Lot n° 72

BALZAC, Honoré de. Physiologie du mariage ou Méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal, publiées par M. de Balzac. Bruxelles, J. P. Méline, 1834. 2 volumes in-12 de 314 et 316 pp. ; demi-veau fauve, dos à faux...

Estimation : 80000 / 100000
Adjudication : 70 000 €
Description
nerfs ornés à froid avec filets dorés
sur les nerfs, tranches mouchetées (reliure italienne de l'époque).
Contrefaçon belge : elle précède de quatre ans la première édition en petit format donnée par
Charpentier. L'édition originale avait paru en 1830.
Heurs et malheurs du mariage, de la lune de miel au “ménage à trois”, d'un point de vue favorable
aux femmes, défavorisées par les lois sur le mariage. Cette radiographie conjugale devait faire
scandale : même les intimes de Balzac en furent choqués.
L'ouvrage, qui contribua à lancer la vogue des physiologies, est un des premiers livres de Balzac
à propos desquels sa correspondance commence à refléter son acharnement au travail : “Je n'ai pas
une idée, je ne fais pas un pas qui ne soit la Physiologie, j'en rêve, je ne fais que cela, j'en suis féru ! (…) Il y en aurait
jusqu'à demain à dire par quoi l'auteur de cet ouvrage-là est entre un succès et l'échafaud, à chaque ligne” (Lettre à
Levavasseur, novembre 1829).
Exceptionnel envoi autographe signé à Eugenia Bolognini Vimercati :
une des plus longues et des plus singulières dédicaces rédigées par Balzac.
Sous le timbre à l'encre bleue de la comtesse Bolognini, sur le feuillet de garde, Balzac a écrit :
[Eugenia Bolognini Vimercati] a pu croire un moment que Honoré de Balzac, humble auteur de cet
ouvrage et fanatique adorateur des grands génies à qui Dieu a donné un petit sexe pour le bonheur de
l'homme, avait des doctrines mauvaises en leur endroit, il supplie donc la spirituelle Comtesse de ne
jamais accuser celui qui a si sérieusement écrit dans ce livre :
Entre deux êtres susceptibles d'amour, la durée de la passion est en raison de la résistance
primitive de la femme,
ce qui ne l'empêche pas de souhaiter rarement en amour les pièces de résistance pour son bonheur personnel ;
car il est difficile qu'il rencontre les perfections qui distinguent E.B.V .
Milan, 25 mai 1838,
de Balzac.
La comtesse Bolognini (1810-1885), célèbre par son esprit et sa beauté, admirée de Stendhal, était
la maîtresse du prince Porcia dans le palais duquel Balzac logea à Milan à deux reprises.
Eugenia Bolognini Vimercati avait pour amie la comtesse Maffei (1814-1886), dont le salon
littéraire à Milan fut le haut lieu du nationalisme et du romantisme italiens et où se pressait l'élite
littéraire, artistique et politique de l'Europe : Manzoni, Liszt, George Sand, Rossini, Mazzini,
Cavour, Verdi, Ippolito Nievo… Ce salon devint un “poste de commandement” pendant la
révolution de 1848 et les guerres du Risorgimento.
Balzac avait été accueilli chez la comtesse Maffei lors de son premier séjour milanais, en févriermai
1837. Il avait fait forte impression. Il était alors en partance pour la Sardaigne dans le but d'y
exploiter d'anciennes mines romaines : le projet, chimérique, était né de la lecture de Tacite.
Son second séjour à Milan en mai 1838 devait être bien plus bref, l'écrivain ayant échoué à mettre
en oeuvre son entreprise minière. C'est à cette date qu'il dédicaça à la comtesse Bolognini cet
exemplaire de sa Physiologie du mariage. Il est intéressant de noter que l'intéressée possédait non une
édition originale de l'ouvrage, mais une contrefaçon belge, soulignant la diffusion de ces éditions
pirates en Europe.
Comme le soulignait Pierre Berès, à qui l'exemplaire appartint, l'envoi autographe n'a pas seulement
valeur d'anecdote. Logé chez le prince Porcia, l'écrivain était témoin de l'harmonie qui émanait de
la relation entre son hôte et la comtesse Bolognini (ils devaient se marier quelque temps plus tard).
“Le bonheur des deux amants qu'il comparait à son lointain roman avec Mme Hanska le rendait
mélancolique. C'est de ce moment que date l'idée des Mémoires de deux jeunes mariées , où Balzac voulait
peindre le bonheur qu'il enviait.”
L'année suivante, Eugenia Bolognini se vit dédier Une fille d'Ève et Carla Maffei La Fausse Maîtresse
en 1842. De Milan, qu'il n'avait pas aimé, Balzac retint l'essentiel : le souvenir des femmes de tête
qui l'avaient séduit.
Ravissantes reliures italiennes de l'époque.
Ex-libris manuscrit de la “Libreria del Conte Giangiacomo Morando Attendolo Bolognini. Luograto P rov. di
Brescia”. Giangiacomo Bolognini était le petit-fils d'Eugenia Vimercati.
Le mors supérieur du tome I est un peu fragile.
Berès, Exposition Balzac, 1949, nº 212 : cet exemplaire.- Barbiera, Il Salotto della contessa Maffei, Milan, 1925, pp. 37-56.- Pizzagalli,
L'Amica. Clara Mafffei e il suo salotto nel Risorgimento, Milan, 2004, pp. 22-28.- Meyer, “Les cinq voyages de Balzac en Italie”, in
Hommes, idées, journaux : mélanges en l'honneur de Pierre Guiral, Paris, 1988, pp. 433-441.
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