Lot n° 242

PROUST (Marcel). Lettres adressées à Lucie Félix-Faure et à son mari Georges Goyau. Paris, sans date [1911-1913]. 4 lettres autographes signées “Marcel Proust” ; 3 pages in-8, 3, 2 et 1 ½ pages 1/2 in-12. ►Précieux ensemble de quatre...

Estimation : 6 000 - 8 000 €
Adjudication : 12 880 €
Description
lettres inédites de Marcel Proust adressées à Lucie Faure, pour l'une d'entre elles, et à son mari, Georges Goyau, pour les trois autres.

Fille aînée du président de la République Félix Faure, Lucie Faure (1866-1913) était avec sa soeur cadette Antoinette une des amies d'enfance de Marcel Proust ; ils jouaient ensemble le jeudi après-midi dans les jardins des Champs Elysées. C'est Antoinette qui soumit au jeune Proust ce questionnaire connu désormais sous le nom de l'écrivain.
Elle-même écrivain, Lucie Faure était de cinq ans plus âgée que Proust. Jurée du prix Fémina, biographe d'Eugénie de Guérin, elle publia de nombreux livres empreints d'un catholicisme fervent. Elle avait épousé en 1903 Georges Goyau, historien et critique catholique de renom, collaborateur de la Revue des Deux Mondes.

Quand Proust meurt, “entre ses mains, Céleste [Albaret] avait voulu mettre le chapelet que Lucie Faure lui avait jadis rapporté d'un pèlerinage à Jérusalem, mais Robert Proust s'y était opposé” (Ghislain de Diesbach).

Ces quatre lettres inédites témoignent d'une amitié continue entre le romancier et son amie d'enfance, amitié poursuivie avec le mari de celle-ci. Et, dans l'avant-dernière lettre, annonçant la publication prochaine sans doute de Du côté de chez Swann, Proust évoque avec Georges Goyau le temps perdu de l'enfance.
La première lettre est adressée à Lucie Faure. Marcel Proust remercie sa correspondante de l'envoi des Prières et Méditations inédites d'Ernest Hello : tirées des cahiers intimes d'Hello et préfacées par Lucie
Faure, elles ont paru en 1911.

“Madame,
Votre envoi m'a infiniment touché. Petit livre, grand livre, que je lis, que je prie. J'aime les prières.
J'aime la Préface. Avec vous aussi, quoi que vous écriviez, on est toujours sûr que l'Océan n'est pas loin, le grand flot, cet océan qui recouvre la prairie, cet infini où Hello trouve avec un peu trop de subtilité que c'est trop de 2 syllabes accordées à finir dans un mot qui prétend signifier l'Infini. Cela m'a rappelé Brunetière ;
«Il s'en faut de la pause d'un a».
Je me sens si près d'esprit et de coeur de Monsieur Goyau et de vous, je pense tant à vous, avec tellement d'affection et suis si triste que la vie qui m'est si difficile nous sépare. J'espère en des jours meilleurs.
Cette année fut pire que les autres. Mais bientôt peut-être je pourrai vous voir. [...].”

Les trois lettres suivantes sont adressées à Georges Goyau, époux de Lucie Faure. Il y est question de la maladie de cette dernière, puis de sa disparition, le 22 juin 1913.

“Je suis bouleversé d'apprendre par une note des Débats d' hier soir que Madame Goyau est sérieusement malade quoique allant mieux. Tout mon coeur en est déchiré. Madame Goyau tient à tout ce que j'ai de plus cher, aucune santé ne m'est plus précieuse, en moi ce n'est pas que moi, c'est une mère inquiète qui s'alarme. Je ne puis vous dire comme mon coeur est à côté de vous. Je n'ose écrire à Madame Faure car je ne sais si elle sait qu'on a été tourmenté pour sa chère fille. [...] Que Dieu ramène bientôt une douce quiétude dans nos coeurs et chez elle le bien être de la convalescence où s' éclaireront dans les clair obscurs de son âme de poète [...].

”Proust annonce la publication prochaine de DU CÔTÉ DE CHEZ SWANN.

“Je viens d' être très malade, vous m'excuserez de vous dire d'un seul mot : merci. Merci du fond de coeur pour la noble et sainte image et les commentaires qui sont Elle encore, ce qu'elle préférait ; je garderai et regarderai toujours ces chères reliques. Je vous enverrai aussitôt paru mon livre où vous retrouverez des traits de mon enfance qu'elle a connue. Je n'ai la force que de vous serrer la main de tout mon coeur, de toute la force de mon affection pour elle reportée si naturellement sur vous. [...]”

Georges Goyau avait sans doute offert à Marcel Proust un livre de Lucie Faure ou lui ayant appartenu.
Le romancier l'en remercie et s'inquiète de n'avoir pas reçu de nouvelles de la lettre qu'il avait adressée à son correspondant avec Du côté de chez Swann.

“Je vous remercie infiniment de m'envoyer ce livre, cette précieuse relique. Je suis en ce moment accablé de tristesse et d'ennuis. Sa lecture quand j'aurai l'esprit assez calme pour l'entreprendre me fera un grand bien, m'aidera à vivre, à porter ma croix. Je vous ai envoyé mon livre, j'espère que vous l'avez reçu. (Surtout ne m' écrivez pas!). Mais j'espère surtout que ne s'est pas égarée une très, très longue lettre que je vous écrivis après l'article de la Revue des deux-mondes. Car j'essayais de vous y dire [...] ce que je ne cesse de ressentir en pensant à votre bonheur perdu, à celle à qui vous aviez donné le bonheur, et mieux que cela car vous étiez l'un et l'autre de ces coeurs à qui il ne suffit pas.”
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