Description
Skali (La Première Marche, en grec). Sans lieu ni date [vers 1895-1900].
Manuscrit autographe signé, 1 page in-folio.
Précieux recueil de 38 poèmes de Constantin Cavafy (1863-1933) : un de ces prototypes d'édition
publiés aux dépens de l'auteur et constitués d'épreuves réunies, foliotées et brochées en fonction
de son humeur ou des happy few auxquels ils étaient destinés.
Il contient : La ville, La satrapie, “... Et les sages l'avenir proche”, Ides de Mars, C'en est fait, Le dieu abandonne
Antoine, Théodote, Monotonie, Ithaque, Fais de ton mieux, La gloire des Ptolémées, Le cortège de Dyonisos,
La bataille de Magnésie, La contrariété du Séleucide, Oropherne, Le roi des Alexandrins, Philhellène, Les pas,
Hérode Atticus, Sculpteur de Tyane, Tombeau du grammairien Lysias, Tombeau d'Eurion, "C'est lui", Les dangers,
Manuel Comnène, À l'église, Très rare, L'église, La boutique, Mer matinale, Ionien, À l'entrée du café, Une nuit,
Reviens, Si loin, Il se promet, Je suis allé, Un lustre.
Les poèmes sont imprimés sur deux papiers sensiblement différents et présentent des irrégularités
de brochage ; quelques feuillets ont été ajoutés, dont un monté sur onglet. Plusieurs compositions
portent l'adresse de l'imprimeur et les millésimes 1924, 1925 ou 1926. La table des matières,
imprimée sur deux feuillets distincts – le second est daté de 1925 –, prouve que l'ouvrage est formé
de deux “autoéditions” livrées aux presses vers 1926 ou peu après (pages 1 à 28) et en 1925 (pages
29 à 44). Le premier poème de la seconde section, monté sur onglet, portait auparavant le n° 20 ;
le foliotage a été corrigé à la plume.
Volume très rare, comme toutes les publications alexandrines établies par Cavafy.
“Cavafy n'a guère laissé circuler de son vivant que quelques rares poèmes insérés çà et là dans des
revues ; sa gloire, venue peu à peu, s'alimenta de feuilles volantes distribuées chichement à des amis
ou à des disciples ; cette poésie qui étonne à première vue par son détachement, son impersonnalité
presque, demeura donc en quelque sorte secrète jusqu'au bout, susceptible dans toutes ses parties
d'enrichissements et de retouches, bénéficiaire de l'expérience du poète jusqu'à sa mort. Et c'est
seulement vers la fin qu'il a exprimé à peu près ouvertement ses hantises les plus personnelles, les
émotions et les souvenirs qui de tout temps, mais de façon plus vague et plus voilée, avaient inspiré
et sustenté son oeuvre” (Marguerite Yourcenar).
La première véritable édition de ses poèmes ne vit le jour qu'après sa mort, en 1935. Son
oeuvre – 262 compositions dont il ne reconnut que 154 – est aussi l'un des sommets de la poésie
homosexuelle : seuls les poèmes de l'Italien Sandro Penna peuvent être comparés à ce maigre mais
remarquable corpus célébrant, dans une langue splendide, les rencontres secrètes, les regards
échangés, la beauté des corps et les voluptés de la solitude.
Envoi de Cavafy à Dirk Christiaan Hesseling (1859-1941), professeur de lettres classiques
à Leyde et l'un des grands hellénistes de son temps.
On joint un magnifique poème autographe signé de Cavafy, un de ses chefs-d'oeuvre.
Cette pièce célèbre, intitulée To proto skali (La première marche), composée en 1895, est
soigneusement calligraphiée à l'encre bistre sur un feuillet de grand format (340 x 210 mm).
Le texte, sans ratures ni hésitations, est conforme à celui publié dans la première édition
posthume de 1935. Il avait paru auparavant en revue, en 1899, puis dans les autoéditions réalisées
par l'auteur. Ce poème ne figure pas dans le recueil présenté ici.
Plus qu'un poème, c'est une profession de foi : la déclaration des principes éthiques qui président
au métier des lettres.
Eumène, jeune poète, se plaignait
Un jour à Théocrite :
“Voilà deux années que j’écris
Et je n’ai composé qu’une idylle,
C’est là ma seule oeuvre achevée.
Hélas, je vois bien qu’il est trop haut,
Le palier de la Poésie,
Et que je resterai sans doute,
Pauvre de moi, sur la première marche.”
Théocrite répondit : “Tes paroles
Sont déplacées et sacrilèges.
Même sur la première marche, tu dois
Éprouver joie et fierté.
Ce n’est pas rien que d’être arrivé là,
Ta gloire est grande de l’avoir fait.
Déjà cette place t’élève au-dessus du commun.
Pour poser le pied sur cette marche,
Il t’a fallu mériter le titre
De citoyen dans la Cité des Idées.
Il est difficile et rare de s ’y faire accepter :
Sur son Agora siègent des Juges
Qu’aucun imposteur ne saurait abuser.
Ce n’est pas rien que d’être arrivé là,
Ta gloire est grande de l'avoir fait.
Ensemble éminemment précieux.
La plaquette présente quelques pâles rousseurs ; le dos a été consolidé.
Ex-libris Gerard Blanken.
Daskalopoulos, The Life and Work of C.P. Cavafy, A277 (à la date de 1926-1930) et A62.- Yourcenar, Présentation critique de Constantin
Cavafy, Paris, Gallimard, 1958.