Description
1913.
Partition in-folio (330 x 270 mm) : demi-toile grise à la Bradel de l'éditeur, plats imprimés.
Édition originale, d’une grande rareté.
La réduction pour piano à quatre mains fut mise en oeuvre par le compositeur lui-même, en
1912, de façon à pouvoir diriger les premières répétitions des danseurs. Il s’agit de la première
publication du Sacre du printemps : la partition orchestrale ne sera imprimée qu’en 1921.
Ce Sacre à quatre mains fut ainsi exécuté le 20 avril 1912, devant Diaghilev et Pierre Monteux,
dans la salle de répétition du théâtre de Monte-Carlo. Et le 9 juin suivant eut lieu la mémorable
lecture chez le musicologue Louis Laloy. Assis aux côtés de Stravinsky, Debussy consentit à jouer
la basse, s’ingéniant à déchiffrer à vue. Admiratif de l’oeuvre, il ne put toutefois se retenir de ciseler
un de ces bons mots dont il avait le secret : “C’est une musique de sauvage avec tout le confort
moderne.”
La démonstration à quatre mains fit l’effet d’une tornade. La plume alerte de Louis Laloy a pu
capter la scène saisissante : “Le regard immobilisé par les lunettes, piquant du nez vers le clavier,
par instant chantonnant une partie élaguée, Stravinsky entraînait dans un débordement sonore
les mains agiles et molles de son compagnon qui suivait sans accroc. Quand ils eurent terminé,
il ne fut plus question d’embrassades, ni même de compliments. Nous étions muets, terrassés
comme après un ouragan venu, du fond des âges, prendre notre vie aux racines.”
La première du Sacre du printemps souleva un tollé demeuré dans les annales.
Le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées, eut lieu la première, après des répétitions
houleuses. Debussy et Laloy avaient annoncé “un ouragan venu du fond des âges ” : leur prédiction
devait être avérée.
Pierre Monteux, le chef d’orchestre, avait suggéré quelques modifications au compositeur
qui les accepta, mais la chorégraphie confiée à Nijinsky demeura inchangée.
Contre le cataclysme sonore, le public de ces premières mondaines, harnaché de perles et
d’aigrettes, se livra à un chahut indescriptible, porté à l’incandescence par l’irruption des agents de
police tenus d’expulser les contestataires les plus violents. “On rit, conspua, siffla, imita
des cris d’oiseaux”, relate Jean Cocteau, voisin de loge de la comtesse de Pourtalès éructant :
“C’est la première fois depuis soixante ans qu’on ose me manquer de respect !” Pour avoir crié
au génie, Ravel ne recueillit qu’un “sale Juif !” en écho.
Le Sacre du printemps fut retiré de l'affiche après huit représentations.
Cependant, le scandale en partie causé par la chorégraphie déconcertante de Nijinski ne devait pas
nuire au succès de l’oeuvre musicale. Il y contribua même. Lors de sa création en concert l’année
suivante par Pierre Monteux au Casino de Paris (les 5 et 26 avril 1914), le compositeur fut porté à
bout de bras dans la rue par ses admirateurs : ce fut, enfin, le sacre de Stravinsky.
Exemplaire exceptionnel enrichi de deux envois au chef d'orchestre Pierre Monteux :
de l'éditeur Nicolas de Strouvé, le soir de la première, et de Stravinsky, en mai 1914,
à l'heure de la réhabilitation du Sacre.
Le premier envoi occupe le recto du faux titre :
à Monsieur P . Monteux,
chef d'orchestre de Ballets russes –
P aris, le 29 mai 1913
"Édition russe de musique"
Nicolas de Strouvé
Le second a été inscrit au début de la première page de la partition :
Je vous embrasse mon cher Monteux.
Je n 'oublierai jamais ni la rue Clichy ni le 5 et 26 Avril 1914.
Igor Strawinsky
P aris.
18 V 1914
Le premier envoi à Pierre Monteux (1875-1964) a donc été inscrit par Nicolas de Strouvé (1876-
1920) le jour même de la première du Sacre. Musicien et compositeur russe, Strouvé fut l'élève de
Félix Draeseke et un ami du peintre Robert Sterl. Il se lia également d'amitié avec Rachmaninoff
durant son séjour à Dresde, et ce dernier lui dédicaça son poème symphonique L'Ile des morts.
Strouvé fut collaborateur, puis directeur des éditions créées par Serge Koussevitzky, L'Édition
russe de Musique.
Stravinsky inscrivit le second envoi après le triomphe du Sacre au Casino de Paris, rue de Clichy,
dirigé par Pierre Monteux, un an après le scandale.
Pierre Monteux créa les autres ballets mythiques de l'avant-guerre : Petrouchka de Stravinsky (1911),
Daphnis et Chloé de Ravel (1912) et Jeux de Debussy (également en mai 1913). Il s'installa aux États-
Unis après la Première Guerre mondiale.
Le chef d'orchestre devait renouer avec Stravinsky bien des années plus tard. En effet, Monteux
dirigea à nouveau Le Sacre dans les années 1950, et, lorsqu'il obtint la direction du Philharmonique
de San Francisco, il invita souvent Stravinsky à diriger l'orchestre à sa place.
Quelques annotations de tonalité au crayon, probablement de la main de Monteux, lorsqu'il
résidait aux États-Unis. Cartonnage usagé.
Provenance : vente anonyme, Sotheby's Parke Bernet (octobre 1970, nº 175).- Arthur & Charlotte
Vershbow (Christie's New York, 2013, nº 71).
Bibliothèque nationale, 1913, p. 76 : “L'année 1913 est une année-clé pour l'évolution de la musique occidentale, non seulement à
cause du coup de tonnerre du Sacre du printemps mais aussi du voisinage de cette oeuvre avec Jeux de Debussy.”