Description
Bel article de critique musicale sur Weber et la Neuvième Symphonie de Beethoven. Rendant compte d’un concert donné au Conservatoire le 8 mars 1840, il a été publié dans la Revue et Gazette musicale de Paris du 15 mars 1840. « On nous a fait entendre de nouveau la magnifique ouverture de Léonore de Beethoven ; je suis convaincu que le public serait heureux de l’applaudir une troisième fois avant la fin de la saison, et de se dédommager ainsi d’avoir attendu pendant douze ans que ce chef-d’œuvre parût sur le programme de la Société des Concerts. L’exécution a été irréprochable ». Puis il évoque un air avec chœur d’Euryanthe de Carl-Maria von Weber, chanté par Mlle Lavoye, « morceau plein de naïveté et d’une fraîcheur délicieuse », et « l’une des plus charmantes compositions de Weber », assez mal accueilli deux ou trois ans auparavant, mais qui fut « fort goûté et assez applaudi dimanche dernier. Allons, c’est bien heureux ! » La chanteuse, Mlle Lavoye, « possède un soprano assez étendu, d’un timbre doux, un peu voilé, mais flexible et expressif. Elle a une propension à chanter trop haut contre laquelle elle fera bien de se tenir en garde »… Berlioz fait cependant des réserves sur l’exécution du chœur des chasseurs d’Euryanthe : « Les premiers Tenors ont à se reprocher deux ou trois sons criés d’un assez mauvais effet ; je trouve aussi que le fameux ré bémol n’étant pas soutenu autant que sa valeur l’indique perd beaucoup de sa puissance ; une telle manière de couper le son, au lieu de le prolonger avec force pendant toute la durée déterminée par le compositeur, décolore la modulation en affaiblissant le retentissement de cette vigoureuse clameur jettée à travers les bois par les jeunes Chasseurs ». Il a jugé « un peu monotone » le solo de violon de Giuseppe Grassi : « Tout ce que je puis dire du talent de l’artiste italien, c’est que je l’ai entendu plusieurs fois exécuter d’une manière remarquable, sous tous les rapports, le premier violon des grands quatuors de Beethoven, et que je connais même un quatuor de sa composition d’un style fort distingué, tant par le choix des harmonies que par des dessins mélodiques pleins de verve et d’originalité. Toute la seconde moitié du feuilleton est consacré à la Neuvième Symphonie de Beethoven. « Que dire de neuf de la Symphonie avec chœurs ? rien, sinon que cette colossale composition a fait fuir une trentaine d’habitués des premières loges, lesquels, au dire de certaines gens d’ordinaire bien informés, auraient rendu leurs coupons pour cette séance, seulement parce qu’on y devait entendre le chef-d’œuvre de Beethoven. Si le fait est vrai, il faut reconnaître à cette manifestation le mérite de la franchise. On devrait inviter ces braves amateurs à un concert monté uniquement pour eux, et dont le programme se composerait de l’ouverture des Prétendus, de trois cavatines italiennes dues à la verve des petits maîtres modernes, d’une douzaine de variations pour le basson sur Pair au clair de la Lune, et de quelques symphonies de Lachnitz. En attendant, rendons justice à l’intelligence et au sentiment musical d’une grande partie de l’auditoire, qui a manifesté d’une façon éclatante son admiration pour l’ensemble et les détails de cette œuvre merveilleuse. L’adagio surtout a fait naître de profondes émotions. Parmi les beautés de l’exécution de ce morceau il faut signaler le solo de cor, rendu par M. Rousselot avec une telle pureté et tant d’égalité dans les sons, qu’il devenait fort difficile de s’appercevoir que cette phrase, écrite pour l’exécutant en la bémol, contient par conséquent une grande quantité de notes bouchées, dont l’intonation, comme on sait, n’est pas toujours sans danger pour la justesse ». Les quatre chanteurs avaient bien travaillé et n’ont « presque pas laissé apercevoir l’énorme difficulté de leurs rôles » ; quant aux chœurs, ils ont été « exécutés aussi bien que possible. S’ils n’ont pas plus de sonorité, il faut en chercher la cause dans le diapason trop élevé où l’auteur a presque toujours maintenu les voix et dans la multitude de syllabes qu’il leur a donné à prononcer. On devrait bien, quand on exécute cet ouvrage au Conservatoire, donner aux auditeurs une traduction littérale des paroles allemandes ; les vers français que l’on chante n’en sont qu’une imitation libre dont, au reste, on n’entend pas un mot. Comment veut-on que le public puisse comprendre ainsi toutes les intentions du compositeur, reconnaître la raison du plan qu’il s’est tracé, et apprécier le mérite d’expression de ses chants ? On sait que le sujet des chœurs est une ode de Schiller, mais le sens de cette ode est demeuré inconnu au plus grand nombre, à tel point que j’entendais dire l’autre jour que c’était le fameux poème de la Cloche, tandis qu’il s’agit de l’Ode à la joie. » On joint le livre d’Adolphe Boschot, Une vie romantique Hector Berlioz (Plon, 1919), un des 5 exemplaires sur pur fil Lafuma (5/5), relié, avec envoi a.s. à Léon Bérard, et l.a.s. au même (21 mars 1926).