Lot n° 340

STENDHAL, Henri Beyle, dit. Promenades dans Rome. Paris, Delaunay, 1829. 2 tomes reliés en 3 volumes in-8 [sur 4] interfoliés de grandes feuilles de papier vergé vert d’eau de format in-4 (275 x 189 mm) ; demi-basane brune à coins, dos lisses ornés, pièces de titre vertes portant la mention “PROMENADES NOUVELLE EDITION” en lettres dorées ...

Estimation : 100 000/150 000 €
Adjudication : Invendu
Description
(reliures romaines de l’époque).

Édition originale, tirée à 500 exemplaires.

Alors qu’il prévoyait de donner une simple description des curiosités et monuments, Stendhal avait suivi les conseils de Romain Colomb, son plus ancien ami, pour étendre l’étude aux domaines historique, politique et moral. Les Promenades dans Rome se présentent sous la forme d’un journal fictif tenu par le guide d’un petit groupe d’aristocrates français qui vont séjourner dans la cité pendant vingt mois (1827-1829).

Fameux exemplaire annoté par Stendhal en vue d’une nouvelle édition.

Les deux tomes de l’édition originale ont été scindés par l’auteur en quatre volumes, interfoliés de feuillets de papier vergé vert d’eau de plus grand format et confiés à un relieur italien. L’exemplaire fut confectionné sur le modèle de sa Chartreuse, mais Stendhal prit garde de le faire relier avant de l’annoter. En effet, La Chartreuse avait été “travaillée” par le romancier avant d’être, selon son expression, “arrangé par le relieur romain”, comme en témoignent les notes serrées dans la couture. Il est probable que ce “relieur romain” se rendait à Civitavecchia. Arrivé le 10 juin 1841 dans la cité portuaire, Stendhal note en effet quelques jours après dans son Journal : “The little relieur me rend ce livre 17 juin 1841.” Il s’agit sans doute de cet exemplaire des Promenades, dont les premières annotations sont datées du 25 juin, soit huit jours plus tard.

Les trois premiers volumes échurent à Louis Crozet, l’ami d’enfance de Stendhal, conformément aux dispositions testamentaires de l’écrivain.

Le quatrième volume (seconde partie du tome II), égaré après la mort de l’auteur, ne fut retrouvé que bien plus tard ; il appartient désormais au célèbre fonds Bucci de la bibliothèque municipale Sormani, à Milan.

17 des grandes pages vertes interfoliées, dont la page de garde de la reliure, portent 27 annotations ou corrections autographes de Stendhal, dont deux remplissent chacune une page in-4 : elles sont datées du 25 juin au 22 juillet 1841.

L’écriture de Stendhal est hésitante, presque tremblante, marquée par la première attaque d’apoplexie du 15 mars 1841. “Je me suis colleté avec le néant”, écrit-il à son ami Domenico de Fiore. Sa convalescence et les soins reçus alors sont évoqués dans les notes du troisième volume (“nouvelle convalescence”). 25 des 27 annotations se trouvent dans le premier volume.  Deux notes clefs concernent Miss Bouche et la notion de Firodea (“Fear of death”), qui apparaissent par deux fois. Miss Bouche désigne Cecchina Lablache, récemment mariée au peintre François Bouchot : elle séjourna à Civitavecchia au cours de l’été 1841, où elle aurait eu avec l’écrivain ce que Del Litto nomme “une légère et piquante passade.” Stendhal a rencontré Miss Bouche à quatre reprises, “perhaps the last of his life”. Firodea recouvre cette Fear of Death qui rongea Stendhal durant son dernier été : en effet, loin de s’abandonner à l’imagination du nouvel amour éprouvé pour Miss Bouche, Stendhal se reproche ici, par deux fois, d’y penser trop : “thinking trop” (note 1), “too much of Miss Bouche” (note 26).

Les notes les plus importantes sont les suivantes :

• Note 1, sur le feuillet de garde de la reliure :

 Ne pas faire de nouvelle édition sans profiter des corrections inscrites ici. Juin 1841. C[ivita] V[ecchia]. 22 juillet 1841. Thinking trop to miss Bouche after the four months of Firodea. (cf. OEuvres intimes, II, p. 421.)

• Note 2, en regard de la page II de l’Avertissement :

 Quand je lis un ms. de moi à imprimer je ne puis jamais faire attention qu’au fond des choses, ou à la clarté. De là mille négligences, des mots répétés, des mauvais sens, des phrases supposant trop d’attention chez le lecteur, et par là manquant de clarté. Je crois que la littérature actuelle marche à la boutique d’épicier de 1890, en fesant [sic] trop d’attention à la forme. Pour ne pas tomber dans le défaut contraire, j’ai résolu de corriger les promenades, dans les moment perdus. Dans ces derniers mois songeant au départ j’étais fâché d’y laisser tant de fautes de forme. Je savais beaucoup de choses laides à dire en écrivant ceci au n° 71, Richelieu. Je ne voulus pas les dire pour ne pas mettre en état de fâcherie et de haine l’âme des lecteurs se promenant dans Rome. J’aime mieux faire un supplément en 1841. Mme Lamp[ugnani] détestait les choses laides qui donnent des accès de haine impuissante. C[ivita] Vecchia le 25 juin 1841. hier né.

Ce texte magnifique, qui devait former l’Avertissement de la seconde édition, a été publié par Louis Royer puis par Henri Martineau (Mélanges intimes et marginalia, 1936, II, p. 136).

• Note 26. La page de garde de la reliure du volume II porte :

 Four month of Fi[r]odea. Nouvelle convalescence dont je m’aperçois the twenty fourth of July 1841, too much of Miss Bouche. Been reed of death of her sister. Récit qui m’apprend beaucoup, mais beaucoup, hier 21 July 1841. Texte publié par Del Litto (OEuvres intimes, II, p. 421, Del Litto lit “Hier récit” au lieu de “Been reed”) .

On connaît quatre exemplaires des Promenades dans Rome annotés par Stendhal.

Chronologiquement, le plus ancien est celui de Serge André, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble. Cet exemplaire de l’édition originale de 1829 n’est pas interfolié mais possède de très nombreuses notes sur des feuillets blancs placés au début et à la fin. Le deuxième exemplaire appartint au marquis de La Baume. Il s’agit de l’édition de Bruxelles, 1830, soit deux petits volumes in-12, chacun comportant à la fin un cahier de 40 pages. L’exemplaire a appartenu à Alexandrine de Rothschild et figure au Répertoire des biens spoliés pendant le Seconde Guerre mondiale (n° 1180). L’exemplaire de l’édition originale relié en quatre volumes pour Lysimaque Tavernier est interfolié au format du texte. Il a été redécouvert en 1955.

Le présent exemplaire de l’édition originale, relié et interfolié en quatre volumes de plus grand format, est le dernier des Promenades dans Rome que Stendhal ait fait confectionner.

A l’été 1841, Stendhal s’attela donc à ce qui fut une de ses dernières entreprises d’écriture : la préparation d’une nouvelle édition des Promenades dans Rome. Le 9 août, il sollicitait un congé qui lui fut accordé le 15 septembre. Le 21 octobre, il quittait Rome pour Marseille puis Paris. Il mourut dans la nuit du 22 au 23 mars 1842, frappé par une nouvelle attaque d’apoplexie. Beyle avait laissé sa bibliothèque dans ses domiciles de Rome et de Civitavecchia, à l’exception de La Chartreuse, qu’il continua d’annoter durant son voyage de retour. Après sa mort, Romain Colomb, l’exécuteur testamentaire, pria le vieil ami et voisin de Beyle à Civitavecchia, l’antiquaire Donato Bucci, de lui faire parvenir certains ouvrages. Il entendait les adresser au plus vite à Louis Crozet, l’ami et héritier désigné de Stendhal, et faire vendre par Bucci ceux qui ne méritaient pas de revenir en France. Le 8 juin 1842, il réclamait encore “l’exemplaire des Promenades dans Rome relié avec du papier blanc entre chaque page et portant des notes manuscrites”. Le 13 juillet, il insistait : “Je crois comme vous qu’on trouvera à Rome le 2e vol. des Promenades relié avec du papier blanc et corrigé pour une 2e édition.” Les trois premiers volumes parvinrent finalement à Colomb, qui les transmit à Crozet. Par la suite, la veuve de Louis Crozet céda ces précieux volumes à Louis Royer. Jusqu’à une date récente, ils sont demeurés au château de la Ronzie, à Claix, à peu de distance du domaine de Furonnières où le jeune Stendhal passait ses vacances.

Provenance : Louis Crozet.- Mme veuve Louis Crozet.- Paul Royer.- Louis Royer.- Mme de Royer-Viollet (bibliothèque Royer au château de Claix près de Grenoble).

Louis Royer, Les livres de Stendhal dans la bibliothèque de son ami Louis Crozet, Bulletin du Bibliophile, 1923, pp. 423-446. - Yves du Parc, Quand Stendhal relisait les Promenades dans Rome, Lausanne, Editions du Grand Chêne, 1959.- H. Cordier, Bibliographie stendhalienne, Genève, 1974, 75.1, p. 91.- Sur Cecchina Bouchot, alias Miss Bouche, cf. Vigneron, Stendhal et Mme Os, Le Divan, n° 220, juin 1938.- Del Litto, Les Bibliothèques de Stendhal, Paris, H. Champion, pp. 65-70.
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