Lot n° 338

Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de MIRABEAU. L.A.S. « Mirabeau fils », 21 janvier 1776, à un « cher ami » ; 5 pages in-4, avec ratures, corrections et additions.

Estimation : 3000 / 4000
Adjudication : 5 000 €
Description
Belle lettre après s’être échappé du fort de Joux, au début de sa liaison avec Sophie Monnier. Il a été très heureux de recevoir sa lettre « dans la triste situation où je me trouve »… Il compte répondre avec franchise quant aux obstacles à son retour : « quand j’ai tiré l’épée, j’ai jetté le fourreau. Cet homme qui a cherché à vous tromper pour que je tombasse dans le même piège, est de tous les êtres le plus perfide. Il avoit de son propre aveu écrit à mon père la lettre la plus terrible, lui demandoit ma transfération, et l’assuroit qu’il n’en pensoit pas moins que lui sur mon compte »… Il ne peut faire confiance à un tel homme… Par ailleurs il tient à s’assurer enfin « un sort à l’abri des nuages […] comme je l’ai mandé à mon père, si l’on veut absolument me perdre, il faut bien que je veuille me sauver »… Il se trouve en prison depuis 18 mois : « Ma jeunesse se passe. Mon corps s’énerve, ma tête s’use, mon cœur se flétrit. Oh ! S’ils me proscrivent, je leur montrerai qu’il bout quelque chose en moi qui me fait me suffire »… Quant au troisième obstacle, non le moindre, il s’agit d’une « passion intérieure que je ne puis ni ne veux vaincre. Je ne retournerai jamais au château ; mon amie est à Pontarlier. Je l’adore : je suis aimé ; je ne serai pas prisonnier à une lieue d’elle. Mais, mon cher, cet amour, qui vous paroit surement un grand inconvénient, est la seule chose qui puisse me sauver, et me rendre à ma patrie et à ma famille. Car je vous jure que fatigué et irrité comme je le suis de persécutions et d’injustices, j’irois courir une fortune, que ma tête et mon épée me promettent de rencontrer, si ce lien irrésistible ne me retenoit, et je ne reverrois jamais un païs où je n’ai trouvé que des ronces. Le sacrifice ne seroit pas grand. Je ne puis de même renoncer au sentiment qui soutient ma vie et adoucit l’amertume de mes malheurs. Je désire me rapprocher de ce que j’aime, de ne point élever de trop fortes barrières entre nous, et d’assurer, s’il est possible, la tranquillité d’une passion dont l’intérêt et la durée sont devenus les premiers et les principaux objets de toutes nos démarches et de tous nos désirs »… Cette résolution devrait faciliter les négociations avec sa famille, mais il méprise M. de Saint-Mauris, évoqué plus haut, qui est intervenu auprès de son père à ses dépens, « qui, sous le voile d’une perfide générosité, me dresse de nouvelles embuches »… Il considère que son ami est la seule personne à même de jouer le rôle de négociateur… Il le prie d’écrire à son père une lettre dont il lui indique le plan : « L’envie de rendre à un homme respectable qui a acquis des droits sur tous ses concitoyens par ses bienfaits littéraires, un fils susceptible de devenir digne de lui, vous met la plume à la main. […] Je vous ai montré la plus tendre, la plus vive sensibilité au léger espoir que toute réconciliation ne m’étoit peut-être pas fermée avec mon père. Vous ne savez pas où je suis ; mais vous êtes certain par mon serment que je suis en France », etc. Il lui demande ce qu’il pense de ce projet de lettre dont il attend « le plus grand effet »… Il aimerait lui révéler où il se trouve pour lui prouver sa confiance, mais ce secret implique également son amante Sophie, à laquelle il laissera le soin de le dévoiler ou non… Il aimerait que ses créanciers soient payés et lui demande pour cela de lui procurer quelque argent et de vendre « mes journaux helvétiques »… à sa demande, il continuera son ouvrage sur les Salines…
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