Lot n° 321

Albert ROUSSEL. MANUSCRIT autographe signé, Extrait d’un Carnet de notes de voyage, [1931] ; 5 pages et demie in-8.

Estimation : 800 / 1000
Adjudication : 600 €
Description
INTERESSANT TEXTE SUR LA GENESE DE PADMAVATI, CITANT LES NOTES DU VOYAGE AUX INDES DE 1909 ; il a été publié en anglais dans The Chesterian de décembre 1931, et en français dans les Lettres et écrits de Roussel (1987). « Vers la fin de l’année 1913, M. Jacques ROUCHE, qui venait d’être nommé directeur de l’Opéra pour entrer en fonctions un an plus tard, me demanda d’écrire un ouvrage, drame lyrique ou ballet, qui serait représenté dès le début de sa direction. Je songeais depuis longtemps à un opéra-ballet, dont la forme me paraissait devoir s’adapter harmonieusement au cadre de l’Opéra, en utilisant les magnifiques ressources que les choeurs et la danse offraient au compositeur. Le sujet d’Akédysséril, de VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, m’avait tenté, mais l’œuvre étant déjà retenue par un autre compositeur, je dus y renoncer. Je me souvins alors d’un épisode dramatique de l’histoire de l’Inde, dont j’avais eu connaissance au cours d’un voyage que je fis aux Indes en 1909 et dont l’héroïne était la reine Padmani ou Padmâvati. J’en parlai à mon ami Louis LALOY, l’éminent orientaliste, […] qui voulut bien se charger d’en écrire le livret ». Pour expliquer comment il connut cet épisode, Roussel cite ses notes de voyage du 16 octobre 1909 sur sa visite au palais de CHITTORGARH. Après une dernière promenade dans Udaipur, où il décrit des femmes à la fontaine, les Roussel prennent le train pour Ajmer et voyagent avec un couple d’Anglais (l’homme se révèlera être le député et futur Premier ministre Ramsay MACDONALD), grâce auquel ils peuvent gagner les ruines du palais à cheval et à dos d’éléphant… « Le village traversé, la route monte en contournant le flanc de la colline, à l’abri des formidables murailles de la forteresse, et passe sous sept portes majestueuses avant d’aboutir au plateau couvert de ruines, d’où, par endroits, surgissent presque intacts des temples, des palais, des tours. Laissant à notre gauche la tour fameuse de la Renommée, nous pénétrons dans le palais de Rani Padmani dont il ne reste que des vestiges. Et, brusquement, le guide nous arrête près d’un escalier qui semble conduire à un souterrain. Nous descendons quelques marches. Nous sommes dans une cave où, il y a plus de six cents ans, s’est déroulée une effroyable tragédie. C’est en 1303 que le sultan Alaouddin Khilgi mit le siège devant Chitor, séduit par la beauté de Padmani, femme de l’oncle du Rana Lakshmann, Bhim-Sing. Forcé une première fois de se retirer, il fit une seconde tentative et réussit, cette fois, à emporter la ville d’assaut. Alors, préférant la mort au harem du vainqueur, les femmes Radjput et Padmani avec elles s’enfermèrent dans cette cave et y périrent asphyxiées par le feu, tandis que Bhim-Sing et ses hommes tombaient sous les coups des musulmans »… Puis c’est le retour dans la nuit : « Un fin croissant de lune brille, qui va bientôt disparaître à l’horizon, le silence devient plus mystérieux dans cette demi-obscurité où les ruines prennent des formes surnaturelles. Nous descendons lentement par le chemin qui passe sous les sept portes. Il fait nuit noire quand nous traversons de nouveau le village, éclairé seulement par quelques lanternes ; des boeufs s’effarent, des chevaux prennent peur devant la masse sombre de l’éléphant »... Roussel ajoute, pour conclure : « Si le hasard n’avait pas, en 1909, fait croiser nos deux routes et sans la courtoise invitation de l’actuel Premier ministre d’Angleterre, il est certain que je n’aurais jamais connu l’histoire de Padmâvatî et que je n’aurais pu, quelques années plus tard, avoir l’idée de traduire musicalement ce drame de la Beauté et de la Mort. »
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