Lot n° 286

STENDHAL. Lettre adressée à Sophie Duvaucel. Sans lieu [Paris], mercredi matin [21 mars 1827]. Lettre autographe signée “H. Beyle” ; 3 pages ½ in-12. ▬IMPORTANTE LETTRE À PROPOS DES FIANCÉS DE MANZONI, LE CHEF D’ŒUVRE DU ROMANCIER...

Estimation : 3 000 - 4 000 €
Adjudication : 3 864 €
Description
LOMBARD.

Il vient d’obtenir le troisième volume du roman chez le général La Fayette, surnommé le “grand citoyen” :

“O ingratitude ! hier, chez le grand citoyen, j’ai essuyé toute la conversation d’un ennuyeux pour avoir le 3ème volume des Sposi promessi.
Il y a un obstacle, il n’existe pas ou du moins M. Manzoni n’a publié que la première moitié de ce 3e volume. Il trouve son roman ennuyeux et l’on dit qu’il ne le finira pas.
J’ai entrevu chez vous, Mademoiselle, un homme qui est mon ennemi par ceque j’ai dit devant lui un projet un peu trop viril.
M. Ugoni de Brescia est l’homme de Paris qui peut le plus probablement vous placer vis-à-vis cette première moitié du 3e volume.
M. Fauriel, le seul savant non pédant de Paris, l’ancien ami de Mme de Condorcet, est l’intime de M. Manzoni et fait traduire Gli Sposi par un M. Trognon. Ce Mr. Trognon est le frère du précepteur de Monseigneur le duc de Beaujoulais ou le prince de Joinville, ou bien c’est le précepteur lui-même. Ces princes habitent le palais royal. M. Fauriel va chez mlle Clarke, où Mme Alexander pourrait peut-être lui parler.
Mais que je suis fou de faire la leçon à une française sur les moyens ingénieux de mener à bien une affaire de ce genre ! (M. Trognon est du Globe).”

Si Stendhal fait volontiers référence au roman de Manzoni dans Rome, Naples et Florence, les Promenades dans Rome ou Napoléon, son côté édifiant a dû lui déplaire. Aussi caractérise-t-il l’auteur dans ses Mélanges de littérature, “d’excessivement dévot” et trouve-t-il Les Fiancés “beaucoup trop loué”, même s’il reconnaît qu’ils peignent fort bien l’existence des bravi sous le gouvernement espagnol.

Victime de son manque d’organisation, il a égaré une lettre de l’avocat anglais Sutton Sharpe leur ami commun :
“Je pourrais mentir plus ou moins adroitement ; j’aime mieux avouer noblement que dimanche matin dès midi, j’ai été réveillé et emmené et je n’ai plus songé à la lettre Sharpe. Le difficile est de la retrouver. J’ai déménagé, le désordre et moi nous ne faisons qu’un, etc. Cependant je vais me mettre à chercher.”

Et Stendhal de s’excuser :
“J’ai bien peur que ma lettre ne vous semble abrupte. Etant naturelle, elle serait passable pour une Italienne ; voilà pourquoi je n’attends que la mort de M. de Metternich pour retourner sur les bords du lac de Como.”

Sophie Duvaucel (1789-1867), belle-fille de Georges Cuvier, fut une des figures les plus attachantes du groupe du Jardin des Plantes. Elle assista fidèlement le naturaliste dans ses travaux. Elle passa longtemps pour la fiancée de Sutton Sharpe.
Ce n’est qu’à la mort de Cuvier qu’elle épousa le préfet maritime de Lorient. Stendhal l’appelait “Mon amie tout court” – elle compta en effet parmi ses amies les plus fidèles – ou “Mademoiselle Mammouth”.

(Stendhal, Correspondance II, Bibliothèque de la Pléiade, n° 839.)
Partager