Lot n° 170

Jehan RICTUS. 15 L.A.S., 1915-1925, à son ami Victor Buteaux ; 43 pages formats divers, la plupart in-8, dont 5 au dos de cartes postales illustrées, quelques adresses (une lettre effrangée dans le bas).

Estimation : 700 / 800
Adjudication : 1 000 €
Description
Correspondance amicale évoquant les difficultés à diffuser son œuvre en temps de guerre et durant les années qui suivent. Les premiers courriers évoquent les difficultés à vivre en temps de guerre et les incidences sur sa production littéraire. Paris 12 décembre 1915. « On parlait justement de toi, il n’y a pas très longtemps, avec Victor Lhérie. […] On se demandait aussi ce que tu avais bien pu devenir dans l’énorme bagarre. Pour moi je suis dans la classe 87 (dans l’auxiliaire) c’est-à-dire pas encore appelé. Mais si on me prend je tâcherai de faire mieux que gratter du papier dans un bureau »… Il venait de publier un livre juste avant la guerre, « anéantissant le succès qui avait commencé. Quinze ans d’efforts foutus »… Il tente d’écrire des poèmes sur la guerre : « C’est long et dur. C’est en langue populaire cette langue (française mêlé d’argot) parlée par la majorité de mes contemporains : cette langue parlée dis-je qui triomphe avec la guerre. J’avais depuis longtemps pressenti son explosion »… 18 octobre 1917. Il est heureux de constater qu’il adopte l’attitude qui convient en ces temps difficiles : « Résignation ou plutôt aptitude à souffrir, mais en y opposant la bonne humeur […]. La négation de la souffrance par le rire »… Il raconte la mort de leur ami Jéhel, dont les derniers mots furent « à bas le militarisme »… Il lui donne également de ses nouvelles : « Entraîné déjà en temps de paix à la vacherie de l’existence, à la muflerie quasi générale, aux privations, etc, j’ai plus d’endurance qu’un autre pour supporter le temps de guerre ». Il a fait une congestion pendant l’hiver, à cause du froid rigoureux et du manque de charbon. Ces difficultés l’ont inspiré pour poursuivre sa série de poèmes sur la guerre : « Si je réussis à en terminer trois ou quatre, je referai du cabaret »… Il espère une paix prochaine : « Il est certain qu’en Allemagne, les civils crèvent de privations inusitées… Si la Russie n’avait pas flanché la guerre serait terminée maintenant ». Il garde confiance dans les forces alliées… Hôpital complémentaire, Fontainebleau, 23 mai 1918. La guerre a porté un coup au commerce de ses livres. Aussi est-il heureux d’apprendre que Buteaux va faire jouer sa pièce Dimanche et lundi férié, dans laquelle il interprètera le rôle de la mère Vidal : « Je souhaite que cela amuse les Poilus. Tu me diras franchement s’ils ont rigolé. S’ils m’ont trouvé barbant, tu me le diras aussi ». 7 juin 1918. Il craint que l’offensive allemande n’ait interrompu les représentations… Paris 31 mars 1924. Il adresse à son « Bubutte » un cliché de Lucien Laforge, il ne possède rien de Steinlen : « Aucun original tiré par exemple des Soliloques illustrés. Ces dessins originaux ont été vendus ». Il enverra aux Heures la notice biographique et la photo qu’on lui demande. Il prie de publier l’article de L’Intransigeant sous les initiales de son vrai nom Gabriel R. de St A., car il ne cautionne pas les propos du journaliste sur sa possible affiliation à la descendance de François Ier… 7 avril 1924. Il est enchanté d’apprendre l’accueil chaleureux de son œuvre à Lyon ; il s’attendait à y trouver un public frileux : « Je me disais Il faudra que je dégèle, voilà tout. Il se peut qu’on te demande ma nuance politique. Je ne fais guère de politique ! ». Mais ses œuvres font de lui « une sorte d’anarchiste réactionnaire (parfaitement !), un individualiste : un aristocrate et non un démocrate ». Il prie de ne pas abuser dans les journaux des clichés de « Poète des Humbles », de « Poète de la misère » à son sujet : « Cela me rend enragé »… Au début de l’année 1925, il se rend en Corse, d’où il lui envoie quelques cartes postales ; il y reste plusieurs mois et s’adonne au travail… Bastia 29 avril 1925 : « Je suis sur mon fameux album de dessins… J’avance au milieu d’obstacles et de difficultés assez grandes. J’ai besoin de silence pour bien travailler ». Il loge chez une famille très gentille mais dont les enfants en bas âge « gueulent comme des putois autant dire de l’aube au soir »… Il pense rentrer à Paris plus tôt que prévu, le Théâtre des Champs-Élysées lui ayant proposé d’y faire un « tour de poésie » en mai. Il charge Buteaux d’organiser pour lui une soirée de récitation à Marseille où il s’arrêtera à son retour : « Il faudrait avoir une salle à l’œil […]. Le rêve serait que tous frais payés il me restât mille à 1500 francs »… 13 mai 1925. Les Corses, étant préoccupés par les élections, n’ont pas la tête à écouter ses poèmes ; le public n’est pas au rendez-vous… Quant à son projet avec le Théâtre des Champs-Élysées, il est ajourné à une saison prochaine : « C’est-à-dire que Paul Fort et Maurice Rostand ont enquiquiné le public et qu’on a renoncé aux tours de poésie »… Etc.
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