Lot n° 141

DAUDET (Alphonse). Lettre adressée à Émile Zola. Sans lieu ni date [mars 1883]. Lettre autographe signée “Alphonse Daudet” ; 2 pages in-12. Superbe et fraternelle lettre de félicitations d'un lecteur enthousiaste. Ayant reçu Au bonheur...

Estimation : 1 000 - 1 500 €
Adjudication : 1 288 €
Description
des dames la veille, Daudet l'a lu dans l'après-midi, “d'une happée.” “Ce qui me frappe d'abord, c'est le bien établi de l'oeuvre. Vous n'en avez pas, à mon sens, d'aussi largement et solidement architecturée. L'Assommoir lui-même ne m'a pas donné cette impression de grandiose et de sécurité, cette vibration lente et puissante d'un gigantesque ascenseur vous hissant sans arrêt jusqu'aux combles du bonheur des dames dans le fracas, la cohue, la bousculade des rayons, le miroitement des étalages, et l' étourdissante montée des quatre chiffres d' inventaire dont le dernier million éclate comme une bordée d'artillerie.
Cela est très beau, très fort ; et ce qui m'enchante c'est que l' étoffe n'a pas tout mangé - comme vous en aviez peur - et que l' éblouissement de vos mises en vente ne m'empêche pas de voir cette vieille barbe de Bouras [sic], Geneviève Baudu et son Colomban, les Robineau, tout ce grouillement d' infusoirs qui fait grésiller chaque page de votre livre.
Vous avez un très grand succès ; mais il ne sera jamais trop grand pour vous payer de cet effort de création. Et quand je pense qu'on appelle cela un roman, et qu'on appelle aussi roman la Criquette d'Halévy, morte pendant la guerre, aux ambulances, peuchère! amoureuse d'un zouave de charrette ambulancière, cabotine, et pour zouaves pontificaux!

O Maladie!
Zola, mon vieux,
je vous embrasse de tout mon coeur.
Alphonse Daudet.

Ma femme veut que je rouvre ma lettre pour vous dire la joie que lui a faite le roman qu'elle a lu feuilleton par feuilleton et qu'elle a repris en volume. Elle envoie à Madame Zola ses félicitations bien affectueuses.”

En dépit de divergences politiques (Daudet était légitimiste) et des intrigues de Mme Daudet et d'Edmond de Goncourt, les deux écrivains demeurèrent amis. Méridionaux, nés la même année, ils ne furent séparés que par la mort de l'auteur des Lettres de mon moulin. À ses obsèques, le 20 décembre 1897, Émile Zola fut chargé par la famille de prononcer l'éloge funèbre au cimetière du Père-Lachaise : “Daudet a été ce qu'il y a de plus rare, de plus charmant, de plus immortel dans une littérature : une originalité exquise et forte, le don même de la vie, de sentir et de rendre, avec une telle intensité personnelle, que les moindres pages écrites par lui garderont la vibration de son âme jusqu'à la fin de notre langue.” (Graham, Passages d'encre, nº 73 : le bibliographe fait observer que trois semaines après la mort de Daudet, conservateur nationaliste, et le bel éloge funèbre de Zola, ce dernier publiait J'accuse.)
Partager