Description
sur le second en lettres dorées, bordures
intérieures décorées, tranches dorées (reliure de l'époque).
Exceptionnel album de dessins originaux réalisés par le très jeune Guillaume Apollinaire,
avec deux poèmes autographes, dont le premier calligramme connu.
Il renferme 29 compositions originales, la plupart signées : 22 au crayon noir ou au fusain,
4 coloriées ou aquarellées et 3 à l'encre de Chine. On remarque également la trace de quelques
croquis volontairement effacés.
L'album porte les initiales “W.K.” en lettres dorées sur le second plat, restituant le nom véritable
du futur Guillaume Apollinaire : Wilhelm de Kostrowitzky.
L'album a été inauguré le 26 juillet 1893, au début des grandes vacances, selon la date inscrite sur le
premier dessin (un marin au garde-à-vous) qui porte, comme plusieurs autres croquis, la signature
“W. de Kostrowitzky”. Apollinaire, alors âgé de treize ans, était pensionnaire au collège Saint-Charles,
à Monaco. En juillet 1893, il venait d'achever sa classe de 5e, obtenant les premiers prix de version
latine, de français et d'allemand, les deuxièmes prix de dessin et de piano, ainsi que deux accessit :
en latin et en grec. Quelques dessins sont datés de 1894 et 1895.
En juillet 1895, le collège Saint-Charles fut fermé et Wilhelm allait poursuivre ses études au collège
Stanislas, à Cannes, puis au lycée de Nice où, en 1897, il signa pour la première fois ses poèmes de
son glorieux nom de plume : Guillaume Apollinaire. Après un nouveau séjour à Monaco à partir de
juin 1897, il quitta la principauté en 1899 et, en compagnie de sa mère et de son frère, s'installa à
Paris.
Plusieurs des croquis contenus dans cet album révèlent leur origine scolaire et semblent avoir été
puisés dans les manuels d'histoire : guerrier gaulois agenouillé, buste d'Alexandre, Vercingétorix
se rendant à César, un croisé, un navire antique... Quelques sujets paraissent plus exotiques : un
portrait de Chamyl - le célèbre rebelle caucasien -, l'attaque d'une caravane en Afrique, une vue de
Tripoli, des soldats coloniaux en reconnaissance...
On remarque des planches de caricatures brocardant les différentes religions ou la mode
contemporaine, des croquis très spirituels pris lors d'une fête populaire, quelques paysages de
vacances et une planche de botanique.
Deux compositions oniriques réalisées au fusain et à l'encre de Chine
tranchent avec le reste de l'album.
L'une, datée de 1894, comporte une manière de pré-calligramme en forme de constellation :
“Minuit. Dans L'ombre Sombre D'une Nuit Sans Lune Sans Bruit L 'heure Pleure.” Marcel Adéma et Michel
Décaudin, qui le datent de 1895 n'ayant pas eu accès au manuscrit, le considèrent comme le
“premier exemple connu de l’association de l'expression poétique et du dessin. Le jeune poète n’a
alors que quinze ans [sic] et les premiers calligrammes (…) ne paraîtront que près de vingt ans plus
tard”.
L'autre dessin, de 1893, est un tableau ésotérique mêlant visages, Polichinelle, hippocampes,
étoiles, idéogrammes, etc., vraisemblablement composé comme un “dessin automatique”.
L'album renferme également un long poème autographe signé de 64 vers intitulé “Noël”.
Daté de 1894 et orné de trois dessins (Vierge adorant le Christ, calvaire, Rois mages), il a été
soigneusement calligraphié à l'encre de Chine. Ce poème de jeunesse, naïf et charmant, n'a pas été
reproduit dans les OEuvres d'Apollinaire publiées par Marcel Adéma et Michel Décaudin.
Jésus couché sur de la paille,
Tandis que rumeur de sonnaille
Et crépitement de grenaille
Tombaient pluie et grêle au dehors (…)
Songeais-tu que la chevelure
Blonde de ta mère si pure
Bientôt après dans la souillure
Près des croix traînerait, hélas ?
Contemplais-tu sa lèvre belle
Rouge d'un rouge de spinelle (…)
Et tu pleurais à chaudes larmes,
Songeant à toutes les alarmes
Des innocents qui par les armes
Passeraient à cause de toi.
Précieux album.
En parti dérelié, sinon en excellent état.
Minuit est le seul fragment de ce carnet qui ait fait l'objet d'une publication, par les soins de Jean Royère en 1925 dans Il y a édité par
Messein.- Apollinaire, OEuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, pp. 317 et 1110 : notice d'Adéma et Décaudin.- Cet album
vient de faire l'objet d'une édition en fac-similé aux éditions Gallimard, avec une préface de Pierre Caizergues.