Description
►Une des deux dernières lettres connues d'Antoine de Saint-Exupéry, écrite quelques heures avant sa disparition.
Les circonstances de la disparition de Saint-Exupéry durant une mission de reconnaissance aérienne sur le sud de la France, le 31 juillet 1944, restent méconnues.
Si bien que tout ce qui évoque sa mort mystérieuse conserve aujourd'hui un caractère vénérable et une force symbolique peu commune. Il ne peut pas en aller autrement des deux dernières lettres qu'Antoine de Saint-Exupéry écrivit avant de disparaître, l'une destinée au résistant Pierre Dalloz, réfugié en Algérie, l'autre à Nelly de Vogüé. Toutes deux furent retrouvées sur la table de Saint-Exupéry, le soir du 31 juillet 1944, par le capitaine René Gavoille, qui procéda à l'inventaire de la chambre du disparu. Ce fut lui qui se chargea de poster l'enveloppe libellée par Saint-Exupéry, à Alger, le 3 août 1944. Comme le racontera plus tard Pierre Dalloz, le pli qu'il reçut - portant l'adresse de Louis Joxe chez lequel il avait un temps trouvé refuge, et réexpédié par Françoise Joxe avec, au verso, un petit mot amical au crayon - contenait à la fois la lettre qui lui revenait et celle destinée à Nelly de Vogüé, qu'il prit soin de faire passer à sa destinatrice par des voies détournées (la trace de cette seconde lettre semble aujourd'hui perdue...).
Rendue publique en 1954 à l'occasion d'une exposition sur Antoine de Saint-Exupéry à la Bibliothèque nationale, lue à la radio le 5 juillet 1969 par le comédien Marc Cassot, éditée depuis à de très nombreuses reprises, souvent de manière tronquée voire erronée, cette lettre avait cependant disparu depuis plusieurs décennies.
C'est ainsi qu'à l'exposition nationale organisée de novembre 1984 à février 1985 par la direction des Archives de France, à l'occasion du quarantième anniversaire de la disparition de Saint-Exupéry, seul un fac-similé avait pu être présenté...
■Quant à l'original, il avait été vendu, de manière inaperçue semble-t-il et sans qu'on sache aujourd'hui pourquoi, dans une vente judiciaire à Pontoise, le 11 novembre 1976. Il est resté depuis dans la famille de son acquéreur.
Cette "lettre-relique", troublante en tant que telle, est cependant d'autant plus remarquable que son contenu est fascinant quand on le considère à l'aune de notre connaissance - ou de notre méconnaissance - des événements qui suivirent et quand, à la lecture de la dernière phrase, on s'imagine le Petit Prince en jardinier, tel qu'Antoine de Saint-Exupéry se plut à le représenter dans son conte :
Cher cher Dalloz que je regrette vos quatre lignes ! Vous êtes sans doute le seul homme que je reconnaisse comme tel sur ce continent. J'aurais aimé savoir ce que vous pensiez des temps présents. Moi je désespère. J'imagine que vous pensez que j'avais raison sous tous les angles, sur tous les plans. Quelle odeur ! Fasse le ciel que vous me donniez tort. Que je serais heureux de votre témoignage ! Moi je fais la guerre le plus profondemment [sic] possible. Je suis certes le doyen des pilotes de guerre du monde. La limite d'âge est de trente ans sur le type d'avion monoplace de chasse que je pilote. Et l'autre jour j'ai eu la panne d'un moteur, à dix mille mètres d'altitude, au-dessus d'Annecy, à l'heure même où j'avais... quarante-quatre ans ! Tandis que je ramais sur les Alpes à vitesse de tortue, à la merci de toute la chasse allemande, je rigolais doucement en songeant aux superpatriotes qui interdisent mes livres en Afrique du Nord. C'est drôle. J'ai tout connu depuis mon retour à l'escadrille (ce retour est un miracle). J'ai connu la panne, l'évanouissement par accident d'oxygène, la poursuite par les chasseurs, et aussi l'incendie en vol. Je paie bien. Je ne me crois pas trop avare et je me sens charpentier sain. C'est ma seule satisfaction. Et aussi de me promener, seul avion et seul à bord, des heures durant, sur la France, à prendre des photographies. Ça c'est étrange. Ici on est loin du bain de haine mais, malgré la gentillesse de l'escadrille, c'est tout de même un peu la misère humaine. Je n'ai personne, jamais, avec qui parler. C'est déjà quelque chose d'avoir avec qui vivre. Mais quelle solitude spirituelle ! Si je suis descendu je ne regretterai absolument rien. La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi j'étais fait pour être jardinier. Je vous embrasse.
Provenance :
•Pierre Dalloz Vente anonyme à Pontoise, le 11 novembre 1976, n° 58 Resté depuis dans la même collection Exposition : Antoine de Saint-Exupéry :
-- exposition organisée pour le dixième anniversaire de sa mort, Paris, Bibliothèque nationale, 1954, n° 51 Antoine de Saint-Exupéry, 1900-1944 :
-- exposition nationale organisée par la direction des Archives de France - ministère de la Culture, à l'occasion du quarantième anniversaire de la disparition d'Antoine de Saint-Exupéry, Paris, Archives nationales, novembre 1984-février 1985, n° 547 (fac-similé)
Bibliographie :
Pierre Dalloz, Vérités sur le drame du Vercors, 1979, p. 273-275 Album Antoine de Saint-Exupéry, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 296 (repr.) Antoine de Saint-Exupéry, Écrits de guerre, 1939-1944, 2000, p. 428-429 et 436-437 Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes, II, éd. , M. Autrand et M. Quesnel, Bibliothèque de la Pléiade, 2009, p. 1050-1051 (citation partielle) -