Lot n° 147

PROUST, Marcel. À la recherche du temps perdu. Paris, Grasset [puis Éditions de la Nouvelle Revue Française], 1913-1927. 14 volumes in-12 : demi-chagrin havane, dos à cinq nerfs, plats recouverts de papier marbré (dont le décor varie selon les...

Estimation : 80000 / 120000
Adjudication : 90 000 €
Description
volumes) ; reliures uniformes de l’époque commandées par Robert
de Flers et sa famille, sauf pour le Swann de 1913, relié postérieurement mais dans le même esprit,
couvertures conservées.
Éditions originales, y compris de Du côté de chez Swann (Grasset, 1913) mais à l’exception,
évidemment, du second Swann de 1918.
Tous les volumes sont sur papier vélin pur fil Lafuma-Navarre – sauf Du côté de chez Swann (1913 et
1918), Les Jeunes Filles en fleurs et Sodome et Gomorrhe II. Certains font partie du tirage à 30 exemplaires
hors commerce réservés à l’auteur : Le Côté de Guermantes I (n° 824) ; Le Côté de Guermantes II. Sodome et
Gomorrhe I (n° 802) ; La Prisonnière (n° 904) ; Albertine disparue (n° 1202) ; Le Temps retrouvé (n° 1215).
Le Swann en première édition porte la date de 1914 sur le titre, la faute au nom de l’éditeur et
l’achevé d’imprimer du 8 novembre 1913 ; il n'y a pas de table des matières ; catalogue de l'éditeur
sur papier vert en premier état.
À l'ombre des jeunes filles en fleur est en premier tirage, sans mention (500 exemplaires).
Exemplaire de Robert de Flers, l’ami de toute une vie.
Il est enrichi de cinq superbes envois autographes signés à l’encre noire, inscrits au recto du
premier feuillet blanc des volumes suivants :
Du côté de chez Swann (1918) :
à Robert de Flers
dont la vie si belle unit les actions héroïques aux belles oeuvres
Son ami
Marcel P roust
À l’ombre des jeunes filles en fleurs :
a Robert de Flers
En témoignage de Ma tendre et reconnaissante affection admirative
Marcel P roust
Le Côté de Guermantes :
à mon cher Robert
avec toute ma reconnaissance admirative et profonde affection que 41 degrés de fièvre m’empêchent
de détailler ce soir
tendrement
son admirateur et ami
Marcel
Sodome et Gomorrhe I :
à Robert de Flers
(que je ne peux jamais arriver à trouver au Gaulois) avec T oute ma tendresse ma gratitude et mon admiration
Marcel P roust

Sodome et Gomorrhe II :
à mon cher Robert
Son ami reconnaissant qui l’admire et qui embrasse dans leur totalité, mélancolique et douce,
tant de souvenirs de sa chère grand'mère, de ses soeurs aux cous merveilleux
Marcel P roust
Une des provenances les plus remarquables qui se puissent trouver.
Robert de Flers comptait en effet parmi les rares intimes de Proust, les amis de jeunesse auxquels
le romancier demeura fidèle sa vie durant, tels Lucien Daudet, Robert de Billy ou Robert Dreyfus.
L'amitié liant Marcel Proust et Robert Ango de la Motte-Ango, comte puis marquis de Flers
(1872-1927) remonte à 1892. Dans une lettre de janvier 1893 adressée à Robert Billy, il confiait :
“Il n’y a rien d’extrêmement changé dans ma vie sentimentale, sinon que j’ai trouvé un ami (...).
C’est le jeune et charmant, et intelligent, et bon, et tendre Robert de Flers.”
Ancien élève du lycée Condorcet, Flers joignit la petite troupe du Banquet, la revue fondée par
Marcel et ses amis. Le jeune homme semblait doté de tous les dons et fit l’admiration du futur
auteur de la Recherche. Il devint par la suite conseiller général, puis ambassadeur, et dirigea les
pages littéraires du Figaro. Il fut un auteur dramatique à succès (Le Coeur a ses raisons, Miquette et sa
mère, Le Roi, L'Habit vert...) qui lui valut un siège à l'Académie française en 1920. Cette carrière doit
beaucoup à Marcel Proust qui présenta Robert de Flers à Gaston de Caillavet ; ces deux derniers
formèrent un des plus brillants duos d’auteurs de comédies de boulevard.
Proust ne manquait aucune représentation des pièces de Robert de Flers dont il appréciait l'ironie
et la verve. En 1903, à la fin d'une représentation du Sire de Vergy, il confesse : “J’applaudissais si
fort que j’ai failli trois fois donner sans le vouloir des claques à mon voisin M. Hervieu.” Il prêta
l'esprit de Robert de Flers à la duchesse de Guermantes et à Swann.
L'amitié des deux hommes se renforça encore par leur prise de position commune en faveur
du capitaine Dreyfus. Les envois portés sur ces exemplaires de la Recherche – il y est question, à
plusieurs reprises, de tendresse, d'admiration, de gratitude, d'affection... – sont un vibrant et sincère
témoignage de cette affinité.
L’envoi porté sur Sodome et Gomorrhe II, dernier volume paru du vivant de Proust,
quelques mois seulement avant sa mort, est sans doute le plus beau.
Marcel revient sur une amitié de trente ans et y associe le souvenir de la grand-mère de Robert
de Flers, Mme de Rozière. Proust avait une grande affection pour celle à laquelle il consacra un
article nécrologique dans Le Figaro en 1907 sous le titre : “Une grand-mère”. “Rien ne dure, pas
même la mort ! Mme de Rozière n’est pas encore en terre, et déjà elle recommence à s’adresser
assez vivement à moi pour que je puisse m’empêcher de parler d’elle. (...) Personne ne m’aura
mieux compris que Robert. Il aurait fait comme moi. Il sait que les êtres que l’on a le plus aimés,
on ne pense jamais à eux, au moment où on pleure le plus, sans leur adresser passionnément
le plus tendre sourire dont on soit capable.”
Reliures modestes et fragiles, avec quelques restaurations.
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