Description
mètres de long et 360 mm de large,
imprimée au recto seulement ; la planche se replie au format d'un volume in-8 (180 x 100 mm) ;
la reliure souple en parchemin, avec bouton-pression, a été réalisée et décorée au pochoir par
Sonia Delaunay.
Édition originale.
Tirage annoncé à 150 exemplaires : 8 sur parchemin, 28 sur Japon et 114 sur simili Japon.
En raison du coût de fabrication, de la difficulté de montage et de l'insuccès commercial,
seuls environ 70 exemplaires furent effectivement réalisés.
Exemplaire sur simili japon (nº 58), signé par le peintre et l'auteur.
Il est complet de la reliure en chevreau souple décorée d'une composition
de Sonia Delaunay, avec attache par bouton-pression.
L'ouvrage se déplie à la manière d'une carte géographique. Une fois déplié, il mesure 2 mètres :
mis bout à bout, les 150 exemplaires projetés par les éditeurs devaient atteindre la hauteur de
la tour Eiffel.
Magnifique livre-objet, une des plus extraordinaires réalisations de l'avant-garde française
du XXe siècle, et l'un des incunables de l'art abstrait.
Le poème “simultané” est disposé sur deux colonnes : celle de droite comporte, sous une petite
carte-itinéraire imprimée, le texte de Blaise Cendrars tiré en quatre couleurs et entouré de
compositions aquarellées en aplat ; celle de gauche présente, sous le titre imprimé en deux tons,
une grande composition abstraite de Sonia Delaunay, exécutée au pochoir par l'artiste.
“Jusqu'à La Prose du Transsibérien, Blaise Cendrars était un inconnu. Le retentissement de Pâques
n'avait pu dépasser le cercle de ses amis, dont Robert et Sonia Delaunay.
Au début de 1913, une première ébauche de La Prose fut adressée à celle-ci. Le thème du poème
– un voyage imaginaire de Moscou à Kharbin, comme le film d'une vie – était propre à exciter
l'enthousiasme de Sonia. Le texte achevé en avril-mai, elle et Cendrars envisagèrent leur oeuvre
sous la forme d'un long dépliant, dans une “présentation synchrone” associant à une typographie
inventive et colorée l'interprétation abstraite (et expressément non illustrative) de l'artiste”
(Antoine Coron).
Non seulement le livre ne rencontra aucun succès – une poignée de souscripteurs se manifestèrent
– mais les coûts de fabrication décidèrent d'un tirage plus restreint que prévu. Les promoteurs de
La Prose réservèrent le reste du tirage pour plus tard.
“La guerre vint si vite, remarque encore Antoine Coron, qu'on n'eut jamais l'occasion d'achever
l'impression. Quand La Prose apparut comme une date capitale dans l'histoire du livre et de la
peinture moderne, il était trop tard” (Trésors de la Bibliothèque nationale de F rance, II, 2000, nº 67).
Un an avant le suicide de l'Europe, La Prose éditée à l'enseigne des Hommes nouveaux constitue un
accomplissement : poème-tableau, il exprime les audaces et les vertiges de la modernité. Et, s'il fut
un échec commercial – trop en avance sur un monde encore en retard –, il n'en demeure pas moins
le chef-d'oeuvre de l'avant-garde artistique de l'année 1913, annonçant les révolutions à venir.
Le plus bel hommage vint sans doute de Blaise Cendrars lui-même : “Madame Delaunay a fait un si beau
livre de couleurs que son poème est plus trempé de lumière que ma vie. ”
Remarquable envoi autographe :
à Lucienne P .
pour le prêt de ses mains
dont le profil me reste.
Sept. 1915.
L'écriture, de la main gauche, est encore très maladroite : l'envoi est placé sous la signature de
Cendrars, inscrite de la main droite pour justification à la parution du livre.
Blessé au front le 28 septembre 1915, Blaise Cendrars fut transporté à l'hôpital Sainte Croix
de Châlons-sur-Marne ; il a été amputé de l'avant-bras droit le 1er octobre. Bien des années
plus tard, en 1938, il rendra hommage à l'infirmière qui le soigna, dans un bouleversant récit
autobiographique intitulé J'ai saigné (1938). Dans ce texte, l'infirmière-major qui lui permit de
surmonter l'épreuve est nommée “Adrienne P”. Il s'agit, à l'évidence, de la “Lucienne P.” à qui
l'écrivain offrit cet exemplaire de La Prose. S'est-il trompé de prénom ou l'a-t-il modifié pour
rédiger J'ai saigné, cette dénonciation de l'absurdité de la guerre, des horreurs du conflit mais aussi
de la brutalité des gradés ?
Quant à la mention de “septembre 1915”, elle ne date évidemment pas l'envoi, mais rappelle la date
à laquelle Cendrars fut recueilli par l'infirmière-major Lucienne P.
L'écriture date des premiers temps de la rééducation, sans doute vers la fin de l'année 1916 :
Cendrars, qui peine à tracer les lettres, ne maîtrise pas encore sa main gauche. Les mois qui suivirent
l'amputation furent des mois de désespoir et de souffrance, mais aussi de délire : dans le dossier
militaire de l'écrivain, se trouve une fiche de l'hôpital Maison Blanche de Neuilly-sur-Marne, où il
séjourna du 6 mars au 16 mai 1916, portant la mention : “folie”.
La perte de sa main droite, qui devait hanter son oeuvre, fut un tel traumatisme pour l'écrivain qu'il
en a inscrit la date, comme dans le marbre, pour dire à celle qui, en lui accordant “le prêt de ses
mains”, l'a sauvé du désespoir.
En raison de sa forme même – cette écriture encore hésitante – et de la personnalité
à laquelle il s'adresse, cet envoi est le plus bouleversant qui soit et confère à cet
exemplaire de La Prose une force de vie unique.
Le 16 février 1916, le Suisse Frédéric Sauser, caporal du 1er régiment de la Légion étrangère,
engagé volontaire, fut décrété de nationalité française par le président de la République.
Superbe exemplaire dont les coloris ont conservé leur éclat originel.
Deux petites réparations à deux pliures et à la chemise en chevreau près du bouton-pression.
En français dans le texte, Paris, 1990, nº 344.- Castelman, A Century of Artists Books, pp. 168-169.- Peyré, Peinture et poésie,
le dialogue par le livre, pp. 110-111 : “Le livre réalisé par Cendrars et Sonia Delaunay est un indépassable (…). Poétiquement,
picturalement, un accomplissement, La Prose du Transsibérien est dialogue excédant, entrelacs magnifiques et vis-à-vis parfait.”