Lot n° 254

[RIMBAUD]. DELAHAYE (Ernest). Lettre adressée à Paul Verlaine. Paris, le 7 décembre 1887. Lettre autographe signée “Delahaye” ; 4 pages in-12. ►DOCUMENT CAPITAL : IL S’AGIT DE LA PREMIÈRE ÉBAUCHE DE BIOGRAPHIE DE RIMBAUD PAR SON...

Estimation : 20 000 - 30 000 €
Adjudication : 19320 €
Description
PLUS VIEIL AMI, ERNEST DELAHAYE, ADRESSÉE À VERLAINE. IL FOURNIT DES RENSEIGNEMENTS DE PREMIÈRE MAIN SUR L’ENFANCE ET LA JEUNESSE DE RIMBAUD.

Le 29 novembre, Verlaine avait demandé à Delahaye “des renseignes Rimbesques” pour une préface à une édition des Œuvres complètes qu’il projetait – livre qui ne devait paraître qu’en 1895, chez Léon Vanier.
Écrite “en style rigolo, sans trop penser à la grammaire”, comme Delahaye l’avoua plus tard, c’est-à-dire dans la veine habituelle entre les deux amis, la lettre fut publiée dans les Entretiens politiques et littéraires de décembre 1891 sans que son auteur en ait été averti. La version imprimée est très proche de l’autographe – sauf quelques mots signalés par une seule intiale : I… pour Izambard, v… et c… pour vache et cochon. Surtout, comme le souligne Jean-Jacques Lefrère, “l’intérêt de ce texte est que la bonne foi du témoignage est pour une fois hors de discussion : lorsque le futur auteur de Rimbaud, l’artiste et l’être moral écrivait ces lignes à Verlaine, il n’était pas encore préoccupé de défendre la mémoire de son ami d’enfance, au demeurant encore bien vivant. De surcroît, il s’adressait à un correspondant qui avait très bien connu Rimbaud et auquel il n’aurait pu conter des fadaises” (in Rimbaud, Correspondance, p. 556).
Delahaye adressa une seconde lettre à Verlaine, complétant sa biographie : l’autographe en est perdu et le texte n’en est connu que de seconde main par la publication de 1891.

“Mon cher ami,
Voici les qq remembrances et rensts que je puis fournir sur Rimbe :
Né en 1855 [sic] à Charleville. Elève au collège de cette ville jusqu’en 1870 – Etait en 5e Commence études classiques de bonne heure. Etait en 5e, vers 1866, quand premières manifestations de précocité intellectuelle. Fait alors un résumé d’histoire ancienne qui étonne son professeur. [En marge : à cette époque très religieux, toujours premier en instruction religieuse, intolérant, fanatique.] Mais en 4e, classe de grammaire, plaît peu à son professeur, qui signale en lui esprit singulièrement révolté et qui, au Principal lui faisant l’éloge des dispositions du sujet, répond : « Tout ce que vous voudrez, M. le Pr., intelligent, c’est possible, mais pour moi, finira mal.[»]
En 3e reprend ses avantages, sur un terrain plus littéraire. Premières productions poétiques : du Boileau genre Repas ridicule et Lutrin, mais plus naturaliste et plus féroce. – Athéisme.
En 2e, succès étonnant en vers latins – 1er Prix au Concours acad[émi]que – se met aux mauvaises lectures, lâche le classique. – Commence à effrayer le principal lui-même qui tâche pourtant de le pousser le plus possible en vue de succès acad[émi]que. – Mère sévère, augmente d’exigences avec à mesure que les résultats sont plus grands. – Travail considérable de la part de Rimbe.
En Rhétorique (année scol. 1869-1870), très épatant – Principal et professeurs (Izambard) absolument emballés à son endroit. Tous les prix de la classe excepté celui de mathém[atiqu]es – Plusieurs premiers prix au Concours acad[émi]que – Facilité inouïe en vers latins. – Possède maintenant tous les poëtes français modernes et contemporains. Lâche Victor Hugo. – Athée avec provocations – Blanquiste – son professeur de Rhétque (Iz) est devenu son camarade et n’est pas lui-même sans un commencement d’inquiétude. En attendant lui fait faire plusieurs mauvaises connaissances : Deverrière, Bretagne et, par Bretagne, Verlaine. La violence et la méchanceté réelle de ce dernier le séduisent particulièrement ; sa forme littéraire ne lui est pas indifférente. Il en vient à le proclamer le premier poëte (en avance seulement de seize ans sur Morice et les Décadents) Au sortir de la Rhétorique, d’ailleurs, a déclaré à sa mère qu’il ne continuera pas ses études – Vend ses prix, et vient à Paris qq jours après le 4 7bre – Crie : À bas Trochu ! aussitôt débarqué, traite de vache, de cochon, de mouchard etc un sergot qui lui fait des observations, est, pour ce fait, fichu au Dépôt, puis 15 jours à Mazas, ce qui l’empêche de se créer les relations littres qu’il était venu chercher ds la ville Lumière. Réclamé par sa maman. – Revient à Charleville où il attend la fin du siège de Paris pour faire une nouvelle tentative d’évasion.
Je ne t’envoie que cela pour aujourd’hui et à seule fin de te montrer que je ne t’oublie pas ; très-pressé ; enverrai suite très-prochainement. Quand je pourrai aller à Broussais, te porterai prod[uct]ions miennes. Je vais t’envoyer un peu de lecture.
Ton
Delahaye
20 r Oberkampf.”

(Rimbaud, Correspondance, éd. Jean-Jacques Lefrère, pp. 556-557.- Rimbaud, Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 625-626.)
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