Lot n° 77

HUGO, Victor & François René de CHATEAUBRIAND. [Deux lettres se répondant.] 16 et 18 décembre 1840. 2 lettres autographes signées in-4 conservées sous Plexiglas dans un emboîtage de box parme à deux compartiments doublés de velours taupe,...

Estimation : 30000 / 40000
Adjudication : 50 000 €
Description
titre mosaïqué en lettres de box orange sur le
premier plat ; étui avec dos de box parme, titre à l'oeser orange et bistre (Renaud Vernier 1988).
Précieux diptyque autographe réunissant les deux monstres sacrés de la littérature
française du XIXe siècle, à l'ombre de l'Empereur.
Au lendemain du 15 décembre 1840, jour du Retour des Cendres où l'on inhuma en grande pompe
aux Invalides la dépouille de Napoléon rapatriée de Sainte-Hélène, Victor Hugo adressa à
Chateaubriand un exemplaire de son poème intitulé : Le Retour de l'Empereur (Paris, Delloye, 1840).
Sa lettre est celle qui accompagnait cet envoi.
Monsieur le Vicomte,
Après vingt-cinq ans il ne reste que les grandes choses ou les grands hommes, Napoléon et Chateaubriand.
Trouvez bon que je dépose ces quelques vers à votre porte. Depuis longtemps vous avez fait une paix généreuse
avec l'ombre illustre qui les a inspirés.
Permettez-moi, Monsieur le Vicomte, de vous les offrir comme une nouvelle marque de mon ancienne et
profonde admiration.
V ictor Hugo.
16 décembre 1846.
La réponse de Chateaubriand est datée du 18 décembre :
Je ne crois point à moi, Monsieur, je ne crois qu'en Bonaparte ; c'est lui qui a fait et écrit la paix qu'il a bien
voulu me donner à Ste-Hélène. Votre dernier poème est digne de votre talent ; je sens plus que personne
l'immensité du génie de Napoléon, mais avec ces réserves que vous avez faites vous-même dans deux ou trois
de vos plus belles odes. Quelle que soit la grandeur d'une renommée, je préférerai toujours la liberté à la gloire.
Vous savez, Monsieur, que je vous attends à l'Académie.
Dévouement et admiration,
Chateaubriand
Ces deux missives résument en quelques mots un demi-siècle d'histoire et de littérature françaises.
Le souvenir de la gloire impériale était alors toujours vivace ; il était même à son zénith avec ce
Retour des Cendres auquel la foule applaudit en masse. En dépit de l'enthousiasme populaire, la
figure de Napoléon était toujours diversement appréciée. Et, en décembre 1840, l'ancien opposant
au régime de Buonaparte achevait ses Mémoires (dont Napoléon était la figure centrale) en même temps
qu'il commençait à s'intéresser à l'abbé de Rancé : aussi, en recevant le présent de son bouillant
cadet, converti de fraîche date au soleil d'Austerlitz, Chateaubriand préféra évoquer Bonaparte,
n'hésitant pas, après les éloges littéraires d'usage mais sincères, à rappeler à Victor Hugo – in cauda
venenum – ses anciennes odes royalistes… (Dans les Mémoires d'outre-tombe, la seule mention de Victor
Hugo est, précisément, deux vers d'une ode de 1822 : Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires, /
Cet homme ignorant Dieu, qui l'avait envoyé , etc.)
Quant aux festivités de décembre 1840 dont Paris fut le théâtre et Louis-Philippe le grand
ordonnateur, Jean Tulard les a remises en perspective, non sans ironie : “C'est la monarchie de
Juillet qui ramène la dépouille de Napoléon en France en grande pompe, croyant ainsi récupérer
pour le boutiquier Louis-Philippe une partie du prestige de la légende napoléonienne qui s'est déjà
constituée (...). Sans s'en douter, la monarchie de Juillet fait le lit du prétendant, cet inconnu qui
rate tous ses complots, Louis-Napoléon. Il deviendra Napoléon III douze ans plus tard.”
Jolie reliure-écrin de Renaud Vernier dans laquelle les deux lettres autographes protégées par des
volets en Plexiglas se font face.
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