Lot n° 87

Noël Mathieu dit Pierre EMMANUEL (1916-1984). L.A.S. « Noël », [mars 1937], à Robert Lévesque ; 10 pages in‑4.

Estimation : 500 / 700
Adjudication : 700 €
Description
Très belle lettre et longue lettre de jeunesse sur la poésie. Il a reçu la lettre que Lévesque lui a écrit de Russie « comme un vent froid qui plaque au visage » mais il reste frustré que son ami ne lui parle guère de Moscou et de ses impressions de voyageur ; pourtant « tu n’es pas un gros bourdon aveugle, mais une abeille au vif aiguillon et aux pollens rares ; Dieu ! que je voudrais goûter de ton miel »... Quant à lui, il est façonné par le printemps : « je me laisse créer et rompre, plein de jeunesse et de fatigue à la fois, je pense, comme les arbres... Le printemps est si beau, si neuf et violent qu’on prend envie de se mêler aux sèves, de saigner comme une femme tout le vieux sang de l’hiver qui s’en va ». Il va souvent se promener boulevard des Pyrénées, moins pour admirer les montagnes au soleil couchant que pour voir danser une petite fille de deux ans qui s’y promène régulièrement avec sa mère : « elle danse pour elle seule, et son visage est merveilleux de pensée [...] cette danse n’est pas autre chose que la surabondance de la vie du monde ». Une certitude l’anime : « je suis poète, capable de m’égaler aux grands par le travail et le souci de la perfection », et il sait aussi que la solitude est le seul climat qui lui convienne : « je ne suis fait ni pour les clans ni pour le langage littéraire. Je ne désire m’agréger à une école ni militer pour une foi. L’œuvre d’art est indépendante des écoles [...] elles sont excellentes pour les sous-poètes (et chez le grand écrivain, l’expression d’un art poétique – genre Claudel, Art poétique, ou Valéry est jusqu’à un certain point une défaite) ». Il n’a pas de sujet déterminé mais « une certaine recherche de l’enfance [...] une proximité au monde qui soit le plus possible en-deça du péché, du charnel proprement dit ». Il lui semble avoir retrouvé cette idée dans un morceau de Couperin (la 3ème leçon des Ténèbres du Jeudi Saint) où l’exaltation des voix marquait « une sorte de paix aiguë transperçant le monde ». Il veut écrire une œuvre où s’affrontent la mort et le printemps... Il ne sait toujours pas si Paulhan accepte des poèmes mais il est sûr de la valeur de son Temps de la Mort et éprouve parfois le besoin d’un public non par vanité mais « parce que mes poèmes sont des poèmes à la vie, donneurs de vie » et qu’il se voit comme « une sorte de guinguette métaphysique ». Il parle encore de la culture en littérature ancienne qu’il n’a pas, cette ignorance lui donnant peut-être « une naïveté et un démon de vie que n’ont pas toujours les gens de culture classique », de l’amitié qu’il voue à Lévesque et termine en citant quelques livres susceptibles d’intéresser ce dernier... On joint 3 autres L.A.S. « Noël », au même ; 1 page in‑4 chaque. — 12 octobre [1945]. Il rentre de Londres où il a vu chez des amis les admirables traductions de Lévesque, et trouve Solomos qui l’attendait... Il espère voir son ami pendant ses vacances en France. — Il évoque le jugement injuste qu’il a porté sur Lévesque, une « infidélité de cœur », mais souhaite que leur amitié en sorte plus pure. Il lui envoie quelques-uns de ses derniers poèmes et lui demande s’il peut lui rendre assez vite Combat singulier... — Il ne peut lui écrire longuement car il vient de perdre la tante qui l’avait élevé et « d’un coup, tous les souvenirs d’enfance ont reflué, atteignant parfois une précision extraordinaire »...
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