Lot n° 75

Antoine de SAINT-EXUPÉRY 1900-1944 Lettre autographe signée à Silvia Hamilton [New York, 7 octobre 1942]. 5 p. in-4 et enveloppe avec suscription autographe.

Estimation : 10 000 - 12 000 €
Adjudication : Invendu
Description
►Admirable lettre d'Antoine de Saint-Exupéry à Silvia Hamilton, en grande majorité inédite.

C'est certainement l'une des plus belles lettres qu'il écrivit à cette amie si chère et l'une des plus poétiques et des plus intimes de toute sa correspondance.
Elle donne ce qui pourrait bien être une des clefs du Petit Prince et de la personnalité de son auteur :
" Un être humain vaut ce que vaut le jardin que l'on y trouve ".
" J'éprouve ce soir quelque mélancolie. Je sais bien, ma petite Sylvia, mes immenses défauts. Je suis bien trop tourmenté pour apporter la paix. J'ai horreur d'infliger à autrui mon climat intérieur et, quand ça va mal, je fuis et me cache. […]

Je sais, mieux encore que toi, combien je puis être inhabitable. Je le suis si souvent pour moi -même. […]

Petite Sylvia cette lettre n'est ni une scène ridicule ni un mouvement d'amertume à ton égard. Je n'en ai ni le droit ni le désir. Je pense sur toi beaucoup plus de bien que tu ne crois. Tu es pleine de dons et de grâce. Tu as une immense gentillesse de cœur. Tu ne te conduis pas en idole à encenser (je hais ce genre de femmes) mais en être humain. Tu sais prendre des plaisirs légers. Tu sais raconter de vraies grandes histoires comme celle du pauvre diable qui a si royalement payé ta dette de cinq cents au restaurant. Que tu saches raconter n'est rien. L'important est que tu saches les distinguer, les vraies grandes histoires. Tu disposes de tous les moyens de séduction et sans doute tu sais en user parfaitement. Mais cela, à moi, n'importe guère. […]

Un être humain vaut ce que vaut le jardin que l'on y trouve. Un jardin n'a que de faibles moyens : le bruit de l'eau, le bruit du vent, l'odeur des herbes. C'est avec ça qu'il fabrique son enchantement. On y est bien, ou mal - on y respire bien, ou mal : cela seul compte. Le luxe et la rareté et le prix des fleurs c'est tout autre chose. Ce que j'aime de toi n'est point ton orgueil (qui sans doute est grand) c'est ton humilité. C'est la simplicité du vrai paysage. L'herbe y est jolie et l'eau y est fraîche. Ainsi, si les fleurs de luxe y sont belles, elles ne me gênent plus. Elles ne m'obligent pas à t'admirer comme l'on admire une exposition. Je trouve chez toi les fleurs des champs qui, seules, sont mes amies. Celles que je puis cueillir. Celles que tu donnes. Car tu es immensément généreuse. Et, malgré les hommages, et les compliments, et les encensoirs tu n'as pas réussi à l'oublier. Et, de même, ni les hommages, ni les compliments, ni les encensoirs n'ont réussi à te faire oublier que tu as soif. Que tu as soif de toute autre chose. Tu as soif aussi d'un ruisseau frais qui se donne à boire. […]

Petite Sylvia je suis un bien mauvais marin. Ma barque ne vous est pas douce. Et je ne sais guère où je vais. Tous vos reproches, sans exception, sont mérités. Et cependant ma tendresse est extrême. Quand je pose ma main sur votre front je voudrais le remplir d'étoiles et faire la paix dans vos pensées comme sur la mer. Je suis mal comme amant mais je suis bon berger. Je suis ami fidèle. Je suis silencieux et d'apparence distraite, mais je comprends beaucoup de choses. Petite Sylvia ne m'en veuillez pas trop. Je dois sans doute faire quelque chose dans la vie, qui est hors de l'amour, et suis terriblement tourmenté de ne pas savoir lire mon chemin dans les étoiles. "

Provenance :
•Silvia Hamilton-Reinhardt (vente à Paris, le 20 mai 1976, n° 53) Resté depuis dans la même collection

Bibliographie : Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes, II, éd. M. Autrand et M. Quesnel, Bibliothèque de la Pléiade, 2009, p. 922-923, n° 2 (citation très partielle et erronée)
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