Description
Important cahier inédit de vers et prose, à la fois journal, méditations, réflexions, souvenirs, confidences amoureuses, aphorismes, notes de travail et récits. Des notes d’une autre main [Yvonne Patau ?] sur les feuillets de garde, et parfois dans le cours du manuscrit, indiquent que certains textes en ont été publiés ou intégrés dans d’autres textes, notamment Le Meneur de lune, La Neige d’un autre âge ou Auprès de mon ombre. Le cahier s’ouvre sur des poèmes (p. 1-8), abondamment corrigés, datés en fin « avril 1946 » : La Blanche par amour (« Le fanal du regard échoué dans ta face / n’a pas trouvé tes yeux en s’entourant de toi »…), « Immobile une femme a le poids de la rue »…, « Un chant naît pour nous voir d’une étoile expirée »… Suit un ambitieux « Plan, au 27 mai 1946 de mon travail d’invention » (p. 9), comprenant L’Homme-chien, « récit à écrire en un mois », des Contes à Jean Dubuffet, des Méditations « où l’ouvrage précédent se couronne. Espoir : dans l’amour, dans la mort », des Contes « longs et courts », le Journal bleu, et des Poèmes. Une « Distribution provisoire des méditations » (p. 10) est restée vierge. Divers textes se succèdent, comme des méditations. « C’est bien toi, va : un homme comme les autres, mais un peu moins complet, j’en ai peur »…(p. 11-12). « To be is not to be. Les philosophes ne trouveront pas d’amorce à discussion dans les pages que j’écris. » (p. 13) « Remuer des pierres, avec mes mains de guimauve, il n’y fallait pas penser, ni des bûches »… puis Midi noir : « Rien de plus pour m’attacher ; et l’espoir que Camberoque [illustrateur du Meneur de lune] me rappellera souvent qu’ici, le jour reçoit la lumière des objets »… (p. 14-16). L’homme-chien : « Moi je veux bien : l’h.c. point final »… ; I « Si tu recueilles le chant des arbres sur leur ombre, tu vois que la rosée ressemble à un oiseau »… (p. 16-19) To be is not to be. 1 « Un grand espoir emplit les pages que j’écris »… (p. 19-24) à Saint-Souris. « Il n’était pas sorcier, il croyait le monde ensorcelé. Ne se trompait pas beaucoup et seulement quand il se jugeait incapable de le désensorceler »… 2. « Un jour, il regarde pleurer une femme qui vient de perdre son enfant »… 3. « Le plus secret des baisers l’émeut toute. Remontée toute frissonnante de l’oubli, elle me regarde comme si elle ne connaissait plus ses yeux »… – « Aimer entièrement, c’est le même désespoir que d’aimer en vain. Elle ne peut me donner tout ce qu’elle est à mes yeux. Jamais elle n’apaisera ma haine pour l’univers immense et lent qui nous a rapprochés sans s’engloutir. Où qu’elle se trouve, elle vient vers moi, mais se perd en route puisque le bonheur d’être unis n’a pas prévenu son désir »… – « Bizarre, ce nom de famille qu’on m’a donné comme par emprunt et qui est un peu de désordre et de vent dans le pluriel du mot bouquet »… (p. 24-39). Isis. « L’odeur du romarin montait aux barreaux d’un portail rouge, flottait avec le vent de sel sur la monumentale clôture où trois initiales de fer figuraient tout un grand nom : Jean-Flour Montestruc. […] J’avais trahi la poésie en abandonnant le nom de Jean-Flour que j’avais d’abord choisi comme pseudonyme. La poésie m’a poursuivi. Elle transforme peu à peu ce nom de Bousquet que je dois à mon père : un peu de désordre et de vent, disais-je d’abord, dans le pluriel du mot bouquet. Mais il n’est pas de poésie purement verbale. Poésie, le langage cristallise dans les faits qui tiennent de lui leur indice de réfraction Poésie minérale du spath et du quartz ! […] Morte, la poésie, ne le croyez pas, mais atteinte, absorbée et riant avec nous, l’entraîneuse que si longtemps on vit de dos, devançant cette vie qu’il nous fallait consommer dans la lenteur, sans fatigue grâce à la rumeur qu’en liberté elle menait sur notre front, nous souhaitant enfin, comme aujourd’hui, aussi vifs qu’elle. Ne sois pas un grand poète, il n’y a plus de poésie autonome, sois très poète. […] Plus d’une fois, j’ai écrit que la vie était ronde : cette parole traduisait imparfaitement une conviction que les faits de mon âge mûr enrichissent et composent comme un tableau. Aucune idée ne rendrait compte avec fidélité d’une certitude que chaque instant de ma vie confirme ou complète »… (p. 40-54). « Aimer, c’est créer. Je suis le meilleur de ce que je crée »… – « On m’appelle poète. Quelques gains littéraires m’autorisent à me dire écrivain »… (p. 54-59) à Saint-Souris. « Jamais il ne passe à la même heure ; il n’est pas deux jours de suite le même personnage »… (p. 66-65). « Pour apprendre à rire : tu allumes une cigarette en trempant ta plume dans l’encre »… – « Oui, ça fait mal, mais sorti du lit où tu rémousègues, on ne sent rien. Va-t-en, par des routes à toi, sans te diriger nulle part »… (p. 66-71). Poème : À prix d’ombre, Saint-Cytise : « Le noir est gris / À Saint-Souris »… (p. 72). « Penser à elle, c’est l’attendre, croire en veillant son propre cœur qu’il fera jour demain, mais le désespoir est caché dans l’instant qui la ramènera »… – 6 juillet. « Un jour descend le fil du chaud Juillet »… et histoire de Muette et d’Amarante. – « Élégante, mais comme les plus heureusement parées. Rien ne distingue ses gosses des enfants qui obéissent aux même curés »… – Juillet 46. « En attendant la dame blanche. Un peintre très jeune a compris son art en illustrant un de mes livres. Puis il a entrepris mon portrait, d’année en année l’a rendu plus admirable. Personne ne reconnaissait l’homme qu’il avait pris pour modèle ; et moi non plus, je ne voyais pas mon image dans le poète au grand front que l’artiste avait fait si beau, je la voyais avec stupeur dans les traits mêmes de ce jeune camarade qui s’était mis à me ressembler. Cameroque, en s’efforçant de reproduire mes traits a peint la face d’un étranger, mais cet étranger n’était un inconnu pour personne »… (p. 73-86). Le Poétisme : « Une méthode efficace, non de création, mais d’exploration. Le moyen de préparer le livre que je voudrais lire ». – « Les pucelles de 35 ans les mères-pucelles. Elle ressemble à une bougie avec un éteignoir en or. À chaque visite vous consent un peu plus de son prénom qui semblait jadis un diminutif de fillette et trop petit pour elle »… – « Nous ne sommes pas radicalement étrangers les uns aux autres »… – « Ma mère avait laissé mon père à mes côtés dans le fermage de la propriété où jadis nous avons vécu heureux »… – « La grande tentation. L’année dernière, je supportais difficilement toute une heure la femme la plus agréable »… – « Un temps viendra où la solitude sera ton être »… – « Il ne faudra pas me pleurer, dit le poète à son amie »…. – « Elle est jolie comme ne le sont que les enfants, les yeux en dedans »… – « Il n’est pas étonnant que cette jolie fleur de mur me paraisse un peu meurtrie »… histoire de Fleur-de-mur… – 30 août 46. « Elle est lui. […] Mieux marquer sensuellement le changement de sexe ». – « 12 septembre : un regard d’elle m’a découvert par hasard combien elle avait besoin pour se trouver aimable de se savoir aimée ». – Le meneur de lune. « N’aurais-tu donc jamais rêvé tes rêves ? »… (p. 86-110) 15 octobre (date répétée trois fois). « Une peine pour ton cœur et pour ta vie un songe. Elle a fait de notre bonheur une pensée pour tes yeux. Mais où donc étais-tu quand Abeille était tes yeux ? Reviens »… (p. 111-115) Idole. « Elle ne me pèse rien. Cependant, sans elle, je ne serais pas là »… – « La femme qu’il aimait apprend d’un sorcier qu’elle n’a d’amour pour personne »… – Idole. « Regarde-la. Max en sculptera d’autres. Vous les baptiserez ensemble : ne travaille plus qu’avec Max Ernst. » – « “Je ne sais pas” dit en s’éveillant la Poupée “comment je suis entrée dans cette chambre »…. – « Amourante a été taillée dans le bois d’une croix prête à reverdir »… – « Cet homme est-il un amant ? Son cœur n’avait pas vécu. » – « Il ne sait pas décrire Amourante. On dirait qu’il la cherche dans les souvenirs de celles qui n’ont que leurs souvenirs »…. – « L’amie revient. C’est afin de savoir l’avenir d’un songe »… À la fin de ce texte, Joe Bousquet note : « Fin de : Auprès de mon ombre… Suit : La vie est ronde, qui commence par… » (p. 116-128) [La vie est ronde]. « Aller et retour : La vie est rende, sûr. Évidence qui échappe aux tourneurs parce que chaque coup de pédale leur hausse le col d’un cran »… (p. 129-135) Plan de travail en 5 parties, dont V Elle, suivi de cette note : « Tableaux contrastés : Récits qu’elle m’arrache. / L’homme-chien. / Rôle joué par Marthe dans ma blessure. / S’unir dans un sexe : Sodome. / S’unir dans le sien : mes seins. / Comment amener l’aveu que j’ai des seins de femme. » – Thème central : « Vivant et sain, j’ai souhaité d’enfermer dans mon sexe d’homme l’union des corps. Malade, j’ai enfermé notre amour dans un sexe de femme. Blessé, sans sexe, mais tourmenté par le spectre de ma virilité, j’ai dû enfin, avouer jusqu’à quelles limites allait mon exigence masculine : celle qui me fait avouer… Parce qu’elle ressemble à la sœur perdue »… – « Je la vois, j’ai son regard, comme l’espace l’éloigne ! je la saisis, je lui ôte ses vêtements »… Avec cette note : « Détaché, par chants conjugués, ce livre doit anéantir Traduit du silence. Il faut que je relise Maldoror ». – « Une plainte dans l’ombre, on y croirait entendre la tristesse du soir : il faudrait avoir perdu quelqu’un pour y trouver une voix »… – « Nous nous aimons pour tout ce qui porte un cœur : le mythe d’un nouvel amour »… – « Le petit cheval de verre a un corps et des yeux de femme pour pleurer ses chutes de mâle en cristal »… – « Le petit cheval ne peut pas supporter la pensée que son ami a connu d’autres femmes »… – Notes de travail, certaines à l’encre rouge, dont une sur L’Intermittent : « à travers les souvenirs du lycée, et sa lente accession d’infirme à la pensée que l’être est discontinu, et enveloppe la mort et la métamorphose dont elle est l’ombre ». (p. 136-147).