Lot n° 92

FILM D’ART. 180 lettres, la plupart L.A.S., plus quelques pièces et lettres jointes, la plupart adressées à Henri LAVEDAN, administrateur-directeur du FILM D’ART, 1908-1913 ; quelques en-têtes, notamment Le Film d’Art ou Les Frères...

Estimation : 5 000 / 6 000 €
Adjudication : 6 875 €
Description
Laffitte (on joint 9 cartes de visite).
► IMPORTANT ENSEMBLE SUR LES DÉBUTS DE LA SOCIÉTÉ DE PRODUCTION LE FILM D’ART, DÉDIÉE À DES ADAPTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES DE QUALITÉ.

La société Le Film d’Art fut fondée le 18 janvier 1908 par Paul LAFFITTE (1864-1949), financier, romancier et actionnaire de PATHÉ, avec, en qualité d’administrateurs, son frère Léon LAFFITTE, l’écrivain Henri LAVEDAN (1859-1940) de l’Académie française, l’acteur Charles LE BARGY (1858-1936) de la Comédie Française, et l’architecte Jean-Camille FORMIGÉ (1845-1926).
À partir du mois d’août 1908, une trentaine de lettres de Richard CANTINELLI (1870-1932), beau-frère de Paul Laffitte, recruté pour rendre compte de la direction littéraire et la direction générale de la société, donnent une dimension exceptionnelle de reportage sur Le Film d’Art.

La très grande majorité des documents datent de 1908 ; à la fin de cette année, Lavedan démissionna du conseil d’administration et de la direction de la société.
Cette correspondance retrace une campagne dynamique pour recruter des auteurs dramatiques (qui se révèlent curieux à l’égard du « cinématographe », mais souvent incertains quant à la manière de procéder), et pour trouver de bons sujets historiques ou littéraires, en dépit des contraintes sévères du film muet en noir et blanc. Elle comporte aussi d’intéressantes réflexions et des détails précieux sur la transformation de la prose narrative en action dramatique, le jeu muet, la musique d’accompagnement, le « tournage » (néologisme), le style des affiches, les obstacles à la diffusion aux États-Unis, le prix et l’intérêt des décors, le sort des « bandes » ratées, etc. Nous n’en pouvons donner ici qu’un rapide aperçu.

─ 1908. 11 janvier.
L’historien G. LENOTRE propose comme sujet, une fête avec visite de Napoléon à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur…

─ 31 janvier.
Maurice MAINDRON dresse un « Choix élémentaire de Scènes cinématographiques », du Ve au XVIIe siècle.

─ 4 février.
Edmond HARAUCOURT prépare un scénario sur l’amiral de Coligny (« Mounet amiral, Lebargy roi »), et propose un Monaldeschi et Christine à Fontainebleau, « tout un drame sans paroles où Jane Hading ferait une belle impitoyable »…

─ 9 février.
DANIEL-LESUEUR envoie une coupure du Cri de Paris sur « Le Cinématographe » et la nouvelle société…
– MAINDRON envoie son scénario d’un Marquis de Priola et des recommandations pour les costumes et les armes : « les principes de Capoferro »…

─17 février.
Alexandre BISSON propose d’adapter Mateo Falcone de Mérimée : « J’y vois un petit drame facile, rapide et saisissant, quatre tableaux »…

─[28 février].
Victorien SARDOU renâcle contre la présidence du dîner d’inauguration du Film d’Art. « J’espère en tout cas qu’on ne va pas se coller en habit noir et cravate blanche »…
– Gustave GEFFROY accepte l’invitation au dîner du Film d’Art…

─ 1er mars.
Gustave GUICHES accepte l’invitation du Film d’Art, « encore que ce titre s’enveloppe d’un certain mystère cinématographique »…

─ 3 mars.
Félix DUQUESNEL désire prêter son concours au Film d’Art…

─ 16 mars.
Georges d’ESPARBÈS voudrait que Lavedan lui fasse « comprendre cette affaire du Cinématographe. Hélas !... je ne suis pas intelligent »…

─[18 mars].
Paul LAFFITTE parle du recrutement de Novelli et de la Duse par l’entremise du comte Primoli, ainsi que des signatures d’Hauterive [exécuteur testamentaire de Dumas fils] pour la Dame aux camélias, et d’Albert Carré pour ses danses…

─28 mars.
FRANC-NOHAIN accepte de venir parler avec Lavedan…

─ 8 avril.
Alfred MASSON-FORESTIER propose un scénario fondé sur sa propre expérience de joueur…

─ [9 avril ?].
Gabriel NIGOND propose « un petit drame champêtre pour le cinématographe » : il met en scène un enfant trouvé, un amour contrarié et un dénouement apte à faire pleurer la salle…

─ 11 avril.
Franz FUNCK-BRENTANO annonce l’envoi du Masque de Fer : « Les passages soulignés de rouge sont les lignes à projeter sur l’écran, conformément à ce que j’ai vu au cinématographe Gaumont, au théâtre du Gymnase »...

─ 16 avril.
Léon LAFFITTE : « Le Film d’Art doit être maître chez lui et ne point prendre de metteurs en scène chez Pathé, – qui n’est que notre éditeur, – alors que nos metteurs en scène s’appellent Le Bargy, Gémier, Porel ! »…

─ [8 mai].
Charles MONCHARMONT propose de faire faire des expériences d’un cinématographe en couleur, par un ami inventeur…

─ 15 mai.
Réserves de Michel VERNE : « Il me paraît bien difficile de réaliser les fictions de mon père, […] la nature joue le rôle du principal personnage. Comment rendre les inondations, éruptions, etc. ? La difficulté est particulièrement grande pour Sous les mers », histoire très compliquée à faire comprendre « à des spectateurs nécessairement sourds »…

─ 2 juin.
Mise au point comminatoire de MASSON-FORESTIER sur le sort d’un scénario ; « ceci peut nous amener devant les tribunaux »…

─ 5 juin.
Jean MONVAL, apprenant la fondation d’une « société d’exploitation d’œuvres dramatiques par le phonographe et le cinématographe », estime que son oncle [François Coppée] eût été « assez partisan d’une vulgarisation de ce genre »…

─ 12 juin.
André DE LORDE promet pour bientôt « quelque chose d’important et de pas mal »…

─ [16 juin].
Maurice LEBLANC confesse que toutes ses idées « convergent vers le Lupin théâtral que De Croisset et moi nous élaborons. Et le Lupin cinématographique a du mal à sortir des limbes »…

─ 21 juin.
Michel VERNE à propos de 20.000 lieues sous les mers : « dans cet ouvrage, il n’y a pas d’histoire, pas d’intrigue. C’est une succession de tableaux pittoresques. Le scénario n’est donc pas autre chose, mais je considère ces scènes-là comme absolument irréalisables »…

─ [Juillet].
Émile FABRE déconseille l’adaptation du Nouveau Jeu de Lavedan :
« Nous supprimons pour le Film la langue et les caractères. Que va-t-il nous rester ? » ; c’est un « théâtre sans paroles »…
– Léon LAFFITTE se réjouit à plusieurs reprises de la production de La Tosca, dirigée par André Calmettes, avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre :
« On a donc “tourné” aujourd’hui trois actes avec Sarah, […] deux fois chaque scène et comme il y avait deux opérateurs, cela fait donc que nous aurons quatre négatifs. […] c’est vraiment passionnant ! »…

─ 7 juillet.
Résumé par Paul et Léon LAFFITE des films en cours, dont la Tosca :
« Elle a joué d’une façon divine et nous avons tous été émus par la façon dont elle a fait sa sortie après l’assassinat de Scarpia »…

─ 14 juillet.
Louis LELOIR accepte l’offre de Louis XI :
« Il y a des scènes amusantes et dramatiques à traiter. Veuillez seulement me dire, combien de pages de texte et quel format, correspondant à la durée de l’action »…
– FUNCK-BRENTANO envoie son Affaire du Courrier de Lyon, écrite en collaboration avec Raymond Lécuyer, rédacteur au Gaulois…

─ 22 juillet.
Jacques LANGLOIS, ému par la réception de sa Légende de Vénus, a « commis autre chose […] :
je me suis embusqué derrière la grande ombre de Shakespeare et j’ai commis Hamlet ! J’ai fait de mon mieux pour être complet, cinématographique et clair »…

─ 23 juillet.
Louis LELOIR de l’intérêt de la mort de Molière, et propose de soumettre d’autres sujets : « Il y aura probablement pas mal d’inexpérience dans tout cela »…

─ 30 juillet.
LELOIR propose son idée du Siège de Paris, « matière à sujets poignants, intimes, héroïques, simples – enfin toute la gamme »…

─ 4 août.
Richard CANTINELLI rend compte de ses échanges avec Charles Pathé : sa maison n’est pas hostile au Film d’Art, il désire une séparation des fonctions, etc.

─ [5 août].
André de LORDE s’enquiert de sa Main sanglante, et propose, « dans ce genre » La Nuit rouge, Au téléphone, etc. Il a pour accompagner la Main une partition musicale remarquable et inédite…
– Ernest d’HAUTERIVE envoie son scénario de La Tour de Nesle : « Je suis trop inexpérimenté dans les choses du cinématographe pour savoir si vraiment le scénario peut être joué »…

─ 6 août.
Objections de CANTINELLI :
« Nous venons, pressés par le temps, de donner le jour à La Main Rouge qui ressemble […] à La Main Sanglante. Nous ne pouvons vraiment pas, pour notre début, accumuler les mains. Et puis, malgré tout, le singe est difficile à recruter […].
Vous savez que l’Amérique (50% de la vente) refuse d’accepter les films représentant des meurtres ou des nudités »…

─ 7 août.
Scénario de CANTINELLI d’une adaptation du Tambour Legrand d’Henri Heine… – LAVEDAN approuve l’idée d’une équipe de décorateurs qui serait installée aux portes de l’atelier du Film d’Art, et évoque un traité avec Mme Zola…

─ 8 août.
CANTINELLI, sur l’engagement d’artistes étrangers. « Je crois, à mesure que je vois défiler des bandes, que les mimes nous seront d’un grand secours, car, il faut bien le dire, rien n’est plus agaçant que de voir des acteurs qui remuent les lèvres sans émettre de son. Le jeu si clair de Séverin, un peu canaille, mais aussi d’une fantaisie assez fine est pour beaucoup dans l’intérêt que doit offrir la Main rouge au grand public »… Il conteste que Mireille soit raté, mais propose un bas prix pour les films médiocres, que l’on présenterait sans la marque du Film d’Art, « mais seulement le coq de Pathé un peu modifié, pour permettre le contrôle »…

─ 11 août.
CANTINELLI, sur l’avancement du Duc de Guise de Calmettes, d’après un scénario de Lavedan ; sur ses efforts pour « commander à des artistes intéressants et aussi peu usés que possible » des affiches pour chaque film, avec détail des usages des exploitants, des prix au mètre, et ses propres recommandations…

─ 13 août.
Il annonce que Pathé assistera aux prises de vue du Duc de Guise… Il prévoit un film « assez gai » des Merzbach d’après L’Assommoir, et suggère des sujets d’après Mérimée…

─ 14 août.
CANTINELLI sur Le Masque de fer : « il faudra se hâter de le tourner car […] dans le monde de la cinématographie, l’ouïe est fine »… Pathé lui-même propose de traiter Le Roi s’amuse… Causes de la démission de Jane Hading, pour un rôle dans le Duc de Guise…

─ 17 [août].
Mise au point de CANTINELLI sur le Duc de Guise : « l’art, et surtout le Film d’Art, ne vit que de sacrifices » ; quant aux sujets intéressants de Mérimée : « Il suffit de changer d’époque, et les histoires appartiennent à tout le monde »…
– Procès-verbal d’une réunion du Conseil du Film d’Art, où sont abordées des questions de sujets à créer, la rédaction de scénarios, la participation d’Émile Fabre, le tournage de la Tosca, l’installation de l’éclairage électrique au théâtre de prises de vue du Film d’Art…

─ 19 août.
CANTINELLI reproche au Duc de Guise :
« sa longueur. Il dépassera […] 450 m. mais Ch. Pathé nous a dit que ce n’était pas là un obstacle à la vente et qu’on tendait de plus en plus vers le film long. Naguère encore, la préoccupation des exploitants était d’aligner sur leur affiche le plus de titres possible. Le public commence à se dégoûter de ces scènes toujours jouées au galop »…

─ 20 août.
LANGLOIS sur son Hamlet : « J’avais dialogué l’action (comme dans la Tosca) pour préciser le geste sans autre indication… Je comprends bien ce que vous me dites sur la presque impossibilité de traduire en gestes des pensées », mais ce serait « la condamnation à peu près absolue de toute tentative de réalisation scénique par le moyen du cinématographe »…

─21 août.
CANTINELLI parle longuement des chances d’obtenir Mounet-Sully pour Le Masque de Fer, ou encore Œdipe ou Le Roi Lear, « deux créations qui résumeront le Mounet visible. Car le meilleur Mounet, celui de Polyeucte et des stances du Cid, le Mounet parlant, je crains bien qu’il n’ait disparu avant qu’on ait trouvé le moyen de le perpétuer »… – Considérations de CANTINELLI sur les décors naturels, recommandant d’adopter « deux esthétiques, suivant deux genres de spectacles :
1° Les pièces d’acteurs illustres où le décor factice doit le plus souvent être préféré parce qu’il peut montrer à côté de l’acteur, et sous l’angle réduit de l’objectif rapproché, les parties les plus significatives du milieu dans lequel il évolue […].
2° Les pièces où tout l’intérêt, même avec des acteurs de second plan, naîtra du spectacle de l’ensemble (reconstitution de scènes historiques, foules, cérémonies (par exemple la reconstitution de la cérémonie du Sacre à Reims), ballets etc.) et où il faudra s’en tenir le plus possible au décor de nature »…

─ 14 septembre.
CANTINELLI résume sa conférence avec Pathé : « Cet homme, point artiste du tout, mais commerçant avisé, est enchanté du Duc de Guise sur lequel il fait cette seule réserve que “l’histoire lui paraît traîner en longueur”. Textuel. Je lui ai alors expliqué de mon mieux que nous avions renoncé dès le début à la fureur épileptique qui anime ses créations ; que si l’on veut faire de l’art dramatique il faut jouer suivant le rhythme de la vie et non suivant celui des maisons de fous »…

─ 17 septembre.
CANTINELLI sur une bande ratée : « Voilà donc 20 000 francs de fichus, et ceci, on peut, on doit le dire, par la seule faute de Calmettes qui […] a vulgarisé et déformé la mise en scène »… Ils essaieront de resserrer le scénario en renonçant aux tableaux trop couteux à refaire. « M. Ch. Pathé nous offre d’autre part de nous acheter ferme cette bande 10 000 fr, mais nous ne voulons pas galvauder chez Pathé les noms d’Albert Lambert, etc. »…

─ 27 septembre. F ernand VANDÉREM sur des changements à son scénario sur un jockey corrompu par un bookmaker, tourné à Chantilly…

─ 29 septembre. Nouvelles pessimistes de CANTINELLI après des projections : Le Duel sous Richelieu de Lenotre sera « vendable à 1,75, grâce à des retouches et à des adjonctions », mais Sam Bottler de Vandérem « est nul, sans intérêt, sans même le charme des images. Et ceci par la faute de l’auteur. Cette expérience assez coûteuse (6000 f. environ) nous démontre une fois pour toutes qu’il ne faudra commencer à répéter que le scénario définitivement et minutieusement établi »…

─ 5 octobre. CANTINELLI annonce que Saint-Saëns écrit sur Le Duc de Guise « une partition pour orchestre qui sera jouée Salle Charras par un orchestre de solistes de Lamoureux et que nous distribuerons, une fois imprimée, gratuitement avec la bande »…

─ 19 décembre. Charles PATHÉ, ayant reçu Laffitte et des financiers, ajourne son entrée au Film d’Art, mais propose un nouveau contrat qui obligera la société de se conformer à un programme qui réduira ses frais généraux de théâtre, « lesquels s’élèvent actuellement, paraît-il, à 600 fr. par jour »…

─ 21 décembre. LAVEDAN envoie sa démission du conseil d’administration et de la direction du Film d’Art…

─ 1909. 17 février.
Jacques MONNIER propose une adaptation de Peer Gynt d’Ibsen, avec musique de Grieg…

─ 15 juin. FUNCK-BRETANO a reçu des propositions du Film Éclair pour faire une série de films sur la Révolution…

─ 1911. 11 juillet. Résumé d’André CALMETTES de la situation du Film d’Art, tombé aux mains de son créancier, attaqué par dix procès, etc.

─ D’autres lettres de R. Benoist, Ad. Bisson, Jules Bois, Henry Bonnet, Daniel-Lesueur, Pierre Decourcelle, G. d’Esparbès, Ch. Esquier, Émile Fabre, Charles Foley, André Gailhard, Paul Gavault, Gervais-Courtellemont, Ernest d’Hauterive, L. Lagache-Klein, Henri Lavedan, Louis Leloir, Maurice Maindron, Max Maurey, Charles Pathé, Léonce Petit, Raymond Poincaré, Raymond Recouly, Fernand Samuel, André Sardou, Victorien Sardou, Louis Sonolet, José Théry, F. Vandérem, etc.
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