Description
morte, dos à quatre
nerfs, filets dorés en bordures intérieures, non rogné (Marius Michel).
Précieux ensemble offrant les épreuves complètes et abondamment corrigées de la main
de Verlaine pour la deuxième édition augmentée des Poètes maudits parue en 1888.
Les 55 premières pages sont constituées d’un jeu d’épreuves reproduisant le texte de l’édition
originale des Poètes maudits (Paris, Léon Vanier, 1884) : le volume contenait alors les études sur
Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, qui avaient préalablement paru dans
Lutèce en 1883-1884.
En vue de la publication d'une seconde édition augmentée, Verlaine a porté, à l’encre rouge,
des modifications et des ajouts parfois très importants, notamment au sujet de Rimbaud et
de Mallarmé. En revanche, les corrections à l’encre noire, purement typographiques, sont
probablement de la main de l’éditeur, Léon Vanier.
Les épreuves de cette première partie, imprimées sur un papier différent des épreuves de la
seconde partie, paraissent avoir été imprimées avant 1888.
Les pages 55[bis] à 102 sont précédées d'un feuillet portant un titre à l'encre rouge de la main de
Verlaine : “Épreuves de la seconde partie des P oètes maudits.” Elles contiennent les études sur les trois
poètes ajoutés dans la deuxième édition, c'est-à-dire Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de
L’Isle-Adam et Verlaine lui-même, alias le “Pauvre Lelian”.
Ces biographies avaient paru dans Lutèce et La Vogue entre 1885 et 1887.
Cette seconde partie a été abondamment corrigée à l’encre rouge par Verlaine. Certains passages
sont très travaillés, notamment les textes sur Villiers de l’Isle-Adam et Verlaine lui-même.
Le feuillet manuscrit à l’encre noire comportant un ajout de 18 lignes à l’étude sur Villiers est sans
doute de la main de Léon Vanier.
En tout, on relève à peu près 300 corrections, dont une quarantaine d'ajouts
qui vont de quelques mots à une phrase entière, voire un paragraphe.
Ainsi, pour Rimbaud, Verlaine a corrigé le texte du quatrain qui achève l'étude et ajouté cette note :
“Les Illuminations ont été retrouvées ainsi que quelques poèmes. Une OEuvre complète ne peut que paraître que plus tard,
avec une curieuse notice anecdotique et de nombreux portraits, en une édition de grand luxe. ”
La biographie de Mallarmé a été modifiée : Verlaine a indiqué son emploi de “professeur d'anglais”
(la première édition évoquait une “profession savante”), précisé les circonstances de sa première
lecture de l'auteur d'Igitur, réintégré dans l’oeuvre “le fragment assez long d'une Hérodiade” dont Gardner
Davies devait redécouvrir, plus d'un demi-siècle plus tard, l'intégralité du dossier manuscrit – l'un
des plus beaux que nous ait laissés Mallarmé –, et signalé “l'édition autographique de ses poésies détachées”
parue en 1887. De même, dans une note, il s'adresse directement à son confrère pour le prier de
hâter la publication du “Livre” : “Mais quand donc enfin, cher ami ?”
En conclusion, Verlaine écrit ce jugement sur le trio Corbière-Rimbaud-Mallarmé, cité en fin
de chapitre : “l'un mal connu, l'autre inconnu, le troisième méconnu.”
Pour Marceline Desbordes-Valmore, qui vient d'intégrer le cercle des poètes maudits, Verlaine
a affiné son texte par des suppressions et des ajouts et inséré ce beau commentaire :
“Avec Marceline Desbordes-Valmore, on ne sait parfois ce que l'on doit dire ou retenir , tout vous trouble délicieusement, ce
génie enchanteur lui-même enchanté.”
Les épreuves de l'étude sur Villiers de l'Isle-Adam sont, quant à elles, très corrigées, notamment
dans la première partie, où les suppressions, les ajouts, les ajouts biffés, les repentirs sont nombreux.
Le “très glorieux” décerné à l'auteur de L'Ève future est souligné deux fois, la liste de ses ouvrages est
complétée et tous sont définis : “Livres divins, livres royaux.” Plus loin, Verlaine se justifie : Villiers prend
place parmi les maudits uniquement “parce qu'il n'est pas assez glorieux”. Et ce jugement sur Victor Hugo :
“lequel Hugo fut à parler franc une façon tout de même de grand poète. ”
L'étude que Verlaine s'est consacrée à lui-même, Pauvre Lelian, et qui conclut la deuxième édition des
Poètes maudits, comporte moins de corrections que les précédentes, mais elles sont révélatrices. Celles
qui ne précisent pas des points d'ordre biographique ou bibliographique accentuent la mélancolie
et le masochisme du poète vieillissant : Lelian était dans sa jeunesse un galopin “pas trop méchant”, son
premier recueil (dont le nom est ici travesti en Mauvaise étoile) ne connut pas un succès “de fou rire”
mais “d'hostilité”, etc. Et encore ceci, définissant ses ouvrages non catholiques : “mondains : sensuels avec
une affligeante belle humeur et pleins de l'orgueil de la vie” remplace : “mondains, sensuels avec une pointe
d'ironie mauvaise et de sadisme plus qu'à fleur de peau.”
Exceptionnel ensemble restituant la genèse d'un livre central dans l'histoire
de la poésie moderne.
La première série contient l’hommage de Verlaine à trois poètes qui, brisant les règles, ont précipité
l'avènement du symbolisme – et de la modernité : Tristan Corbière, Stéphane Mallarmé, Arthur
Rimbaud, dont plusieurs poèmes, et non des moindres, parurent ici pour la première fois.
On relève, pêle-mêle : Voyelles, Oraison du soir, Les assis, Les effarés, La chercheuse de poux et Le bateau ivre.
Sans oublier des extraits des Premières communions et de Paris se repeuple ou encore ce célèbre fragment,
avec variante, de l'un des derniers poèmes :
Elle est retrouvée
Quoi ? L 'éternité.
C'est la mer allée
Avec les soleils.
La seconde série n’est pas moins intéressante, notamment par ses implications autobiographiques :
Marceline fut l’une des lectures de Verlaine et Rimbaud à Londres et l’essai sur Lelian un texte
primordial pour la connaissance de Verlaine.
En août 1887, les Maudits sont au complet, mais Verlaine ne cessa de retoucher son texte, comme le
prouvent ces épreuves corrigées.
En 1972, Jacques Borel regrettait : “Un exemplaire d’épreuves de l’édition de 1884 [sic] ayant fait
partie de la bibliothèque du docteur Lucien-Graux est passé en vente à l’hôtel Drouot (20-21 mars
1957). Nous n’avons pu le retrouver” (Paul Verlaine, OEuvres en prose, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, p. 1354.)
Provenance : Docteur Millot (nom frappé en lettres dorées sur le premier contreplat).- Docteur
Lucien-Graux (III, 1957, n° 223, avec reproduction).- H. Bradley-Martin (1989, nº 1290).