Description
soie jaune, titre gravé
en caractères chinois sur le premier plat (reliure de l'éditeur).
Édition originale.
Tirage limité à 281 exemplaires : 81 numérotés sur papier impérial de Corée – les 21 premiers sur
un papier plus épais – et 200 sur papier vélin parcheminé. En outre, il a été tiré cinq exemplaires
non numérotés : 2 Chine, 2 Japon et 1 exemplaire de passe.
Un des 81 exemplaires numérotés sur papier impérial de Corée, “non commis à la vente” (nº 63).
L’ouvrage est orné de trois sceaux “apposés à la main et faits de cinabre impérial”.
Il existe deux sortes de couvrure pour Stèles, l'une constituée de deux plaques en bois de camphrier
réunies par des cordons de soie, comme ici, l'autre faite de deux cartons recouverts d'une soie
chinoise.
De la stèle au poème : “Un genre littéraire nouveau.”
Fruit du choc éprouvé par Segalen lors de sa première expédition en Chine en compagnie
d’Auguste Gilbert de Voisins (1909-1912), l’édition de Stèles fut conçue et financée par son auteur.
L’impression eut lieu à Pékin, sur les presses de la mission lazariste. Elle renferme près de 150
poèmes en prose, avec des épigraphes en calligraphie classique.
Dans une lettre adressée à Gilbert de Voisins, le poète explique sa démarche : “Cette édition, avec
ses caractères chinois gravés sur bois constituera je crois une nouveauté bibliophilique, car ce n 'est pas une plaquette
européenne décorée à la chinoise, mais un essai de tirage et de composition dans lequel la bibliophilie chinoise a une
part équivalente aux lois du livre européen .”
Ainsi, outre le papier, Segalen emprunte à la tradition chinoise le pliage en accordéon et la reliure
spécifique des recueils d'estampes faite de deux planchettes de bois maintenues par des cordons
de coton ou de soie. Le format de la page est inspiré des proportions des stèles, ces monuments
lapidaires dressés dans la campagne chinoise, au bord des routes, dans les cours des temples, devant
les tombeaux : pages monolithes vantant les vertus d'un défunt, relatant des faits, énonçant des édits
ou des résolutions pieuses.
Beau livre, d'une mise en page non seulement subtile mais d'une incomparable autorité : une des
oeuvres phares de la poésie du XXe siècle, “un genre littéraire nouveau” selon les voeux de l'auteur –
jusqu'à sa reliure formée par deux ais de camphrier mâle : bois ondé de roux sur fond beige, léger et
naguère odorant…
Précieux exemplaire offert par l'auteur en 1913 à Natalie Clifford Barney.
Il porte cette remarquable dédicace autographe signée :
A une Amazone inconnue,
ces pierres gravées du lointain pays des Sères, – en très respectueux hommage & T ribut,
T chang-Te-fou 3 Mars 13
V ictor Segalen
En 1913, Segalen ne connaissait de Natalie Clifford Barney que son surnom : “l'Amazone”,
la mystérieuse destinataire des chroniques que Remy de Gourmont publiait dans le Mercure de France
depuis janvier 1912. En revanche, avant de recevoir cet exemplaire, Natalie connaissait déjà Stèles,
qu'elle appréciait beaucoup depuis que Gourmont – déçu par Les Immémoriaux mais enchanté par le
recueil chinois – les lui avait fait découvrir. C'est même Gourmont qui demanda à Segalen de lui
envoyer un exemplaire du recueil afin de protéger le sien “qu'elle avait voulu [lui] voler :
vous l'avez rendue si fébrile !” (lettre à Segalen du 8 février 1913).
Lorsqu’il rédigea cette dédicace, Segalen résidait dans la province du Hunan, où il soignait,
depuis octobre 1912, le fils du président de la République, Yuan Che Kai, victime d'une mauvaise
chute de cheval. Il fit parvenir l'exemplaire à sa femme Yvonne, restée à Pékin, pour qu'elle
le remette à la poste française. La lettre qu'il lui écrit le 4 mars 1913 mentionne, mot pour mot,
la dédicace à l'Amazone (Correspondance, II, p. 97).
Mouillures et auréoles claires, rousseurs et petit éclat à un coin de la seconde tablette.
En français dans le texte, Paris, 1990, nº 340 : “En même temps qu'il écrit sa première stèle, le 24 septembre 1910, Segalen
commence à rédiger l'admirable texte préliminaire en s'arrangeant ‘pour que tout mot soit double et retentisse profondément’. Il
compose ainsi un très lucide art poétique et, par la formule ‘jour de connaissance au fond de soi’, se rattache à la famille des poètes
pour qui la poésie est moyen de connaissance et tentative pour forcer les portes du monde.”