Lot n° 39
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SADE DONATIEN-ALPHONSE-FRANÇOIS, Marquis DE (1740-1814) - MANUSCRIT autographe, Les 120 journées de Sodome ou l'école du libertinage, 1785 ; bande de 33 feuillets collés bout à bout, formant un rouleau d'une longueur de 12,10 mètres sur une...

Estimation : 4 000 000 / 6 000 000
Adjudication : 4 55 euros le 9 juillet 2021
Description

largeur de 11,3 cm, écrit au recto puis au verso (quelques taches, et quelques petits manques marginaux sans perte de texte) ; dans une boîte-étui à dos double en veau gris à grand décor géométrique à froid de caissons formant perspective, l'intérieur de box rouge avec une cavité pour accueillir le rouleau (Jean-Luc Honegger).

Classés trésors nationaux, ce qui interdit leur sortie du territoire : L’appel au mécénat d’entreprise en vue de cette acquisition de 4,55 millions d’euros a abouti, a annoncé le ministère de la culture, vendredi 9 juillet 2021

AUTOGRAPH MANUSCRIPT
The 120 Days of Sodom, or the School of Libertinage, 1785 33 strips of paper glued together, forming a roll of 12,10 meters (476 inches) in length and 11,3 cm (4,4 inches) in width, written on both sides (some foxing and a few lacunae in the margins) ; roll in a modern fitted slipcase with geometric patterns (Jean-LucHonegger).
► Extraordinary autograph manuscript of the most famous novel of erotica, written by the Marquis de Sade while imprisoned in the Bastille.

EXTRAORDINAIRE ROULEAU MANUSCRIT du plus scandaleux des textes de la littérature érotique.

→ C'est à la Bastille, où il est transféré le 29 février 1784, que Sade va mettre au net, sur cet étonnant rouleau de papier, les brouillons des 120 Journées de Sodome, commencés, semble-t-il, deux ans plus tôt.

À deux reprises, Sade a daté ce rouleau manuscrit :
au bas du recto :
«Cette bande a été écrite en 20 soirées de 7 à 10 heures du soir et est finie ce 12 7bre 1785» ; puis à la toute fin : «Toute cette grande bande a été commencée le 22 8bre 1785 et finie en 37 jours» ; il a donc été écrit entre août et novembre 1785.

Les feuillets sont délimités sur chaque bord par un épais trait à l'encre brune ; certains lés de papier portent leur numéro d'assemblage ; dans la marge, Sade a en outre noté le numéro de la journée de la première partie ; les feuillets sont remplis d'une petite écriture serrée à l'encre brune ; on relève quelques ratures et passages biffés.

Le roman se situe à la fin du règne de Louis XIV, peu avant la Régence.
Sade présente d'abord longuement les quatre principaux protagonistes, de riches aristocrates libertins,
le Duc de Blangis, son frère l'Évêque, le Président de Curval et le financier Durcet ;
puis leurs femmes :
Constance, «femme du Duc et fille de Durcet»,
Adélaïde, «femme de Durcet et fille du président»,
Julie, «femme du président et fille aînée du Duc», et
Aline, «soeur cadette de Julie et réellement fille de l'Évêque».

Il s'agissait, dans le dessein des «quatre scélérats», non seulement de pratiquer toutes les débauches possibles, mais aussi, pour exciter leur lubricité, de se faire raconter (sur le modèle des Mille et une nuits ou du Decameron) «tous les écarts les plus extraordinaires de la débauche» par quatre maquerelles expérimentées :
Mme Duclos, Mme Champville, Martaine et la Desgranges, chacune chargée du récit de 150 passions, dans une gradation allant des plus simples jusqu'aux plus atroces supplices et au meurtre.
On choisit ensuite avec soin les «accessoires», soit «huit jeunes filles, huit jeunes garçons, huit hommes doués de membres monstrueux pour les voluptés de la sodomie passive, et quatre servantes».

Tout ce monde va vivre enfermé pendant quatre mois d'hiver dans le château de Silling, perdu dans la Forêt Noire, dont Sade décrit longuement l'aménagement luxueux, avant de transcrire les «Reglements», puis le discours du Duc aux jeunes victimes.

Sade va pouvoir enfin commencer le «récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe».
Il termine son «introduction» par des récapitulatifs :
«Personnages du roman de l'Ecole du libertinage»,
«Serail des jeunes filles»,
«Serail des jeunes garcons»,
et
«Huit fouteurs».

Une courte note relève quelques points à développer.

Commence alors la «Première partie» des 120 journees de Sodome, intitulée :

«Les 150 passions simples ou de premiere classe composant les trentes journées de novembre remplies par la narration de la Duclos auxquels sont entremeles les evenemens scandaleux du chateau en forme de journal pendant ce mois la» : «1ère journée.

On se leva le 1er de 9bre à 10 heures du matin ainsi qu'il étoient prescrit par les règlements dont on s'étoit mutuellement juré de ne s'écarter en rien.
Les quatre fouteurs qui n'avoient point partagé la couche des amis leur amenèrent à leur lever Zéphirine chez le Duc, Adonis chez Curval, Narcisse chez Durcet, et Zélamir chez l'Évêque. Tous quatre étoient bien timides, encore bien empruntés, mais encouragés par leur guide, ils remplirent fort bien leur devoir, et le duc déchargea. Les 3 autres plus réservés et moins prodigues de leur foutre en firent pénétrer autant que lui, mais sans y rien mettre du leur»...
À la fin de la «Trentième journée», Sade ajoute une note des «Fautes que j'ai faites», qui devront être corrigées.

Les trois autres parties sont restées à l'état de plan détaillé, avec la chronologie quotidienne de chaque mois, et le détail numéroté des 150 perversions de chaque partie, et le résumé des événements scandaleux survenus au château pendant chaque période.

La «Deuxième partie» (décembre) est narrée par la Champville, avec les 150 «passions de seconde classe, ou doubles» ;

la «Troisième partie» (janvier) est contée par la Martaine, avec les 150 «passions de troisième classe, ou criminelles» ;

la «Quatrième partie» (février) est narrée par la Desgranges, avec les 150 «passions meurtrières, ou de quatrième classe».

Le rouleau s'achève par la macabre comptabilité des victimes : sur les 46 personnes enfermées dans le château,
«il y en a eu 30 d'immolés et 16 qui s'en retournent à Paris»...
Sade ajoute deux notes en vue de la rédaction future d'après ce plan, dont une sur des
«supplices en supplément» ;
plus une «liste des différents objets de morale traités dans la lettre du comte».

Ainsi s'achève ce «gigantesque catalogue de perversions», selon Jean Paulhan.

Citons encore Maurice Blanchot :
«On peut admettre que, dans aucune littérature d'aucun temps, il n'y a eu un ouvrage aussi scandaleux, que nul autre n'a blessé aussi profondément les sentiments et les pensées des hommes» ; et Jean-Jacques Pauvert :

«Jamais à aucune époque, dans aucune littérature, on n'avait rien écrit d'aussi scandaleux, d'aussi repoussant, d'aussi insupportable».

Ce rouleau, rangé à l'origine dans un étui, et caché entre deux pierres, abandonné par Sade dans son cachot de la Bastille quand on l'en a extrait brusquement le 2 juillet 1789 (douze jours avant la prise de la forteresse) pour le transférer à Charenton, fut retrouvé dans son cachot par un certain Arnoux Saint-Maximin, qui le vendit à la famille Villeneuve-Trans.

Publié pour la première fois en 1904, de façon très fautive, par son nouveau propriétaire, le psychiatre et sexologue allemand Iwan Bloch (sous le pseudonyme d'Eugène Dühren), racheté en 1929 par Charles et Marie-Laure de Noailles, le manuscrit est confié à Maurice Heine qui en donne une édition de référence (1931-1935).

→ À la mort des Noailles, le rouleau passe à leur fille Nathalie. Il est volé en 1982 par l'éditeur Jean Grouet, qui le vend illicitement au bibliophile suisse Gérard Nordmann. Une bataille judiciaire s'engage, menée par Carlo Perrone, le fils de Nathalie de Noailles ; la justice suisse, contrairement à la justice française, valide la possession du manuscrit par Gérard Nordmann.
Un temps déposé à Fondation Bodmer à Genève, le manuscrit, à la suite d'une transaction entre la famille Nordmann et Carlo Perrone, est acquis en mars 2014 par Aristophil et peut rentrer en France.

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