Lot n° 132

[Chine]. HELMAN (Isidore-Stanislas). Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius, célèbre philosophe chinois. A Paris, chez l'auteur et M. Ponce, [1787].

Estimation : 10000 / 15000
Adjudication : 12000 €
Description
Grand in-4, entièrement gravé, [1] f. (titre), 24 planches, chacune accompagnée d'un feuillet de texte, reliure de l'époque maroquin rouge, dos lisse, titre doré, roulettes, filets, fleurons, le tout doré, plats décorés d'un double encadrement (à l'extérieur composé d'un double filet et d'une ligne de petits fers floraux et étoiles en alternance, à l'intérieur d'un filet dont les angles sont constitués de deux petits fers formant un demi-cercle, les côtés ornés en leur centre d'un fer en étoile bordé d'une double ligne avec spirale), roulette aux coupes, dentelle intérieure, le tout doré, gardes de soie moirée azur, tranches dorées, l'ensemble monté sur onglets (taches noires au plat inférieur, défauts négligeables dont un petit trou de ver sur un mors, étiquette en tête du dos).
Le Confucius d'Helman n'a rien d'une banale suite décorative : c'est l'une des plus élégantes et subtiles machines de guerre en faveur de l'esprit des Lumières, à l'aube de la Révolution.
Rarissime exemplaire sur papier de Hollande et aquarellé à l'époque.
Fort du succès des premières livraisons de sa célèbre Suite réduite des conquêtes et batailles de la Chine, dont la publication s'échelonna de 1783 à 1788, le graveur Isidore-Stanislas Helman (1743-1806 ou 1809) prit l'initiative de réaliser deux nouvelles suites dans un goût similaire. Ce furent les Faits mémorables des empereurs de la Chine, et cet Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius, pour lequel il s'inspira des travaux du missionnaire jésuite Amiot. Non daté, cet ouvrage fut annoncé au Journal de Paris le 7 octobre 1786, et il fut très vraisemblablement livré au public dès le début de l'année suivante. En effet, l'orientaliste français Joseph de Guignes (1721-1800) lui a consacré un compte rendu détaillé, assorti d'une critique élogieuse, dans le Journal des sçavans de janvier 1787 (p. 72-74) : " très bien gravées […] ces planches sur lesquelles on a conservé tout le costume et le goût des Chinois, forment une collection intéressante propre à piquer la curiosité soit par la délicatesse du burin, soit par la variété des sujets ".
Outre ses qualités de graveur très appréciées de son temps - il fut l'un des meilleurs élèves de Le Bas - Helman se distingua par sa maîtrise de la " stratégie éditoriale ". Il a tout lieu de souligner " son intelligence dans le choix des sujets susceptibles de plaire, son sens commercial, la facilité avec laquelle il s'adapta au cours des évènements d'une époque troublée pour en retirer profit " (I.F.F., X, p. 268).
Le Confucius d'Helman n'a rien d'un ouvrage innocent : c'est une brillante proclamation en faveur des idées des Lumières.
A l'aube de la Révolution française, alors que les philosophes des Lumières ont préparé les esprits à la refondation de la société civile, la France de Louis XIV connaît de la Chine deux aspects principaux qui illustrent les idées en conflit. Une première image est impériale et autocratique ; la seconde est toute empreinte de la sagesse de Confucius que Voltaire fut l'un des premiers à promouvoir. Aussi, le portrait de Confucius qui ouvre la suite des 24 gravures d'Helman, associé à un quatrain de Voltaire composé pour le Dictionnaire philosophique en 1770, gravé au-dessous, n'est pas le fait du hasard. Il s'agit là d'une forte prise de position politico-philosophique, qui fit scandale à son époque :
" De la seule raison salutaire interprète
Sans éblouir le monde, éclairant les esprits
Il ne parla qu'en sage et jamais en prophète
Cependant on le crut et même en son pays ".
Les exemplaires coloriés sur papier de Hollande sont rarissimes : nous n'en trouvons aucun passé en vente à Paris ces 15 dernières années.
Pour les Faits mémorables, on trouve sur la page de titre une liste des différentes qualités de papiers proposés par l'éditeur : papier ordinaire, papier vélin, grand papier (d'Auvergne) et, le plus somptueux : " peint à l'aquarelle sur papier d'Hollande ". Pour le Confucius, le meilleur papier annoncé n'est que celui d'Auvergne. C'est ce qui confère son caractère exceptionnel à cet exemplaire entièrement imprimé sur un beau papier vergé provenant de la fabrique hollandaise de J. Kool.
Exemplaire d'exception, revêtu d'une élégante reliure de l'époque en maroquin rouge finement orné, attribuable à Bradel l'aîné.
Alexis-Pierre Bradel, dit Bradel l'aîné, successeur de son oncle Derôme le jeune et également appelé Bradel-Derôme, fut actif à Paris dès 1772 (Thoinan, Les relieurs français, Paris, 1893, p. 220). Reliure non signée, mais qui présente des similitudes de facture, de fers employés et de composition avec des reliures qui lui sont indubitablement attribuées (Cf. S. de Ricci, French signed binding in the Mortimer L. Schiff collection, II, New York, 1935, sur un Télémaque de 1790, n° 140 et sur 2 ouvrages de médecine de 1787, n° 142 ; voir aussi R. Devauchelle, La reliure, recherches historiques… Paris, 1995).
Une signature moderne soignée figure dans la marge de la planche I, et dans celles du texte face aux pl. V et XXIV : " Jean Drut ".
(Inventaire du Fonds Français, Graveurs du XVIIIe siècle, T. XI, n° 83-106 ; Cordier, Bibliotheca sinica, 667 ; Cohen 479 ; Voir aussi : P. Torres, Les batailles de l'empereur de Chine, Paris, 2009, notamment pour le chapitre " Confucius et les Lumières, sur une estampe d'Helman ").
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