Lot n° 33

Édouard Lemarchand, dit Georges dorival (1871-1939) comédien, peintre et collectionneur. 25 L.A.S. et 2 L.A., janvier-février 1912, à Harry Bloomfield ; 48 pages formats divers, nombreux en-têtes, qqs adresses (qqs déchirures).

Estimation : 700 / 800
Description
Correspondance concernant La Partie de croquet, tableau d’Édouard Manet acquis chez un brocanteur, et que Dorival chargea Bloomfield de revendre pour lui, afin de tirer grand profit de cette aubaine. [La Partie de croquet, représentant le jardin d’Alfred Stevens, ce dernier, Paul Rodier, Victorine Meurent et Alice Legouvé, est aujourd’hui conservée au Städel Museum de Francfort.] Nous ne donnerons que quelques extraits de cette amusante correspondance, écrite dans un langage souvent vert. Berne 17 janvier. Hier il a acheté « un magnifique tableau de Manet. […] Je crois que j’ai mis la main sur une fortune (petite fortune). Je suis très heureux de voir qu’il y a une Providence pour des gens comme moi : ceux qui se donnent la peine de savoir. Pas moins de 35 à 40 000f. […] C’est épatant ce qu’on peut trouver au fond de la boutique d’un brocanteur de Berne »... Cannes 20 janvier. « Je ne puis vous dépeindre mon tableau, c’est un Manet à 4 personnages, 2 femmes et 2 hommes de sa famille. C’est le commencement d’une période de la peinture, de l’impressionisme vainqueur qui se rattache aux classiques. […] Renoir m’a félicité et m’écrira une lettre pour me féliciter d’avoir ramené en France un tel tableau »... Cette 24 [janvier] : « le tableau est chez Renoir. Sans savoir que j’en étais le possesseur Bernheim (le décoré) en a proposé 15 000f devant moi et quand il a été parti j’ai dit à Madame Renoir de le lui laisser à ce prix [...] Bernheim vendra ce tableau 60 000 ou 75 000f. Nous y perdrons tous les deux par notre négligence »... Il va télégraphier à Mme Renoir de lui garder le tableau si Bernheim n’a pas signé le chèque... C’est un « très beau Manet, bien signé, avec un tout petit trou en bas à gauche (tout petit) – très bon état, belle patine »... Perpignan 26 [janvier]. Il ne faudrait pas vendre à moins de 25 000 francs pour Dorival. « Tâchez d’en trouver beaucoup d’argent. Bernheim le ferait 40 000 au moins l’ayant payé 18 000. Ne le faites pas tripoter ni voir ça le déprécierait m’a dit Renoir »... Précautions à prendre pour le petit trou dans la toile et un clou à retirer du cadre, et pour l’assurer... Perpignan vendredi minuit [26 janvier]. « Pas de gaffes – choisissez bien vos têtes. Ce tableau est beau en ceci que Renoir et les autres découlent de lui. [...] Il ne faut pas le faire voir facilement et surtout pas à des marchands marrons […] si je ne le vends pas je le garderai pour le vendre plus cher après la mort de Renoir et de Monet. […] Ne faites pas voir à Vollard ni à ces salauds-là ni à Durand. – Seulement à des amateurs qui au lieu de le payer 45 ou 50 000 chez Bernheim l’auront à 30 ou 35 000 »... Castres [27 janvier]. « Louez un cadre magnifique [...] Je veux 25 000 dernier prix mais je ne serai pas enchanté il vaut plus »... « Je sais qu’il y aura un grand coup à la mort de Renoir et de Monet sur toute cette école. Ce qui vaut 25 ou 30 000 vaudra le double »... Agen [28 janvier]. On peut le montrer à Duret « mais avec prudence », et seulement « si vous en aviez absolument besoin pour un con »... Toulouse [29 janvier], sur la jalousie de Renoir : « Renoir n’aime pas Manet qui l’eût dit ? Pourtant dans ce tableau que j’ai, on voit que Renoir descend de lui »... Pau 1er février. « Ne voyez pas l’Allemand dont vous me parlez. Je ne veux pas que cette œuvre pièce de musée passe à l’étranger. Réflexion faite je veux 40 000 comptant, tout à fait dernier prix »... Bordeaux 1er février. « Dites bien à Monsieur Pacquement que je veux bien lui vendre le Manet 40 000 mais comptant : à aucun autre je ne le laisserai à ce prix-là. [...] Mon tableau vaut 80 000f. Renoir me l’a dit et Guillaumin aussi. Nous verrons cela à la grande exposition de la pléiade impressioniste à la mort de Monet et de Renoir »... Rochefort 2 février. « Oui, je bluffais en mettant 80 000 sur la dépêche. […] si nous trouvons les 40 000 ça ira bien même payable en deux fois par Pacquement (sûr ?) descendez si vous voulez à 38 000. [...] Voyez Maître comptant (vous m’avez dit que c’était un bandit). […] C’est une perle pour une collection un tableau aussi significatif. C’est vraiment le maître, comme composition, comme couleur, etc. »... Laval [5 février]. « 55 000 maintenant. Vous chiez un peu dans le boudin il me semble. Concluez, nom de Dieu Je vous mets un autre mot en cas : tout dernier prix 45 000. […] Ne soyez pas trop gourmand ! Si nous restions le bec dans l’eau vendez à Hirch, 45 000 »... [6 février]. « Je vous donne tout pouvoir tout tout dernier prix 48 000. Sinon, ne le montrez plus. – Je garderai le tableau »... [Brest 6 février]. « Tâchez avoir 35 000 avec Hirch ou Pacquement ou Maître. Enfin faites pour le mieux. – Ce serait idiot de rester le bec dans l’eau [...] ce Manet ferait très bien dans ma salle à manger mais 30 000 balles feraient mieux dans ma poche. Protégez vos derrières. [...] Ah, si vous décrochiez 40 000 ou même 38 ou 35, ça irait encore »... Il va faire intervenir Guillaumin... Bourges [11 février]. « J’ai reçu votre lettre aux trois combines Maître, Hirch et X... Accouchez nom de Dieu. […] mais méfiez-vous des débineurs, tout type qui n’achète pas devient dépréciateur »... Etc. On joint un intéressant dossier sur la négociation de ce tableau : 16 l.a.s. d’Harry Bloomfield à Dorival ; un brouillon de télégramme à Renoir ; 2 l.a.s. d’Aline Renoir à Dorival, à propos des négociations avec les Bernheim, et la remise du tableau à Bloomfield ; 3 l.a.s. du galeriste Eugène Blot ; 2 l.a.s. du collectionneur P. Maître ; 11 télégrammes échangés entre Dorival et Bloomfield ; une l.a.s. du peintre Lucien Mignon (1919, sur la vente d’un Monticelli et du Manet authentifié par Renoir), etc.
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