° 342

George SAND. L.A.S. « George », [Paris 6 mai 1833], à Adolphe GUÉROULT ; 3 pages in-4, adresse (quelques légères fentes).

Estimation : 1 800 / 2 000 €
Adjudication : 2 250 €
Description
♦ ÉTONNANTE LETTRE FÉMINISTE, SUR SES VÊTEMENTS MASCULINS, ET SUR LE SAINT-SIMONISME.

George Sand a renvoyé à Guéroult sa lettre, sur laquelle elle a commencé à écrire sa réponse. Guéroult (journaliste au Globe et au Journal des Débats) écrivait notamment à Sand :

« Vous êtes née, et vous mourrez femme. Quand vous portez le costume de votre sexe, j’éprouve près de vous une sorte de respect, car comme femme, vous avez souffert assez noblement pour le mériter. En homme vous êtes gentille, vous êtes un joli page qu’on a envie d’embrasser pour ses beaux yeux, mais il y a là-dessous quelque chose où perce le travestissement, l’espièglerie de carnaval. En homme, je ne vous prends nullement au sérieux »...

Sand renvoie cette page « absurde » et « inconvenante », et ajoute : « Personne ne doit m’écrire ainsi. Critiquez mon costume dans d’autres idées et d’autres termes si vous avez envie »... Elle pense que Guéroult était gris en écrivant ainsi :

« MUSSET n’aurait pas fait mieux ». Elle ne se fâche pas pour autant.
Elle ne veut pas « soutenir une controverse sur le saint-simonisme. J’aime ces hommes et j’admire leur premier jet dans le monde. Je crains qu’ils ne s’amendent trop à notre grossière et cupide raison, non par corruption, mais par lassitude, ou peut-être par une erreur de direction dans un zèle soutenu. Vous savez que je juge de tout par sympathie. Je sympathise peu avec notre civilisation transplantée en Orient.
J’en aimerais mieux une autre qui n’eût pas surtout L[ouis]-Philippe pour patron et Janin pour coryphée. – C’est peut-être une mauvaise querelle. Aussi n’y devez-vous pas faire attention, et surtout ne jamais vous effrayer des moments de spleen, ou d’irritation bilieuse où vous pouvez me trouver. Vous vous trompez si vous croyez que je sois plus agacée maintenant qu’autrefois. Au contraire je ne sache pas l’avoir été moins. J’ai sous les yeux de grands hommes et de grandes pensées.
J’aurais mauvaise grâce à nier la vertu et le travail. Mes idées sur le reste sont le résultat de mon caractère, et mon sexe avec lequel je m’arrange fort bien sous plus d’un rapport, me dispense de faire grand effort pour m’amender. Car après tout je serais le plus beau génie du monde que je ne remuerais pas une paille dans l’univers, et sauf quelques bouffées d’ardeur virile et guerrière, je retombe facilement dans une existence toute poétique, toute en dehors des doctrines et des systèmes.
Si j’étais garçon, je ferais volontiers le coup d’épée par-ci, par-là, et des lettres le reste du temps. N’étant pas garçon je me passerai de l’épée et garderai la plume, dont je me servirai le plus innocemment du monde. L’habit que je mettrai pour m’asseoir à mon bureau importe fort peu à l’affaire, et mes amis me respecteront, j’espère, tout aussi bien sous ma veste que sous ma robe. Je ne sors pas ainsi vêtue sans une canne, ainsi soyez en paix. Il n’y aura pas de grande révolution dans ma vie pour cette fantaisie de porter un habit de bousingot quelques jours en passant, dans des circonstances données, où j’attache de tendres superstitions et le secret de certains souvenirs profonds à ce travestissement.
Soyez rassuré, je n’ambitionne pas la dignité de l’homme. Elle me parait trop risible pour être préférée de beaucoup à la servilité de la femme. Mais je prétends posséder aujourd’hui et à jamais la superbe et entière indépendance dont vous seuls croyez avoir le droit de jouir. Je ne la conseillerai pas à tout le monde, mais je ne souffrirai pas qu’un amour quelconque y apporte, pour mon compte, la moindre entrave. Sinon point d’amour, à jamais, J’espère faire mes conditions si rudes et si claires que nul homme ne sera assez hardi ou assez vil pour les accepter. […] Prenez-moi donc pour un homme ou pour une femme, comme vous voudrez. Duteil dit que je ne suis ni l’un ni l’autre, mais que [je] suis un être. Cela implique tout le bien et tout le mal ad libitum.
Quoi qu’il en soit, prenez-moi pour une amie, frère et sœur tout à la fois. Frère pour vous rendre des services qu’un homme pourrait vous rendre, sœur pour écouter et comprendre les délicatesses de votre cœur.
Mais dites à vos amis et connaissances qu’il est absolument inutile d’avoir envie de m’embrasser pour mes yeux noirs, parce que je n’embrasse pas plus volontiers sous un costume que sous un autre »...

Pour finir, elle avertit qu’on ne changera pas son caractère.

▬ ON JOINT :
• la réponse a.s. de Guéroult (1 page et demie in-4), s’excusant pour la légèreté de ses paroles.

Correspondance (éd. Georges Lubin), t. II, p. 878.
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